Accueil > Livres pour les jeunes et les « Isidor » HomoEdu > Entrevues d’auteurs > Entrevue d’Alexandra Augst-Merelle & Stéphanie Nicot

Le temps de la résignation est passé !

Entrevue d’Alexandra Augst-Merelle & Stéphanie Nicot

Auteures de Changer de sexe, Identités transsexuelles

vendredi 6 avril 2007

Au lieu de pleurnicher et de jouer la victimisation, les Trans doivent prendre toute leur place au sein de la communauté LGBT.

Une fois qu’on aura admis la diversité infinie des identités, des façons d’être et des sexualités, toutes ces interrogations cesseront d’elles-mêmes. En réalité, être soi, c’est tout ce qui importe. Et non coller à quelque norme que ce soit pour faire plaisir aux réducteurs de têtes !

Rappelons que Stéphanie Nicot est enseignante.

 Merci d’avoir accepté de répondre à quelques questions suite à la parution de votre ouvrage Changer de sexe, Identités transsexuelles. Malgré le sous-titre, vous contestez l’emploi du mot « transsexuel » au profit de « transgenre ». Quelles sont les limites : un homme ou une femme androgyne, un garçon efféminé, un artiste transformiste sont-ils transgenre ?
 Nous rejetons le terme transsexuel(le) parce qu’il a été créé délibérément pour jeter la confusion entre sexualité et identité… Nous traiter de « Trans-sexuelles » a pour objectif de nous faire passer pour des perverses et des obsédées. Putes ou cinglées, c’est le choix qu’on nous a longtemps offert ! La question des limites ne se pose donc que pour les adeptes des normes, des petites cases et du totalitarisme. Est femme qui se définit comme telle. Est transgenre toute personne qui refuse de se comporter ou de se définir de façon stéréotypée dans des rôles homme ou femme définis de façon binaire. Le genre est auto-déclaratif !

 L’expression « syndrome de Benjamin » est absente de votre ouvrage. Pourquoi ?
 Parce que ce prétendu « syndrome » n’existe pas, tout simplement ! C’est l’un des nombreux mythes qui ont permis de faire passer les Transgenre pour des malades mentales afin de mieux les réprimer ! Si les pires transphobes y font référence, ce n’est pas par hasard… Être Trans est simplement une façon d’être, incompatible avec une certaine norme sociale qui juge nécessaire de diviser la population en deux castes arbitrairement définies au regard de l’appareil génital. Ça n’est donc rien de pathologique. Que des groupes Trans aient cru bon de se faire passer pour des malades pour susciter la pitié les regarde. Mais ces temps sont révolus : nous exigeons aujourd’hui le respect de nos droits… Maintenant, si des gens ont vraiment un « syndrome », qu’ils se soignent, mais qu’ils n’imposent pas leurs délires aux autres !

 Après sa transition, une Trans MtF, est-elle une femme cisgenre, ou reste-t-elle transgenre ?
 À notre connaissance, une femme cisgenre n’a pas de prostate. Une Trans si… Reste que personne ne regarde notre prostate avant de nous appeler monsieur ou madame ! On reste Trans à vie, quoi qu’il en soit, qu’on le veuille ou non, par sa morphologie mais aussi son passé qui impacte nécessairement notre façon d’être. Les Trans qui n’arrivent pas à vivre avec cette réalité sont condamnées à la souffrance ou au délire.

 L’orientation sexuelle et l’identité de genre sont bien sûr deux domaines distincts, mais n’y a-t-il pas un point commun ?
 Lequel ? Peut-être avoir une marge de liberté plus importante ? Pouvoir réfléchir de façon plus sereine à la part de bisexualité en chaque être humain ?

 Le vrai débat pour une personne transgenre est-il de « changer de sexe », ou bien de refuser d’être assigné à un genre ?
 Changer de sexe est évidemment une formule simplificatrice. En réalité, une personne transgenre, lors de sa transition, assume son genre et le vit désormais socialement. Elle le montre, le fait accepter et reconnaître par les autres. Une Transgenre refuse, dans les faits, d’être assignée de force au rôle social culturellement (et arbitrairement) associé à son sexe de naissance. Vivre son genre, c’est un droit imprescriptible et comme tout droit imprescriptible, il ne se mendie pas. Mais il y a de multiples façons de vivre son genre, de l’exprimer, de le décliner. Etre soi, c’est tout ce qui compte. Nous défendons la liberté de chacun(e) de se définir et de vivre comme il l’entend !

