Accueil > Culture générale et expression en BTS > Le détour, textes et idées pour le français en BTS
Homère, Cocteau, Bouvier, Multatuli, Shakespeare…
Le détour, textes et idées pour le français en BTS
Thème au programme en 2009 et 2010
jeudi 16 juillet 2009
Pour abonder la mine de textes versés par les enseignants de français au pot commun d’Internet, voici deux sujets de BTS blanc concoctés cette année, et quelques idées de textes qui ont plus ou moins marché. Pour ceux qui ne connaissent pas le principe, voici : depuis une réforme récente (2004 ou 2005 je crois), le programme de l’épreuve de « culture générale », qui, allez savoir pourquoi, est toujours enseignée par des profs de français, contient deux sujets imposés, dont un est changé chaque année, comme le programme de littérature en terminale. Une des multiples augmentations de travail qui s’abattent sur le pauvre prof de français obligé de refaire ses cours tous les ans (plus la retraite à 65 ans, plus la « reconquête du mois de juin » après celle du mois de septembre, plus la quasi-obligation d’être rivé à son courriel 24h/24, le grignotage annoncé des soirées et des vacances scolaires « pour la réussite des élèves dans les quartiers », etc., etc., et avec la mauvaise conscience qui nous retient de protester…) Bref, échangeons nos ressources, pour alléger la masse de travail de chacun… Voir aussi un article sur le thème « Génération(s) ».
Un sujet de BTS blanc sur le thème du Détour
Commentaire : les documents 2 et 3 se trouvent déjà dans toutes les anthologies, raison pour laquelle je ne donne pas de « chapeau » explicatif. L’extrait pourtant célèbre de N. Bouvier n’était pas encore disponible entièrement sur Internet au moment où j’ai concocté ce sujet. L’extrait de Multatuli est un apport personnel, un auteur que j’ai découvert suite à un Voyage en Indonésie.
Première partie : synthèse (40 pt)
Les avantages du détour pour mieux atteindre son but.
Vous rédigerez une synthèse objective et ordonnée des documents suivants.
• Document n°1. :
L’Usage du Monde, Nicolas Bouvier, 1963, Avant-propos.
• Document n°2 :
Théorie Positive du Capitalisme, extrait, Eugen von Böhm-Bawerk (1851-1914), 1929.
• Document n°3.
Max Havelaar, roman de Multatuli, 1860. Extrait p. 163 / 164. Labor, Actes Sud, traduit du néerlandais par Philippe Noble.
• Document n°4.
Bellone ou la Pente de la guerre, Roger Caillois, 1963, extrait.
Deuxième partie : Écriture Personnelle (20 pt)
« On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. » Selon vous, le détour, dans tous les domaines, est-il une perte de temps et d’énergie ou, au contraire, un moyen de parvenir plus efficacement au but qu’on s’est fixé ?
Vous répondrez à cette question dans un développement composé en vous appuyant sur les documents du corpus, sur ceux étudiés en cours et sur vos connaissances personnelles.
Document n° 1 : L’Usage du Monde, de Nicolas Bouvier, 1963.
Récit du voyage effectué par deux jeunes Suisses, Nicolas Bouvier et Thierry Vernet, avec une petite voiture, de la Yougoslavie à l’Afghanistan, entre juin 1953 et décembre 1954. Pour gagner le peu d’argent nécessaire au fil du voyage, Thierry Vernet vend des peintures et Nicolas Bouvier écrit des articles pour des journaux suisses ou autres, fait des conférences, donne des cours de français… Cet ouvrage-culte de Nicolas Bouvier est paru dix ans après. Dans l’avant-propos, Nicolas Bouvier propose une réflexion sur le sens du voyage.
Avant-propos
Genève, juin 1953 — Khyber Pass [1], décembre 1954.
J’avais quitté Genève depuis trois jours et cheminais à toute petite allure quand à Zagreb, poste restante [2], je trouvai cette lettre de Thierry :
Travnik, Bosnie, le 4 juillet.
« Ce matin, soleil éclatant, chaleur ; je suis monté dessiner dans les collines. Marguerites, blés frais, calmes ombrages. Au retour, croisé un paysan monté sur un poney. Il en descend et me roule une cigarette qu’on fume accroupis au bord du chemin. Avec mes quelques mots de serbe je parviens à comprendre qu’il ramène des pains chez lui, qu’il a dépensé mille dinars pour aller trouver une fille qui a de gros bras et de gros seins, qu’il a cinq enfants et trois vaches, qu’il faut se méfier de la foudre qui a tué sept personnes l’an dernier.
« Ensuite je suis allé au marché. C’est le jour : des sacs faits avec la peau entière d’une chèvre, des faucilles à vous donner envie d’abattre des hectares de seigle, des peaux de renard, des paprikas, des sifflets, des godasses, du fromage, des bijoux de fer-blanc, des tamis de jonc encore vert auxquels des moustachus mettent la dernière main, et régnant sur tout cela, la galerie des unijambistes, des manchots, des trachomeux [3], des trembleurs et des béquillards.
« Ce soir, été boire un coup sous les acacias pour écouter les Tziganes qui se surpassaient. Sur le chemin du retour, j’ai acheté une grosse pâte d’amande, rose et huileuse. L’Orient quoi ! »
J’examinai la carte. C’était une petite ville dans un cirque de montagnes, au cœur du pays bosniaque. De là, il comptait remonter vers Belgrade où l’« Association des peintres serbes » l’invitait à exposer. Je devais l’y rejoindre dans les derniers jours de juillet avec le bagage et la vieille Fiat que nous avions retapée, pour continuer vers la Turquie, l’Iran, l’Inde, plus loin peut-être… Nous avions deux ans devant nous et de l’argent pour quatre mois. Le programme était vague, mais dans de pareilles affaires, l’essentiel est de partir.
C’est la contemplation silencieuse des atlas, à plat-ventre sur le tapis, entre dix et treize ans, qui donne ainsi l’envie de tout planter là. Songez à des régions comme le Banat [4], la Caspienne, le Cachemire, aux musiques qui y résonnent, aux regards qu’on y croise, aux idées qui vous y attendent… Lorsque le désir résiste aux premières atteintes du bon sens, on lui cherche des raisons. Et on en trouve qui ne valent rien. La vérité, c’est qu’on ne sait comment nommer ce qui vous pousse. Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu’au jour où, pas trop sûr de soi, on s’en va pour de bon.
Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait.
…Au dos de l’enveloppe, il était encore écrit : « mon accordéon, mon accordéon, mon accordéon ! »
Document n° 2. Eugen von Böhm-Bawerk (1851-1914), Théorie Positive du Capitalisme, 1929.
Un campagnard a besoin d’eau potable et en désire. La source jaillit à une certaine distance de sa maison. Pour se procurer l’eau dont il a besoin, il peut employer différents moyens. Ou bien il ira lui-même chaque fois à la source et il boira dans le creux de sa main. C’est le moyen le plus direct. La jouissance est obtenue immédiatement après la dépense de la peine. Mais il est incommode car notre homme doit journellement faire le chemin jusqu’à la source autant de fois qu’il aura soif ; il est en outre, insuffisant car de cette façon, on ne peut jamais recueillir et conserver la quantité d’eau assez grande dont on a besoin pour toutes sortes d’usages. Ou bien – et c’est le second moyen — le laboureur creuse dans un bloc de bois un seau dans lequel il portera en une fois de la source à la maison l’eau nécessaire pour la journée. L’avantage est évident, mais, pour l’obtenir, il a fallu se servir d’un moyen détourné qui a son importance. L’homme a peut-être dû passer toute une journée pour tailler le seau et, pour pouvoir le tailler, il a dû auparavant abattre un arbre dans la forêt ; pour pouvoir faire cela, il lui a fallu d’abord fabriquer une cognée [5] et ainsi de suite.
