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La face cachée de la sexualité, pour les 4e/3e.

La Face cachée de Luna, de Julie Anne Peters

Milan, coll. Macadam, 2004, 369 p., 9,5 €.

vendredi 6 avril 2007

La Face cachée de Luna est presque une première mondiale en littérature jeunesse, et pour un coup d’essai, c’est une réussite incontestable, même si l’on peut reprocher quelques longueurs, et quelques stéréotypes dans la vision de la famille étasunienne moyenne et des adolescents complexés. L’information sur les transgenre est bien documentée, et le récit fait le point sur l’homophobie et sur les nuances de l’arc-en-ciel altersexuel.

Résumé

« Cette fille, c’était mon frère » (p. 12). Dès les premières pages, le lecteur sait de quoi il est question, et Julie Anne Peters met les points sur les i : « cette fascination de Liam pour le jeu du papa et de la maman avait-elle été la première indication, pour moi, du fait qu’il était différent ? qu’il était transgenre ? » (p. 15). L’histoire se déroule avec peu de personnages. Les deux « sœurs », Liam / Luna (17 ans) et Regan (15 ans), la narratrice, sont très liées, et vivent dans un sous-sol symbolique, leur monde à elles à l’abri des « unités parentales [qui] considéraient le sous-sol comme notre territoire sacré » (p. 57). Le père a souvent des réflexions sexistes, et veut absolument que son fils s’inscrive dans un club de base-ball. Il ne se satisfait pas des résultats scolaires brillants de ce fils, qui se fait beaucoup d’argent de poche grâce à l’informatique. La mère, accaparée par son activité professionnelle d’organisatrice de réceptions de mariage, est championne du déni de réalité. Alyson, l’amie d’enfance et amoureuse transie de Liam / Luna, leur rend souvent visite, sans parvenir à exprimer son désir pour Liam ; et Regan partage sa vie entre Liam, son job de baby-sitter, et le lycée. Elle souffre d’un complexe d’infériorité hypertrophié, qui l’empêche de répondre positivement aux avances d’un camarade, Chris, lequel souffre des mêmes affres. Le roman est la chronique détaillée des quelques mois précédant les 18 ans de Luna, et des étapes de la « transition » entre Liam et Luna. Des premières sorties catastrophiques de Luna au centre commercial puis au lycée, avec les réactions homophobes de l’entourage, au coming out familial (le mot n’est pas employé), sans oublier la rencontre avec une transsexuelle connue par Internet. Pendant ce temps, Regan se dévoue pour Luna, au détriment de sa propre vie sentimentale, surtout parce qu’elle n’ose aborder la question avec quiconque, ce qui allonge artificiellement le récit.

Mon avis

Ce roman est presque une première mondiale en littérature jeunesse, et pour un coup d’essai, c’est une réussite incontestable, même si je conserve personnellement un faible pour Ne m’appelez plus Julien, de Jimmy Sueur, qui semble plus brut de décoffrage, dépourvu de l’enrobage des techniques américaines de récit, brillantes mais parfois stéréotypées. Le récit se fait sur deux lignes chronologiques, avec de nombreuses analepses en italiques, distillées à mesure des chocs subis par la narratrice. La psychologie de Liam / Luna est explicitée : « Si Liam pouvait faire un seul vœu […] ce serait […] de renaître à l’endroit, dans le corps d’une fille » (p. 28). Le mot transgenre est préféré à transsexuelle, qui ne sera utilisé que deux fois. L’auteur utilise aussi des sigles, comme « TG » (transgenre), « SRS » (sex reassignment surgery), « FG » (filles génétiques), sans compter des appellations plaisantes de teen-agers. Luna est bien renseignée sur la question que ce soit les aspects physiques ou historiques ; Mme Doubtfire est même cité. L’auteur fait aussi un tour d’horizon de l’homophobie à l’américaine, puisque la plupart de ses personnages semblent ne jamais avoir entendu parler des transgenre, et coller sur Liam la seule étiquette qu’ils connaissent, homo dans le meilleur des cas, pédale sinon, voire, pour les mieux informés, travesti (p. 287). Où l’on voit que les films d’Almodovar n’ont pas dû traverser l’Atlantique !… Le principal reproche que l’on peut faire, en se mettant à la place de nos élèves, ce sont les longueurs. Sur les 369 pages, on aurait pu en économiser 100. En effet, les scènes de sorties de Luna sont répétitives, et surtout la chronique des inhibitions et des actes manqués de Regan est interminable, sans compter la vie intime mille fois lue d’une famille d’Étasuniens moyens, forcément médiocres et si peu doués pour le dialogue. La scène de ratage de la liaison de Chris et Regan est rejouée à satiété, et ce rôle est tellement usé dans le roman de jeunesse, qu’on meurt autant d’envie de sauter des pages qu’elle de sauter au cou de Chris. Les explicitations de la personnalité de Liam également, sont répétitives, du moins le lecteur français, même jeune, est-il capable de comprendre à la première explication. Cela fait penser à une blague sur les blondes du père : un aveugle s’apprête à en raconter une, quand on lui fait remarquer qu’il est entouré de cinq championnes d’arts martiaux ou d’haltérophilie, toutes blondes. On lui demande s’il souhaite vraiment dire sa blague, alors il renonce parce qu’il ne veut pas « être obligé de l’expliquer cinq fois » (p. 199). Par contre, à aucun moment il ne sera question de l’attirance de Luna pour un garçon, comme si l’auteur avait voulu racheter l’audace de son sujet par un comportement moralement irréprochable de l’héroïne. La traduction d’Alice Marchand se lit bien, même si on se demande s’il y a une volonté dans l’expression « rire dans sa barbe » qui revient fréquemment, pour Regan, mais aussi une ou deux fois pour Liam / Luna ! Terminons par l’une des nombreuses explicitations de Regan : « Non ! Il n’est pas attiré par les filles, d’accord ? Il aime les garçons. Comme moi. Ça ne veut pas dire qu’il est homo. Il est aussi hétéro que moi parce qu’au fond de lui, c’est une fille, papa. Comme moi. Tu as deux filles, tu piges ? » (p. 187). Pigé ?

 Lire, sur « Culture et Débats » le point de vue de Jean-Yves.
 Lire la critique de Le Garçon bientôt oublié, de Jean Noël Sciarini, paru en 2010.
 Livre réédité par Milan en 2016 sous le titre Cette fille, c’était mon frère.

Lionel Labosse

© altersexualite.com 2007


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