 N’y a-t-il pas dans le milieu Trans la même différence de classe entre celles qui peuvent se payer une opération et les autres, que chez les homos, entre ceux ou celles qui ont les moyens de se payer une PMA ou une mère porteuse pour devenir parents, et ceux qui se débrouillent avec les moyens du bord ?
 C’est bien pour en finir avec cette inégalité que nous avons fondé l’Association nationale transgenre. En 2007, une Transgenre qui dispose d’un statut culturel, d’un statut social, d’un bon réseau social et amical, peut réussir sa transition assez facilement, c’est-à-dire sans contrôle psychiatrique, sans produit dangereux imposé, sans perdre son emploi, et — si elle désire se faire opérer — en bénéficiant à l’étranger (Munich, Bangkok et Chonburi sont actuellement les meilleures adresses) d’une vaginoplastie de qualité offrant une esthétique de qualité et permettant de conserver une capacité orgasmique. Pour les Trans démunies, c’est la descente aux enfers : contrôle psychiatrique humiliant, infantilisant et de longue durée, renoncement à sa liberté (c’est le psychiatre qui décide si vous êtes Trans ou non, si on vous donne des hormones ou non, si on vous opère ou non !), prescription de produits hormonaux dangereux, et pour finir castration effectuée en France, un pays où il n’existe aucune équipe spécialisée en vaginoplastie !
Nous allons sans doute choquer une partie de vos lecteurs (surtout les collègues de Stéphanie !) : si nous n’avions pas eu ces atouts sociaux, nous aurions trouvé plus conformes à notre dignité humaine de nous prostituer pour financer notre parcours que d’accepter de subir le moindre contrôle psychiatrique et les monstrueuses castrations à la française ! Nous avons donc une pensée pour nos sœurs qui y sont conduites pour protéger leur liberté par la faute de l’État français et des psychiatres à son service !

 Si la société humaine était moins normative, ne croyez-vous pas que certains homosexuels seraient plutôt transgenre, et vice-versa ? En d’autres termes : certains homos ne sont-ils pas des Transgenre honteuses, et est-ce que certaines Transgenre notamment certaines MtF hétéros, ont choisi cette voie parce que pour elles elle était paradoxalement moins transgressive que d’accepter d’être simplement homo ?
 Votre question scandalisera un certain nombre de Transgenre, mais pas nous. Certes, selon les psys transphobes, les MtF seraient des homosexuels passifs efféminés qui ne s’assument pas ; cette thèse est celle d’une Colette Chiland ou d’un Mustapha Safouan qui s’horrifie (Contribution à la psychanalyse du transsexualiste) d’une « absence […] « tantalisante » au plus haut point » sic ! Outre une homophobie passée de saison, cette vision (au sens de délire…) est démentie par le nombre impressionnant de Trans bisexuelles, voire qui se définissent avec humour comme omni-sexuelles… Les psys flirtant régulièrement avec le déni et subissant un contre-transfert massif lié à leur refus d’assumer leur propre bisexualité (ils ont mal lu Freud, visiblement !), la bisexualité fréquente des Trans (nous le découvrons à rencontrer sur le terrain la communauté réelle) fait voler en éclat cette « explication » qui n’en est pas une (ce qui serait d’ailleurs plus intéressant de chercher à expliquer, c’est l’origine de la transphobie des psys, mais passons !).

En revanche, dans le cadre actuel des discriminations organisées par l’État et soutenues par les psys à leur service, un discours normatif peut amener des personnes qui ont honte de leur homosexualité à trouver dans une trans-identité hyper normée (du style : je suis devenue une « vraie femme », donc j’aime faire l’amour avec des hommes, donc je suis dégoûtée par le lesbianisme qui est « contre-nature »…) une façon paradoxalement « normale » de vivre leur amour des mâles ! Ce genre de processus peut exister, mais relativement à la marge. Il est d’ailleurs totalement iatrogène, c’est-à-dire le produit direct de l’offre de « soins » psychiatriques destinés à rendre toute personne s’affirmant transgenre « homosexuelle » avant l’opération et « hétérosexuelle » après l’opération, comme ils disent. Ces psychiatres délirent largement autant que leurs patientes puisqu’ils en arrivent à appeler la MtF « Monsieur » avant sa vaginoplastie et « Madame » le lendemain ! Comme si la perte d’un pénis et la construction d’un néo-vagin avec ledit pénis modifiait l’identité sociale et la nature de l’attirance sexuelle d’une personne… Confusion et brouillage. Comme auraient dit Mulder et Scully, la vérité est ailleurs !
En réalité, une fois qu’on aura admis la diversité infinie des identités, des façons d’être et des sexualités, toutes ces interrogations cesseront d’elles-mêmes. En réalité, être soi, c’est tout ce qui importe. Et non coller à quelque norme que ce soit pour faire plaisir aux réducteurs de têtes !