Mais notre campagnard a encore un troisième moyen à sa disposition ; au lieu d’abattre un arbre, il en abat une quantité, il les creuse tous au milieu et en fait un canal par lequel il amène devant sa maison un filet abondant de l’eau de la source. Il est clair qu’ici le détour qui va de la dépense de travail à l’acquisition de l’eau est encore bien plus considérable mais en revanche, il a conduit à une amélioration : notre homme n’a plus du tout besoin maintenant de faire péniblement le chemin qui sépare sa maison de la source et il a cependant à chaque moment, chez lui, une quantité abondante d’eau fraîche.
L’enseignement est clairement celui-ci : on réussit mieux en créant des biens d’usage par des moyens détournés qu’en les produisant directement.
Document n° 3. Max Havelaar, roman de Multatuli, (1860).
Longtemps avant d’être le nom d’une association prônant le commerce équitable, Max Havelaar était un roman écrit en 1859 par Eduard Douwes Dekker sous le pseudonyme de « Multatuli ». Il raconte l’histoire d’un fonctionnaire colonial néerlandais nommé Max Havelaar, qui se révolte contre l’oppression que subit le peuple javanais dans les Indes néerlandaises, une colonie des Pays-Bas (devenue l’Indonésie). Ce roman fit scandale à sa parution. Dans cet extrait qui constitue une digression, le narrateur s’adresse au lecteur.
Un petit détour par Amsterdam, la statue de Multatuli, avant de commencer ?
« Non, vu à la loupe de ma vanité d’écrivain, même un de ces chapitres « de divertissement » me paraît capital, que dis-je, indispensable, et si, l’ayant sauté, vous n’aviez pas pour mon livre l’estime requise, je n’hésiterais pas à vous faire remarquer que cette omission vous interdit de porter un jugement, puisque vous n’aviez justement pas vu l’essentiel. Ainsi tiendrais-je pour essentiel — car je suis homme et écrivain — tout chapitre que vous eussiez laissé de côté, dans votre impardonnable frivolité de lecteur.
J’imagine que votre femme vous demande « il est bien, ce livre ? » et que vous lui répondez par exemple — horribile auditu [6] pour moi — avec l’abondance verbale propre aux hommes mariés : « Euh… oh… je ne sais pas encore. »
Eh bien, barbare, poursuivez votre lecture ! Vous êtes à l’orée du passage le plus important. Et, la lèvre tremblante, je vous dévore des yeux, je mesure l’épaisseur des pages que vous avez tournées, et je cherche sur vos traits le reflet de ce chapitre « qui est si beau… »
Non, me dis-je, il n’y est pas encore. Bientôt il va sursauter et, transporté d’émotion, étreindre quelque chose, sa femme peut-être…
Mais vous continuez à lire. Vous avez déjà dû dépasser le « beau chapitre », me semble-t-il. Vous n’avez pas marqué le plus petit sursaut, vous n’avez rien étreint…
Et, sous votre pouce droit, la pile de pages s’amenuise, et s’amincit mon espoir de voir cette étreinte… oui, vraiment, j’avais même compté sur une larme !
Et vous avez lu le roman jusqu’à la fin, jusqu’à la page où « ils sont enfin réunis » et vous dites en bâillant — autre manifestation de l’éloquence conjugale :
« Voilà… voilà… C’est un livre qui… euh ! Bof, on en écrit tant de nos jours ! »
Mais ne savez-vous donc pas, monstre, tigre, Européen, lecteur, ne savez-vous donc pas que vous venez de passer une heure à mordiller mon esprit comme un cure-dents ? À ronger et à mâcher la chair et les os d’un de vos congénères ? Cannibale, il y avait là mon âme, que vous avez ruminée comme un vil fourrage ! C’était mon cœur, que vous avez gobé comme une friandise ! Car dans ce livre, j’avais mis et mon cœur et mon âme, et tant de larmes avaient coulé sur ce manuscrit, et mon sang se retirait de mes veines à mesure que j’avançais, et tout cela, je vous l’ai offert en pâture et vous l’avez acheté pour quelques sous… et vous avez le front de dire : « euh ! ».
Le lecteur aura compris que je ne parle pas ici de mon livre. »
Document n°4. Bellone ou la Pente de la guerre, Roger Caillois, 1963, extrait.
Éthique de la guerre
Si un prince ou un général se trouve obligé à la guerre, il doit du moins s’efforcer de la gagner sans verser le sang, c’est-à-dire sans livrer bataille. Il prouve de cette manière son habileté. Sun-tsé [7] lui explique qu’il parviendra ainsi à l’excellence. Un stratège averti sait vaincre sans courir le risque du combat, où il compromet tout, inutilement et sans profit. Il a pour principe qu’on n’est jamais vaincu que par sa faute et qu’on n’est jamais vainqueur que par la faute des ennemis. Il regarde la victoire comme le résultat naturel du savoir-faire et de la vertu. Il dédaigne les vains titres de vaillant, de héros, d’invincible. Il met plutôt sa gloire à éviter la moindre faute : le triomphe suit nécessairement. L’art de la guerre consiste à humilier, à déconcerter et à lasser l’adversaire. […]
Parmi les cinq périls dont un général doit se garder figurent avec l’excès de prudence et la complaisance envers la troupe, la colère, le point d’honneur et jusqu’au goût d’affronter la mort (Sun-tsé, art. VIII). En revanche, Sun-tsé recommande d’aplanir les obstacles sur le chemin qu’on désire voir prendre à l’adversaire ; il conseille de le troubler, de l’inquiéter, de l’affamer, de le corrompre par des cadeaux et les flatteries ; il engage même à l’amollir par des airs de musique voluptueuse et en introduisant des courtisanes dans son camp […] (Sun-tsé, art. VI ; art. VIII). Tous les stratagèmes sont louables, s’ils aboutissent à décourager l’ennemi de combattre. Sun-tsé ne cache pas les profits qu’un général ingénieux retire de la ruse, de l’achat des troupes ou des officiers adverses, de l’espionnage, de l’art de semer la discorde dans le camp opposé. Il y parviendra notamment en répandant de faux bruits, en employant la calomnie, en faisant naître des soupçons injustes, en spéculant sur les passions, les faiblesses et les ambitions des chefs.
Sun-tsé revient à plusieurs reprises sur cet arsenal de subterfuges, auquel le dernier chapitre de son traité est consacré tout entier. Il y distingue cinq formes de division, au moyen desquelles on peut affaiblir et miner la puissance de l’ennemi : la division au-dehors, en travaillant la population ; la division au-dedans, en achetant les soldats ; la division entre les inférieurs et supérieurs, en excitant les premiers contre leurs chefs ; la division de mort, en intriguant à la Cour de l’adversaire ; et enfin la division de vie, en comblant de faveurs les transfuges [8]. De la sorte, conclut le théoricien : « Vous pourrez faire des conquêtes sans être obligé de monter à l’assaut, sans coup férir [9], sans même tirer l’épée. » (Sun-tsé, art. XIII). L’aversion pour les rencontres sanglantes devait évidemment avoir pour contrepartie une telle casuistique [10] de la ruse et de la trahison, où l’argent et le mensonge jouent les principaux rôles. Pourtant le courage n’en demeure pas moins tenu pour la qualité principale du guerrier et même comme la condition de son salut : « Tout homme de guerre doit regarder le champ de bataille comme le lieu où il doit finir ses jours ; s’il cherche à vivre, il périra ; s’il ne craint pas de mourir, sa vie est en sûreté. » (Ou-tsé, art. III)
Un autre sujet de BTS blanc sur le Détour
Voici un corpus à moitié inspiré de l’excellent ouvrage Top’Guide Hachette Éducation de Catherine Duffau.
Synthèse :
• Document n°1. :
« Un client amusé est un client séduit », Tiphaine Reto, Ouest France, 28 novembre 2007.
On trouvera ce texte ici dans une version légèrement différente de celle publiée dans l’ouvrage ci-dessus.
• Document n° 2 :
La Nuit des rois (1602), de William Shakespeare (1564-1616) ; extrait, Acte III, scène II. Traduction domaine public de François Guizot.
Un appartement dans la maison d’Olivia.
SIR TOBIE, SIR ANDRÉ et FABIAN.
Sir André est furieux parce qu’il a surpris Olivia, qu’il courtise, faisant très bon accueil à un jeune page (serviteur d’un duc qui la courtise également). Fabian et Sir Tobie, serviteur et oncle d’Olivia, tentent de raisonner Sir André en lui recommandant d’agir pour reconquérir Olivia.
FABIAN.— Elle n’a fait un favorable accueil à ce page, en votre présence, que pour vous exaspérer, pour réveiller votre valeur endormie ; que pour vous mettre du feu dans le cœur, et du soufre dans le foie. Vous auriez dû l’aborder alors ; et par quelques fines railleries [11] tout fraîchement frappées à la monnaie, vous auriez pétrifié et rendu muet le jeune page : voilà ce qu’on attendait de vous, et cela a été manqué ; vous avez laissé le temps effacer la double dorure de cette occasion ; et vous voilà voguant au pôle nord de la bonne opinion de ma maîtresse. Vous y resterez suspendu comme un glaçon à la barbe d’un Hollandais, à moins que vous ne rachetiez cette faute par quelque louable tentative de valeur ou de politique.
SIR ANDRÉ.— S’il faut tenter quelque chose, il faut que ce soit par la valeur, car je déteste la politique […].
SIR TOBIE.— Eh bien ! en ce cas, bâtis-moi donc ta fortune sur la base de la valeur. Envoie-moi un cartel [12] au page du duc ; bats-toi avec lui ; blesse-le en onze endroits. Ma nièce en tiendra note, et sois bien sûr qu’il n’y a point dans le monde d’entremetteur [13] d’amour qui puisse rendre un homme recommandable aux yeux d’une femme comme la réputation de valeur.
FABIAN.— Il n’y a pas d’autre parti que celui-là, sir André.
SIR ANDRÉ.— Voulez-vous, l’un de vous deux, lui porter mon défi ?
SIR TOBIE.— Allons, écris-le d’une écriture martiale [14] : sois tranchant et court. Peu importe qu’il soit spirituel, pourvu qu’il soit éloquent, et plein d’invention. Insulte-le avec toute la licence de l’encre. Si tu le tutoies deux ou trois fois, cela ne fera pas mal ; et accumule autant de démentis qu’il en pourra tenir dans ta feuille de papier, fût-elle assez grande pour servir de lit à la Ware, en Angleterre. Allons, à l’ouvrage ! qu’il y ait assez de fiel dans ton encre ; peu importe que tu écrives avec une plume d’oie : allons, à l’œuvre.
• Document n°3 :
« La technique de la crainte-puis-soulagement » in Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, Presses Universitaires de Grenoble, 2004.
Voici un chapeau inspiré de Wikipédia ; on trouvera le texte à la page 152 de l’ouvrage : Ces deux professeurs de psychologie sociale exposent, comme le titre l’indique, les techniques courantes de manipulation utilisées dans la vie quotidienne, l’enseignement, la politique, la vente, la publicité, le management, etc. En citant des recherches menées par leurs confrères, les auteurs procèdent à une description des mécanismes qui peuvent être mis en œuvre pour obtenir de tierces personnes sans aucune forme de persuasion des choses qu’elles n’auraient jamais concédées autrement..
La technique de la crainte-puis-soulagement
Comment oublier l’ambiance trouble et malsaine de ces scènes d’interrogatoire relatées dans des ouvrages sur l’occupation nazie, sur la Russie de Staline, sur le Chili de Pinochet ou régulièrement mis en images dans des films de guerre ou dans des films policiers ? On commence par faire peur, très peur, et là tout est bon : insultes, menaces de torture, de passage à tabac, de coups de fouet, etc. Et puis, alors que l’accusé s’attend au pire, le « méchant » disparaît et avec lui insultes et menaces. Le fouet, retourne dans le tiroir, le ton de l’interrogatoire redevient humain. Le contraste est tel que le « gentil » apporte, par sa seule présence, un soulagement inespéré. Il n’est pas rare, les récits historiques en témoignent, d’obtenir alors les aveux qu’on n’avait pu arracher jusque-là. Le processus psychologique qui sous-tend ce phénomène n’est pas à rechercher dans la peur, mais dans la réduction soudaine de la peur et dans le soulagement qui en est la conséquence : « Ouf ! Je l’ai échappé belle. »
Dolinsky, dont nous venons juste de parler, et Nawrat, un autre chercheur polonais, furent les premiers à étudier expérimentalement une technique très proche, dans son principe, de celle utilisée dans les moments sombres que nous venons d’évoquer : la technique de la crainte-puis-soulagement. Ils ont montré dans cinq recherches, aussi ingénieuses les unes que les autres :
1. Que l’asymétrie de pouvoir (accusateur/accusé, employeur/employé, maître/élève, enfant/parent) n’était pas un pré-requis et…
2. Que cette technique pouvait déboucher sur tout autre chose que sur des aveux.
Nous rappellerons trois de ces recherches, impliquant des peurs différentes et visant des comportements de « soumission » différents.
La première recherche a été réalisée dans le sud de la Pologne, dans les rues d’Opole. À Opole, comme à Dolmos, il n’est pas rare de voir des automobilistes indisciplinés se garer à des endroits où le stationnement est, pourtant, formellement interdit. En revenant, ils trouvaient derrière l’essuie-glace de leur véhicule, une petite feuille de la taille et de la couleur d’un P.V. Dans un cas, il s’agissait d’une publicité pour Vitapan, un médicament miracle censé favoriser la repousse des cheveux, dans un autre d’une injonction à se rendre au poste de police pour infraction aux règles régissant le stationnement urbain. L’expérimentatrice, cachée non loin de là, laissait l’automobiliste prendre connaissance du contenu du message : soulagement pour certains mais pas pour d’autres. Puis elle s’introduisait :
— « Bonjour, je suis étudiante à l’université d’Opole. Voudriez-vous remplir un questionnaire pour moi ? Cela ne prendra que 15 minutes. » Si un inconnu vous a un jour demandé de participer à une enquête dans la rue, vous savez à quel point il est normal de passer son chemin. 62 % des personnes ayant été confrontées à la publicité ambitionnant de redonner espoir et charme aux chauves (condition de crainte-puis-soulagement) acceptèrent cependant d’aider l’étudiante, contre 32 % dans le groupe contrôle, groupe dans lequel les automobilistes n’avaient trouvé aucun papier sur leur pare-brise. Du simple au double donc. Rien de tel parmi les personnes assignées à comparaître au commissariat le plus proche : 8 % d’entre elles seulement se montrèrent serviables. Cette recherche indique donc clairement que c’est bien le soulagement, et non la peur en tant que telle, qui joue un rôle déterminant. La peur seule s’avère même ici totalement contre-performante.
• Document n°4 :
La diseuse de bonne aventure (1635), Georges de La Tour (1593-1652).
La Gitane (à droite) tend une pièce au jeune homme. Il devra la tenir dans la main tandis qu’elle lui révélera son avenir en le regardant dans les yeux.
On trouvera cette reproduction photographique sur l’article de Wikipédia consacré à Georges de La Tour.
Écriture personnelle
Faut-il toujours aller droit au but ? Vous répondrez à cette question dans un développement composé en vous appuyant sur les documents du corpus, sur ceux étudiés en cours et sur votre culture personnelle.