 Lorsqu’une femme trans évoque son passé d’homme, ou vice-versa, préférez-vous qu’elle parle d’elle au masculin ou au féminin ? (Quand j’étais footballeuse / footballeur) ?
 Nous n’avons jamais rien à préférer à la place des autres ! Alexandra parle au masculin lorsqu’elle évoque une période antérieure à sa transition alors que Stéphanie utilise systématiquement le féminin… Pour nous, c’est un détail, une pure convention. Nous avons exactement la même vision des choses : nous avons eu une période dans notre vie où nous vivions (mal) dans le rôle social masculin… Et maintenant nous vivons (bien) dans le rôle social féminin.

 En tant que militantes, vous réclamez la fin de la mention du sexe sur les documents d’état civil. Pourquoi n’allez-vous pas aussi loin dans votre ouvrage ?
 Notre ouvrage n’est pas un ouvrage « militant ». C’est un état des lieux et une présentation la plus objective possible de ce qu’est vraiment la trans-identité. Nous avons justement voulu éviter d’avancer des idées que nous considérons comme justes mais qui sont des objectifs à plus long terme (pour tout le monde, et pas uniquement les Trans ; car en quoi l’État devrait-il mentionner sur les papiers le type de gonades que les individus ont sous leurs vêtements ?). L’urgence, surtout pour les Trans en difficulté sociale, c’est d’obtenir sur simple demande des papiers d’identité qui ne violent pas leur droit à la vie privée en les « outant » (L’outing consiste à révéler, contre la volonté de la personne concernée, sa sexualité ou son genre). Pour permettre à chacun(e) de voir sa privée respectée, pour accéder plus facilement à un emploi, et pour avoir des droits égaux à ceux de tout autre citoyen(ne). Et aussi pour pouvoir exercer ses droits de citoyennes. Alexandra a voulu s’inscrire sur les listes électorales : refus ! Et donc refus de lui accorder le droit de vote. Motif : ses papiers courants (ceux qui attestent son domicile !) sont bien sûr au prénom d’Alexandra alors que sa carte d’identité reste à son ancien prénom et mentionne toujours : sexe masculin ! Voilà ce que l’État français ose faire, en France, en 2006, aux Transgenre : si elles ont réussi à obtenir la reconnaissance de leur genre et leur nouveau prénom sur la plupart des documents de la vie courante, l’État le leur fait payer en leur refusant le droit de vote. Si Stéphanie déménage et doit se réinscrire un jour dans une autre ville, elle perdra son droit de vote pour les mêmes raisons qu’Alexandra ! Qu’en pense monsieur Nicolas Sarkozy, Ministre de l’Intérieur, chargé des élections ?

 Vous êtes bien conciliantes avec le mouvement gay. Les trans ne sont-ils/elles pas toujours la catégorie oubliée ? Ne serait-il pas temps que le slogan affiché en tête d’une Gay Pride soit consacré aux Trans ?
 Conciliantes ? Non, objectives. Si nous avions été gays, aurions-nous eu envie de nous afficher aux côtés de personnes qui s’affirmaient atteintes d’un inquiétant « syndrome », d’un « trouble mystérieux » ou d’une « maladie mentale » ? En Lorraine, l’Association nationale transgenre — l’association que nous avons fondée — a immédiatement été intégrée, aussi bien par les gays que les lesbiennes, comme membre titulaire du comité d’organisation de la marche LGBT. Un an après, Homonyme, association LGBT de Nancy, nous accueillait dans ses locaux comme association partenaire et la plate-forme de l’Association nationale transgenre était intégrée dans la plate-forme LGBT commune !
Au lieu de pleurnicher et de jouer la victimisation, les Trans doivent prendre toute leur place au sein de la communauté LGBT. Alors, et alors seulement, s’il y a encore quelques gays pas nets, on règlera publiquement le problème (nous songeons aux propos inacceptables d’un responsable gay connu justifiant le suivi psychiatrique des Trans ! Nous lui conseillons de revoir sa copie au plus vite !).