Un dernier sujet de BTS blanc sur le Détour : Les détours de la communication
Synthèse :
• Document n°1 :
Extrait de Fragments d’un discours amoureux, de Roland Barthes, Seuil, 1977, p. 51. (Texte trouvé dans l’excellent ouvrage Top’Guide Hachette Éducation de Catherine Duffau, mais repris sur l’original.)
1. X…, parti en vacances sans moi, ne m’a donné aucun signe de vie depuis son départ : accident ? grève de la poste ? indifférence ? tactique de distance ? exercice d’un vouloir-vivre passager (« Sa jeunesse lui fait du bruit, il n’entend pas. » [15] ? ou simple innocence ? Je m’angoisse de plus en plus, passe par tous les actes du scénario d’attente. Mais, lorsque X... resurgira d’une manière ou d’une autre, car il ne peut manquer de le faire (pensée qui devrait immédiatement rendre vaine toute angoisse), que lui dirai-je ? Devrai-je lui cacher mon trouble — désormais passé (« Comment vas-tu ? ») ? Le faire éclater agressivement (« Ce n’est pas chic, tu aurais bien pu... ») ou passionnément (« Dans quelle inquiétude tu m’as mis ») ? Ou bien, ce trouble, le laisser entendre délicatement, légèrement, pour le faire connaître sans en assommer l’autre (« J’étais un peu inquiet... ») ? Une angoisse seconde me prend, qui est d’avoir à décider du degré de publicité que je donnerai à mon angoisse première.
2. Je suis pris dans un double discours, dont je ne peux sortir. D’un côté je me dis : et si l’autre, par quelque disposition de sa propre structure, avait besoin de ma demande ? Ne serais-je pas justifié, alors, de m’abandonner à l’expression littérale, au dire lyrique de ma « passion » ? L’excès, la folie, ne sont-ils pas ma vérité, ma force ? Et si cette vérité, cette force, finissaient par impressionner ?
Mais, d’un autre côté, je me dis : les signes de cette passion risquent d’étouffer l’autre. Ne faut-il pas alors, précisément parce que je l’aime, lui cacher combien je l’aime ? Je vois l’autre d’un double regard : tantôt je le vois comme objet, tantôt comme sujet ; j’hésite entre la tyrannie et l’oblation [16]. Je me prends ainsi moi-même dans un chantage : si j’aime l’autre, je suis tenu de vouloir son bien ; mais je ne puis alors que me faire mal : piège : je suis condamné à être un saint ou un monstre : saint ne puis, monstre ne veux : donc, je tergiverse [17] : je montre un peu ma passion.
• Document n° 2 :
« Même le mot noir devient tabou, c’est de la pure folie » Le philologue [18] Georges Lebouc écharpe [19] et décortique le politiquement correct. Propos recueillis par Catherine Mallaval, Libération, 10 décembre 2007. (Trouvé dans l’excellente anthologie GF « Le Détour », ainsi que le dessin de Plantu ci-dessous ; on retrouvera cette entrevue sur ce site)
Vous rêvez de vous fondre dans le ronron de l’époque, en causant bien lisse, sans la moindre once de malice ? Vous aspirez à devenir le Mr. Propre du français, jamais en reste d’expressions javellisées comme « précipitations » (à croire que ça mouille moins que la pluie), « plan de sauvegarde de l’emploi » (nettement plus social que licenciements collectifs) ou « arts premiers » (plus distingués qu’arts primitifs), sans oublier « frappes chirurgicales » ou « dommages collatéraux » ? Le Parlez-vous le politiquement correct ? que vient de publier le Pr Georges Lebouc, et en particulier son lexique, vont devenir votre livre de chevet. Vous fulminez [20] quand on vous dit « cet apprenant souffrait d’un surcroît pondéral qui ne lui permettait pas de briller au cours des séquences de motricité », plutôt que « cet élève obèse ne pouvait pas briller au cours de gym » ? Georges Lebouc, philologue en retraite, mi-français, mi-belge, est aussi votre ami […]. Entretien.
– Quel comble du « politiquement correct » vous a poussé à écrire ce livre ?
– Le mot « océaniser », qui signifie couler un navire-poubelle, donc polluer les océans, me fait particulièrement bondir. Mais plus que tel ou tel mot, comme « partir » pour mourir, c’est la dérive du politiquement correct qui m’exaspère. Nous sommes en effet passés d’une volonté de ne pas choquer au délire. Tant qu’il s’agit de parler de malentendants, ou de déficients auditifs ou de handicapés auditifs plutôt que de sourds, de sourdingues, des durs de la feuille qui auraient les portugaises ensablées, passe. Même si hélas, malgré les miracles qu’il accomplit, le politiquement correct ne parviendra à réparer cette infirmité, ou plutôt ce handicap comme on dit maintenant. Bref, quand dans le même souci de ne pas choquer ou exclure on cherche à éviter des discriminations raciales, sexuelles ou sociales, par exemple en revalorisant (prétendument) certains métiers par une terminologie plus huppée [21] comme « technicien de surface » (balayeur) ou « hôtesse de caisse » (caissière)… pourquoi pas. Mais quand une institutrice se fait vilipender [22] lors d’une inspection parce qu’elle parle du tableau noir et que le mot noir devient à lui seul un tabou, c’est de la pure folie.
– Quels sont les domaines les plus affectés ?
– Tous le sont. Mais l’économie est un terrible domaine où les mots sont là pour éviter de dire les choses. Comme s’il était moins pénible d’être « licencié » ou « restructuré » que mis à la porte. Tous les substituts aux vilains mots sont bons : « réajuster » au lieu de dévaluer, « réaménager » plutôt que réduire, « ouverture du capital » à la place de privatisation, « lignes de production » en guise de travail à la chaîne… Quant aux anciens travailleurs à la chaîne, deviendront-ils des chômeurs ? Jamais ! Tout au plus des « demandeurs d’emploi » ou des « sans-emploi », voire des « personnes en cessation d’activité ou de travail », en « mise en disponibilité » ou même « mise en non-activité »…
– Mais comment ces mots sont-ils « aplatis » ?
– Ils reposent sur des procédés qui ne sont pas loin de devenir des tics. Comme le but est de ne pas appeler les choses, on recourt à des formulations négatives, comme « non »-apprenant (un cancre) ou « mal »-sachant, ou « contre »-performance (en fait, un échec), « sans »-abri (clodo), « dys »-fonctionnement (qui vaut tellement mieux qu’une bavure policière, par exemple).
Autre astuce tout aussi caricaturale, le recours au langage scientifique. Comme s’il était préférable de dire aliénation que folie, oncologie ou carcinologie que cancérologie. Il y a également l’utilisation de mots étrangers : on n’est plus un homosexuel montré du doigt quand on est gay. Sans oublier le recours aux acronymes [23], « HLM », « IVG », « HP »… De bien beaux euphémismes ! [24]
– D’où nous vient cette entreprise de lissage ?
– Des États-Unis dans les années 90. Il s’agissait alors principalement de lutter contre le racisme quand une classe moyenne de Noirs américains a vraiment commencé à émerger. L’expression politically correct qui découle de la political correctness nous vient de là.
– Pourtant, ce n’est pas une première dans l’histoire…
– Effectivement, ce ridicule a déjà existé sous la forme d’une préciosité dont Molière s’est moqué. Mais il s’agissait à cette époque-là et de briller dans la conversation et de raffinement, avec toutes sortes de métaphores succulentes. Ainsi il y avait le « conseiller des grâces », qui désignait un miroir, l’« antipode de la raison » pour une sotte, les « commodités de la conversation » pour des fauteuils, ou encore un « traître » pour parler d’un paravent. Mais l’oscar des expressions précieuses va sans conteste aux pauvres porteurs de chaise devenus des « mulets baptisés » !
– Ça va durer longtemps cette histoire ?
– En fait je crois que le XXe siècle a tellement été barbare qu’on avait peut-être besoin d’un épisode lénifiant [25]. Une dizaine de mots apparaissent encore tous les quinze jours. Mais c’est une mode. Et l’on passera brutalement à autre chose.
• Document n° 3 :
Extrait de Le Guépard, roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, (1896-1957), (1958, traduction de Fanette Pézard, Le Seuil).
L’action se situe en Sicile à l’époque du Risorgimiento (1860). Le prince Salina, patriarche d’une des plus grandes familles aristocratiques de Sicile, voit avec plaisir son neveu Tancrède, dont il est aussi le tuteur, tirer son épingle du jeu de la recomposition sociale entraînée par la révolution menée par Giuseppe Garibaldi. Ce neveu est amené à épouser la fille d’un bourgeois enrichi, don Calogero. Pour engager son oncle à entamer les négociations du mariage, Tancrède rédige une lettre utilisant toutes les ressources de la politesse et de la ruse, que son oncle est à même de décrypter.
« Avant même de révéler son secret, cette lettre en proclamait l’importance par de somptueux feuillets de papier glacé, par une calligraphie harmonieuse aux pleins et aux déliés soignés. Au premier coup d’œil, on y devinait l’aboutissement de bon nombre de brouillons incohérents. Le Prince n’y était pas appelé "Tonton", nom qui lui était devenu cher ; le sagace [26] garibaldien avait employé la formule : "Très cher oncle Fabrice", qui possédait de multiples mérites : celui d’éloigner tout soupçon de plaisanterie dès le pronaos [27] du temple, celui de faire comprendre à première vue l’importance de ce qui allait suivre, celui de permettre que l’on montrât la lettre à n’importe qui. Enfin un tel exorde [28] semblait se rattacher à d’antiques traditions païennes, qui attribuaient le pouvoir d’un lien incantatoire [29] au nom qu’on invoquait avec précision.
Le "très cher oncle Fabrice" était donc informé que son "très affectionné et dévoué neveu" était depuis trois mois la proie du plus violent amour ; que ni "les risques de la guerre" (lisez : les promenades dans le parc de Caserte) ni "les distractions sans nombre d’une grande ville" (lisez : les charmes de la danseuse Schwarzwald) n’avaient pu un seul instant éloigner de son esprit et de son cœur l’image de Mlle Angélique Sedara (ici, une longue profusion d’adjectifs exaltait la beauté, la grâce, la vertu, l’intelligence de la jeune fille aimée). À travers d’éblouissantes arabesques d’encre et de sentiments, il était exposé comment Tancrède lui-même, conscient de sa propre indignité, avait essayé d’étouffer son ardeur ("Bien longues et bien vaines furent les heures durant lesquelles, au milieu du vacarme de Naples et partageant l’austérité [30] de mes compagnons d’armes, j’ai cherché à réprimer mes sentiments"). Mais l’amour maintenant l’emportait sur la retenue, et Tancrède priait son oncle bien-aimé de vouloir, en son nom, demander la main de Mlle Angélique à "son estimable père". "Tu sais, oncle, que je ne peux offrir à l’objet de ma flamme que mon amour, mon nom et mon épée." Après cette noble phrase, qui montrait bien que l’on était en pleine période romantique, Tancrède s’abandonnait à de longues considérations sur l’opportunité, mieux : sur la nécessité, d’unions entre des familles comme celle des Falconeri et celle de Sedara (il allait même jusqu’à écrire quelque part, hardiment, "la maison Sedara") ; on devait les encourager pour l’apport de sang nouveau qu’elles transmettaient aux vieilles souches, et parce qu’elles concouraient à niveler les classes sociales, ce qui était présentement l’un des buts du mouvement politique italien. Ce fut la seule partie de la lettre que don Fabrice lût avec plaisir, non seulement parce qu’elle confirmait ses prévisions et lui conférait les lauriers du prophète, mais aussi (il serait méchant de dire "surtout") parce que le style, débordant de sous-entendus ironiques, évoquait comme par magie le visage de son neveu, la gaîté nasale de sa voix, ses yeux d’où jaillissait une malice azurée, ses petits ricanements courtois. Quand il s’aperçut que ce morceau jacobin [31] tenait sur une seule feuille, si bien que l’on pouvait facilement faire lire le reste de la lettre en soustrayant le chapitre révolutionnaire, l’admiration du Prince pour le tact de Tancrède ne connut plus de bornes. ».
– (à noter : cet extrait illustre également le thème Génération(s).)
• Document n°4 :
– Savoir-vivre administratif, dessin de presse de Plantu (né en 1951).
Documents de travail supplémentaires. Une séance sur l’analyse des rêves
La psychanalyse et les détours de l’inconscient.
– La Machine infernale
Dans La Machine infernale (1934), Jean Cocteau donne une version moderne du mythe d’Œdipe, influencée par la psychanalyse. Dans l’extrait proposé, Jocaste et Tirésias font leur entrée dans un dialogue burlesque (« Zizi » est le surnom que Jocaste donne à Tirésias). Jocaste raconte un rêve. Jouez au psychanalyste : interprétez le rêve de Jocaste en fonction des éléments du mythe, et de ce que Freud appelle « Complexe d’Œdipe ».
Jocaste, mystérieuse — Je ne dors pas.
Tirésias — Vous ne dormez pas ?
Jocaste — Non, Zizi, je ne dors pas. Le Sphinx, le meurtre de Laïus, m’ont mis les nerfs à bout. Tu avais raison de me le dire. Je ne dors plus et c’est mieux, car, si je m’endors une minute, je fais un rêve, un seul et je reste malade toute la journée.
Tirésias — N’est-ce pas mon métier de déchiffrer les rêves ?…
Jocaste — L’endroit du rêve ressemble un peu à cette plate-forme ; alors je te le raconte. Je suis debout, la nuit ; je berce une espèce de nourrisson. Tout à coup, ce nourrisson devient une pâte gluante qui me coule entre les doigts. Je pousse un hurlement et j’essaie de lancer cette pâte ; mais… oh ! Zizi… Si tu savais, c’est immonde… Cette chose, cette pâte reste reliée à moi et quand je me crois libre, la pâte revient à toute vitesse et gifle ma figure. Et cette pâte est vivante. Elle a une espèce de bouche qui se colle sur ma bouche. Et elle se glisse partout : elle cherche mon ventre, mes cuisses. Quelle horreur !
– L’Odyssée
Dans l’Odyssée, (VIIIe s. Av. J.-C.), Pénélope attend le retour d’Ulysse en repoussant les « prétendants ». À son retour, Ulysse se déguise en mendiant, et Pénélope le reçoit avec gentillesse, au cours d’une longue nuit que la déesse Athéna ménage. La narration utilise plusieurs détours avant qu’Ulysse soit reconnu : tout d’abord, la nourrice Euryclée nettoie les pieds de son invité. En reconnaissant une cicatrice faite par un sanglier sur la jambe d’Ulysse, elle comprend qu’il s’agit de son roi, mais promet de garder le secret. Ensuite, Pénélope raconte un songe à Ulysse. Jouez au psychanalyste, et interprétez les désirs inconscients révélés par ce songe. Dans quel but Homère a-t-il utilisé tous ces détours pour révéler l’identité d’Ulysse à Pénélope ?