 Vous êtes sévères avec les psychiatres et les chirurgiens. Comme pour bien d’autres questions dans le domaine médical (la souffrance, par exemple), la transphobie ne trouve-t-elle pas son origine dans les textes religieux, notamment le fameux verset interdisant d’utiliser les vêtements de l’autre sexe (Deutéronome, XXII, 5) ?
 Que des fanatiques en soient encore, en 2006, à chercher dans des textes datant de 15 ou 20 siècles une caution à leur haine de la différence (en général parce qu’elle renvoie à leur part d’ombre !), cela nous navre. Que, comme vous le soupçonnez, une part non négligeable des psychiatres et des chirurgiens transphobes puisent dans ce fatras de haine les bases de leur détestation des Trans, c’est pitoyable. Ce n’était pas la peine de faire des études à Bac + 10 : psalmodier des textes sacrés (ceux de Lacan, par exemple !) leur suffit ! Mais que des gouvernants et des élus de la République française en soient eux aussi encore à ce stade pose un problème, y compris de laïcité !

 Quels sont les partis politiques qui se soucient des Trans ; que proposent-ils ?
 Aucun responsable national, à ce jour, à notre connaissance ! Comme nous sommes quelques dizaines de milliers d’abstentionnistes obligées, ils s’en moquent ! La dignité humaine, ça n’a pas trop l’air de les préoccuper, hormis quelques élus locaux et régionaux qui commencent à réagir… On verra ce qu’en diront les candidats à la Présidentielle !

 Quels sont les actes discriminatoires qui vous semblent le plus préjudiciables et auxquels vous souhaiteriez mettre fin par une modification de la loi ?
 Nous ne demandons pas de loi. Des décrets suffisent ! Nous voulons un changement d’identité gratuit, automatique et sur simple demande dès qu’une personne transgenre en formule la requête. Sans humiliation (expertise psychiatrique) et sans agression sexuelle (plus d’obligation de se dénuder entièrement, plus de doigt dans le vagin, etc.). Et tout le reste suivra !

 Pour faire bouger la législation, quelle stratégie envisagez-vous sur le plan judiciaire ?
 Tout ce que le droit français et européen nous offre comme possibilité de recours. Le temps de la résignation est passé et nous allons systématiquement engager des campagnes publiques et des procédures judiciaires à chaque discrimination avérée, à chaque abus de pouvoir, à chaque refus de respecter notre vie privée… Et qu’on ne vienne pas pleurer ensuite à une judiciarisation à l’anglo-saxonne ! Nous allons rendre public (c’est légal : les fonctionnaires sont tenus de rendre compte au peuple de leurs actes !) le nom de ceux qui réclameront des expertises génitales et ceux des médecins qui s’y livreront… Les fonctionnaires et les experts sont mandatés au nom du peuple français ? Alors, il est bon que le peuple français sache dorénavant ce qu’on nous fait en son nom !

 Et pour faire bouger les mentalités, avez-vous des propositions ?
 Elles ont déjà extraordinairement bougé en France ! Si Alexandra a pu engager sa transition à 27 ans et si Stéphanie a dû attendre 50 ans, c’est bien parce que les conditions sont aujourd’hui réunies alors qu’elles ne l’étaient pas avant la fin des années 90 (sinon via la prostitution obligée et la marginalisation sociale). Le problème n’est pas tant de faire bouger les mentalités que d’amener les élites retardataires (gouvernements, élus, magistrats, corps médical…) à s’aligner sur le bon sens de M. et Mme tout le monde : accepter tranquillement ce que nous sommes !

 En conclusion, que pensez-vous de la réponse de Tirésias à la question : « Qui de l’homme ou de la femme ressent dans l’amour la plus grande jouissance ? », et de l’attitude d’Héra, qui le frappe de cécité pour avoir affirmé que la femme ressent neuf fois plus de plaisir ?
 Les mythologies sont toujours amusantes et parfois instructives. En réalité, qui peut répondre à une telle question, sinon de façon ludique ? Personne n’est dans le corps et surtout dans le cerveau de l’autre ! Aucun être humain ne peut ressentir la même chose qu’un autre. Pour citer Ronald Laing : « on ne peut pas faire l’expérience de l’expérience de l’autre ». Ces spéculations relèvent à notre sens de la métaphysique. Nous nous situons, pour notre part, dans le champ du réel, de la vérification pratique, de la dignité humaine et, pour aller à l’essentiel du message de notre livre, de la liberté !

Nancy, le 24 janvier 2007.

Alexandra Augst-Merelle & Stéphanie Nicot

 Pour en savoir plus et contacter Alexandra et Stéphanie, voir le site de l’Association nationale transgenre, ou appeler sur le mobile de l’association : 06 25 40 59 21.

Propos recueillis par Lionel Labosse. Voir mon article sur l’altersexualité pour une réflexion sur le couple cisgenre/transgenre. Lire une entrevue de Vincent Guillot.


Voir en ligne : Association nationale transgenre


© altersexualite.com 2007