Mais écoute, et interprète-moi ce songe. Vingt oies, sortant de l’eau, mangent du blé dans ma demeure, et je les regarde, joyeuse. Et voici qu’un grand aigle au bec recourbé, descendu d’une haute montagne, tombe sur leurs cous et les tue. Et elles restent toutes amassées dans mes demeures, tandis que l’aigle s’élève dans l’éther divin. Et je pleure et je gémis dans mon songe : et les Achéennes aux beaux cheveux se réunissent autour de moi qui gémis amèrement parce que l’aigle a tué mes oies. Mais voici qu’il redescend sur le faîte de la demeure, et il me dit avec une voix d’homme :
– Rassure-toi, fille de l’illustre Icarios ; ceci n’est point un songe, mais une chose heureuse qui s’accomplira. Les oies sont les prétendants, et moi, qui semble un aigle, je suis ton mari revenu pour infliger une mort honteuse à tous les prétendants. Il parle ainsi, et le sommeil me quitte, et, les cherchant des yeux, je vois mes oies qui mangent le blé dans le bassin comme auparavant.
Et le sage Ulysse lui répondit :
– Ô femme, personne ne pourrait expliquer ce songe autrement ; et certes, Ulysse lui-même t’a dit comment il s’accomplira. La perte des prétendants est manifeste, et aucun d’entre eux n’évitera les Parques et la mort.
Et la sage Pénélope lui répondit :
– Étranger, certes, les songes sont difficiles à expliquer, et tous ne s’accomplissent point pour les hommes. […] Voici venir le jour honteux qui m’emmènera de la demeure d’Ulysse, car je vais proposer une épreuve. Ulysse avait dans ses demeures des haches qu’il rangeait en ordre comme des mâts de nefs, et, debout, il les traversait de loin d’une flèche. Je vais proposer cette épreuve aux prétendants. Celui qui, de ses mains, tendra le plus facilement l’arc et qui lancera une flèche à travers les douze anneaux des haches, celui-là je le suivrai loin de cette demeure si belle, qui a vu ma jeunesse, qui est pleine d’abondance, et dont je me souviendrai, je pense, même dans mes songes !
– Racontez une anecdote personnelle sur un lapsus ou acte manqué ou rêve, et ce qu’elle révèle des détours de votre inconscient.
« Berlusconi n’est plus en odeur de sainteté »
Voici un texte très intéressant qui m’a fourni une excellente séance d’introduction de la 2e année de BTS. Il s’agit de la Revue de presse internationale de Thomas Cluzel, qu’on peut écouter sur France Culture (93.5) du lundi au vendredi de 7h35 à 7h40. Thomas Cluzel a brillamment pris la succession de Cécile de Kervasdoué ; il est d’ailleurs étonnant que lorsqu’on consulte les archives — gratuites — de cette rubrique, le nom des précédents responsables de la revue de presse, et donc auteurs des textes, n’apparaissent pas ! On trouvera ce texte daté du mercredi 2 septembre 2009 en archives sur le site de France Culture. Je le reproduis ci-dessous en espérant que cela sera considéré comme un hommage et non un vol !
Alors connaissez-vous le sens du mot « velina » en italien ?… Alors una velina… c’est le nom généralement donné à ces filles qui ornent les programmes de la télévision italienne… Légèrement vêtues de préférence… elles sont là aux côtés du présentateur… un homme bien entendu… pour… tout au plus esquisser quelques pas de danse… et cela va de soi… ça fait d’ailleurs partie du contrat… ne surtout jamais ouvrir la bouche… autant dire qu’elles ne servent à rien… En clair… l’image du vide absolu… Mais… rappelle le journal LA VANGUARDIA ce matin… une « véline » c’est également dans le jargon journalistique italien le nom donné à l’époque fasciste à une circulaire officieuse du gouvernement suggérant la manière exacte de confectionner une information… Et bien ce mot… - velina - écrit le journal espagnol a recouvré ces derniers jours toute sa substance originelle à travers l’affrontement auquel se livrent désormais Silvio Berlusconi et le Vatican…
Déjà critiqué par une partie de l’Église pour sa politique migratoire… mais aussi… sa vie privée quelque peu désordonnée… le président du conseil italien vient en effet de provoquer la colère de la hiérarchie catholique… Depuis quelques jours… un quotidien… IL GIORNALE… contrôlé par le frère de Silvio Berlusconi… Paolo Berlusconi… s’est en effet lancé dans une véritable campagne de discrédit à l’encontre du directeur du journal des évêques… Dino Boffo… lequel avait osé dénoncer « la vie de bâton de chaise » du Cavaliere peu conforme au credo catholique…
C’est ainsi… précise le journal LE TEMPS ce matin… qu’Il GIORNALE… le quotidien berlusconien donc est allé récupérer une vieille et tortueuse histoire de mœurs… dans laquelle le directeur du journal des évêques Dino Boffo aurait fait pression sur l’épouse d’un homme avec lequel il aurait eu une relation homosexuelle…
Trois jours après la parution de cet article… la tension est bien entendu montée de plusieurs crans entre l’Eglise et le chef du gouvernement… C’est la première fois qu’on attaque un journal catholique avec une telle violence a notamment souligné le cardinal et ex secrétaire de Jean Paul 2… Stanislao Dziwisz… Les évêques de leur côté multiplient désormais les déclarations pour soutenir leur directeur de publication… Quant au Pape Benoit 16 lui-même… il estime qu’il est temps d’intervenir en manifestant sa solidarité à Dino Boffo…
Malaise… le Cavaliere n’est plus en odeur de sainteté titre ce matin LA TRIBUNE DE GENEVE… En oubliant de tenir compte de la réaction de l’Eglise… la famille Berlusconi a commis une erreur politique écrit ce matin l’éditorialiste suisse… Car bien que l’Italie soit aujourd’hui un Etat laïc… l’Eglise y reste une force puissante que tous les gouvernements… sans exception ont besoin de courtiser renchérit son confrère britannique du TIMES… Monsieur Berlusconi a besoin de l’Eglise… bien plus que l’Eglise n’a besoin de lui poursuit l’article… Cette attaque contre Dino Boffo prouve à quel point la colère du Cavaliere l’a désormais emporté sur son jugement politique… Cette fois-ci… Silvio Berlusconi semble avoir été trop loin… Et le TIMES de conclure… face à l’Eglise catholique alliée à une coalition de journaux italiens et étrangers… l’ego… même surdimensionné d’un Berlusconi ne peut pas grand-chose…
Alors bien sûr… face à la réaction indignée de nombreux prélats… et au risque de se couper d’une partie de l’Eglise catholique… Silvio Berlusconi a affirmé qu’il n’était pas au courant de l’initiative lancée par le journal de son propre frère… Le premier ministre nie même que des tensions puissent exister entre son gouvernement et le Vatican écrit ce matin EL MUNDO… Mais… qui pourrait encore le croire… lui qui s’apprêterait à travers son empire économique et médiatique à faire les poubelles et à remuer la boue explique… ce matin le journal LE TEMPS… Chaque jour… le quotidien progressiste de gauche LA REPUBBLICA publie dix questions au président du Conseil parmi lesquelles… « Saviez-vous que les dizaines de femmes que vous avez accueillies chez vous étaient des prostituées ? »… Refusant obstinément de répondre aux questions concernant sa vie privée et sa « fréquentation » supposée de mineures… Silvio Berlusconi a déposé plainte pour « diffamation » et réclamé 1 million de dommages et intérêts à l’encontre du journal… En réalité poursuit l’article… l’annonce la semaine dernière d’un recours en justice contre un autre journal… Le Nouvel Observateur… lequel avait consacré en juillet un long article aux scandales de mœurs du Cavaliere… mais aussi l’hypothèse de dépôts d’autres plaintes contre plusieurs autres titres étrangers… tout cela donc n’était qu’une première étape dans la contre-offensive.
D’où la mise en garde lancée à présent par LA REPUBBLICA contre toute limitation de la liberté de la presse par le pouvoir politique… : La guerre que les pays totalitaires ont entrepris contre la liberté de l’information sur Internet ne constitue que la dernière étape… la plus spectaculaire d’un conflit vieux de plusieurs siècles écrit le quotidien de gauche… C’est une longue histoire qui accompagne la naissance de l’opinion publique… C’est là poursuit l’article qu’on trouve les racines d’un processus qui a autant donné son sens à la démocratie que contribué à faire progressivement de la presse elle-même un pouvoir… La presse et l’ensemble du système de communication se présentent comme un lieu de liberté et une nouvelle forme de représentativité de la société… Mais… ce changement a également entraîné une extension de la zone de conflit.… Il s’agit de techniques bien connues renchérit l’éditorialiste italien… de la censure au conditionnement économique… de la sélection soigneuse de journalistes serviables aux menaces d’élimination physique… Mais attention conclut le journal… ce ne sont pas seulement les régimes totalitaires et autoritaires qui doivent nous préoccuper… Dans les pays démocratiques… le caractère pénétrant et irrésistible des différentes formes de communication qui constituent l’opinion publique augmente désormais les revendications d’un pouvoir politique… lequel considère aujourd’hui le système même de communication comme un instrument essentiel de son maintien au pouvoir.
Questionnaire
1. Identifiez le type de texte représenté ci-dessus. Quels indices vous ont permis cette identification ?
2. Quels signes montrent qu’il s’agit d’un texte écrit pour être communiqué par oral ?
3. Quels sont les journaux cités dans le texte ? Pour chaque titre, relevez le ou les verbes déclaratifs (ou formules équivalentes) utilisés par l’auteur.
4. Quelles expressions servent de substituts nominaux à S. Berlusconi ?
5. En quoi ce texte illustre-t-il le thème 1 au programme cette année, « Le détour » ? Trouvez une réponse pour le fond (le sujet du texte) et pour la forme (la façon dont l’auteur traite son sujet).
6. En quoi ce texte correspond-il au type d’épreuve qui vous attend en « culture générale et expression » ?
Les questions les plus importantes sont les deux dernières, évidemment. Je vous laisse trouver pour la question du détour, en vous fournissant un indice florentin : le machiavélisme. Mais la question 6 nous révèle que cette revue de presse est un tour de force quotidien : le journaliste effectue un examen de BTS chaque matin en temps réel, je suppose entre 3h et 7h, qu’il met par écrit, puis présente à l’oral en direct à l’antenne !
L’écoute de cette performance habituera les étudiants aux exigences de l’épreuve. En effet, il s’agit d’une synthèse de 5 ou 6 articles de presse de journaux européens. Chaque article est présenté comme on doit le faire dans une synthèse de BTS. On utilise des verbes déclaratifs, des substituts nominaux (pour désigner le thème, ou les auteurs des différents documents, et se mettre en retrait). Les articles sont cités à plusieurs reprises dans des parties différentes du plan, il y a une problématique, avec une introduction qui procède par un habile détour, et pas une fois le journaliste n’exprime une idée personnelle (il n’utilise pas le « je », sauf parfois lors de sa prise de parole pour répondre au journaliste qui le présente, mais ce n’est pas forcément repris dans la transcription mise en ligne). Il prend même soin de préciser la tendance politique de chaque journal ! Qu’ai-je oublié ? Le plan et la problématique sont simples parce que le sujet est bien plus pointu que les corpus de BTS, lesquels « brassent large ». L’introduction est disons un peu moins formelle que ce qui est attendu à l’examen, et il n’y a pas de conclusion, mais j’ai rarement trouvé quelque chose qui ressemble autant à l’exercice attendu, qui prouve à nos étudiants qu’il ne s’agit pas que d’un pensum scolaire, et qui, cerise sur le gâteau, tombe en plein dans l’exigence de « Culture générale et expression » qui constitue l’intitulé de l’enseignement prodigué par les profs de lettres en BTS…
L’ancien Testament
J’ai retrouvé dans l’essai Au hasard du mathématicien Ivar Ekeland (Seuil, 1991) (cf. ci-dessous), ces deux références ; on lira avec profit les réflexions qu’il en tire. En outre, le premier extrait pourrait malicieusement nous montrer un Dieu darwinien, et l’autre un Dieu marxiste, théoricien du plan quinquennal, non ? À rapprocher des textes sur les détours de l’inconscient, les détours en économie, et la stratégie.
Comment Jacob s’enrichit
Genèse, 30, 31-43
Laban dit : « Que te donnerai-je ? »
Et Jacob dit : « Tu ne me donneras rien. Si tu m’accordes ce que je vais dire, je recommencerai à paître ton troupeau et à le garder. Je passerai aujourd’hui à travers tout ton troupeau, en mettant à part parmi les agneaux toute bête tachetée et marquetée et toute bête noire, et parmi les chèvres tout ce qui est marqueté et tacheté : ce sera mon salaire. Ma droiture témoignera pour moi demain, quand tu viendras reconnaître mon salaire. Tout ce qui ne sera pas tacheté et marqueté parmi les chèvres, et noir parmi les agneaux sera chez moi un vol.
Laban dit : « Eh bien, qu’il en soit selon ta parole. »
Et le jour même, il mit à part les boucs rayés et marquetés, toutes les chèvres tachetées et marquetées, toutes celles qui avaient du blanc, et tout ce qui était noir parmi les agneaux ; et il les mit entre les mains de ses fils. Puis il mit l’espace de trois journées de chemin entre lui et Jacob.
Et Jacob faisait paître le reste du troupeau de Laban. Jacob prit des baguettes vertes de peuplier, d’amandier et de platane ; il y pela des bandes blanches, mettant à nu le blanc qui était sur les baguettes. Puis il plaça les baguettes qu’il avait pelées en regard des brebis dans les rigoles, dans les abreuvoirs où les brebis venaient boire ; et elles entraient en chaleur quand elles venaient boire. Et les brebis, entrant en chaleur devant les baguettes, faisaient des petits rayés, tachetés et marquetés. Jacob mettait à part les agneaux, et il tournait la face du troupeau vers ce qui était rayé et tout ce qui était noir dans le troupeau de Laban. Il se fit ainsi des troupeaux à lui, qu’il ne joignit pas au troupeau de Laban. En outre, c’était quand les brebis vigoureuses entraient en chaleur que Jacob mettait sous les yeux des brebis les baguettes dans les abreuvoirs, afin qu’elles entrassent en chaleur près des baguettes. Quand les brebis étaient chétives, il ne les mettait point, en sorte que les agneaux chétifs étaient pour Laban, et les vigoureux pour Jacob. Cet homme devint ainsi extrêmement riche ; il eut de nombreux troupeaux, des servantes et des serviteurs, des chameaux et des ânes.
Les songes de Pharaon
Genèse, 41 17-36
Pharaon dit alors à Joseph : « Dans mon songe, voici, je me tenais sur le bord du fleuve, et voici que du fleuve montaient sept vaches grasses de chair et de belle apparence, et elles se mirent à paître dans la verdure. Et voici qu’après elles montaient sept autres vaches, maigres, fort laides d’aspect et décharnées ; je n’en ai point vu de pareilles en laideur dans tout le pays d’Égypte. Les vaches maigres et laides dévorèrent les sept premières vaches, celles qui étaient grasses ; celles-ci entrèrent dans leur ventre, sans qu’il parût qu’elles y fussent entrées ; leur aspect était aussi laid qu’auparavant. Et je m’éveillai. Je vis encore en songe, et voici sept épis qui s’élevaient sur une même tige, pleins et beaux ; et voici, sept épis chétifs, maigres et brûlés par le vent d’orient, qui poussaient après ceux-là. Et les épis maigres engloutirent les sept beaux épis. J’ai raconté cela aux scribes, et aucun d’eux ne me l’explique. »
Joseph dit à Pharaon : « Le songe de Pharaon est un ; Dieu a fait connaître à Pharaon ce qu’il va faire. Les sept belles vaches sont sept années, et les sept beaux épis sont sept années, c’est un seul songe. Les sept vaches chétives et laides qui montaient après elles sont sept années, et les sept épis vides, brûlés par le vent d’orient, seront sept années de famine. Telle est la parole que j’ai dite à Pharaon. Dieu a fait voir à Pharaon ce qu’il va faire. Voici, sept années de grande abondance vont venir dans tout le pays d’Égypte. Sept années de famine viendront ensuite, et l’on oubliera toute cette abondance dans le pays d’Égypte, et la famine consumera le pays. On ne s’apercevra plus de l’abondance à cause de cette famine qui suivra dans le pays ; tant elle sera grande. Et si le songe a été répété à Pharaon deux fois, c’est que la chose est décidée de la part de Dieu, et que Dieu se hâtera de l’exécuter. Maintenant, que Pharaon trouve un homme intelligent et sage, et qu’il l’établisse sur le pays d’Égypte. Que Pharaon établisse en outre des intendants sur le pays, pour lever un cinquième des récoltes du pays d’Égypte pendant les sept années d’abondance. Qu’ils rassemblent tout le produit de ces bonnes années qui viennent ; qu’ils fassent des amas de blé à la disposition de Pharaon, comme provisions dans les villes, et qu’ils les conservent. Ces provisions seront pour le pays une réserve pour les sept années de famine qui arriveront au pays d’Égypte, et le pays ne sera pas consumé par la famine. »
– Traduction en français du Chanoine Crampon.
Les femmes savantes, de Molière
L’ayant revue dans la mise en scène d’Arnaud Denis au Théâtre 14, avec la performance de Jean-Laurent Cochet travesti en Philaminte, il me semble que la pièce se prête au thème du détour par plusieurs scènes :
– Acte I, scène IV : Clitandre demande à Bélise, la tante vieille fille de sa dulcinée Henriette, d’appuyer sa demande en mariage auprès de la mère d’Henriette ; mais Bélise vit dans une sorte délire où elle est persuadée que tous les hommes sont amoureux transis de ses charmes décatis. Elle prend la demande de Clitandre pour un détourgalant destiné à lui révéler son amour pour elle-même. Le mot détour est utilisé à deux reprises : « Ah ! certes, le détour est d’esprit, je l’avoue » et « Il suffit que l’on est contente du détour ».
– Acte III, scène III : la fameuse scène qui voit se succéder tous les détours de la politesse entre Trissotin et Vadius, puis l’affrontement le plus direct quand Vadius reconnaît qu’il déteste un sonnet dont il ignore que Trissotin est l’auteur.
– Acte V, scène IV : le stratagème d’Ariste (« Et c’est un stratagème, un surprenant secours,/ Que j’ai voulu tenter pour servir vos amours ») pour confondre Trissotin, intéressé par la dot d’Henriette avant tout.
Pour continuer dans le théâtre, on trouve aussi le mot détour dans l’acte II, scène 2 d’Andromaque, de Jean Racine. Hermione se défend, face à Oreste qui l’aime, d’aimer Pyrrhus, et feint de le haïr. Comme celui-ci en doute, elle renchérit : « Seigneur, je le vois bien, votre âme prévenue / Répand sur mes discours le venin qui la tue, / Toujours dans mes raisons cherche quelque détour, / Et croit qu’en moi la haine est un effort d’amour. » La suite prouvera qu’Oreste avait raison. À réserver pour les spécialités plutôt littéraires.
Au hasard, d’Ivar Ekeland
Un essai du mathématicien Ivar Ekeland, Au hasard, Points sciences, 1991. Voici quelques extraits. On en trouvera un autre dans l’article sur le thème « Génération(s) ».
Chapitre Anticipation
C’est pourquoi le mieux que la théorie des jeux ait pu faire dans l’analyse de ce genre de situations est d’introduire dans la décision un élément de hasard. Si le gardien de but tire à pile ou face de quel côté il se détendra, il est immunisé à jamais contre l’acuité intellectuelle de ses adversaires, et si sa carrière est suffisamment longue, il aura eu raison une fois sur deux. Mais il doit résister à la tentation de faire confiance à sa propre acuité intellectuelle, ce qui engagerait immanquablement l’engrenage des anticipations. Si par exemple il constate que les penalties sont systématiquement tirés sur son côté droit, il ne doit pas pour autant partir moins souvent sur son côté gauche. Car tout changement de stratégie de sa part serait rapidement observé par l’adversaire, qui en profiterait pour placer quelques tirs sur son côté gauche. En fait, ces tirs systématiques sur un seul côté ont peut-être pour but de le convaincre d’abandonner sa stratégie de pile ou face, et de revenir à un concours d’anticipations, où l’adversaire se sent plus à l’aise [32].
Quand le mathématicien Émile Borel proposa en 1930 d’introduire un élément de hasard dans les stratégies des joueurs, il y vit d’abord un principe d’économie, permettant d’éliminer la ruse, et de sortir du cycle infernal des anticipations réciproques. De nos jours, on insiste plutôt sur les effets informationnels de ces stratégies aléatoires. Le gardien de but laisse définitivement ses adversaires en situation d’incertitude : leurs raisonnements les plus fins, leurs stratégies les plus subtiles ne pourront empêcher qu’il n’ait raison en moyenne une fois sur deux. La trahison même ne leur sera d’aucun secours : si le gardien confie à sa maîtresse son intention de tirer à pile ou face le côté qu’il défendra, et si cette information parvient à ses adversaires, elle n’améliorera pas leurs chances de réussite. Il peut même clamer urbi et orbi que non seulement pour un match, mais durant toute sa carrière, il s’en remettra au hasard, il sera impossible d’en tirer avantage. La contrepartie, bien sûr, c’est qu’il s’interdira de chercher à améliorer son pourcentage de réussite, en profitant par exemple des biais statistiques qu’il observerait chez ses adversaires. Ce faisant, il introduirait dans sa propre stratégie un biais statistique (c’est-à-dire qu’il partirait d’un côté plus fréquemment que de l’autre) dont un adversaire astucieux pourrait tirer avantage. Autrement dit, il doit savoir renoncer à des gains faciles à court terme, de peur de livrer des informations qui pourront être exploitées contre lui à long terme.
Chapitre Anticipation, encore.
Dans une célèbre conférence sur les contes des Mille et Une Nuits, Borges rapporte un conte que je n’ai pas retrouvé dans mon édition. Il s’agit d’un habitant du Caire, qui reçoit dans un rêve l’ordre de se rendre à Ispahan, dans une certaine mosquée où l’attend un trésor. Le rêve se reproduit plusieurs fois, si bien que notre homme entreprend le voyage. Ce n’est pas une mince affaire, de caravane en caravane, à la merci des malandrins de tous poils, et c’est épuisé et dépouillé de tout que le voyageur arrive enfin à Ispahan. Il va passer la nuit dans la mosquée en question, qui se trouve être un repaire de voleurs. Cette nuit-là justement la police effectue une rafle. Copieusement bâtonné, le Cairote est conduit devant le kadi et sommé d’expliquer sa présence. Il raconte alors son histoire, et le magistrat éclate d’un rire homérique, tellement qu’il en tombe à la renverse. Dès qu’il se maîtrise à nouveau, essuyant ses yeux plein de larmes, il s’adresse à lui en ces termes : « Etranger naïf et crédule, voici trois fois que je rêve que je dois me rendre au Caire, dans une certaine rue, que j’y trouverai une maison, dans cette maison un jardin, dans ce jardin un bassin, un cadran solaire et un vieux figuier, et sous le figuier un trésor. Jamais, je n’y ai ajouté foi, et je vois aujourd’hui que bien m’en a pris. Voici de l’argent, prends-le, retourne, chez toi, et garde-toi dorénavant de croire aux songes que t’envoie le Malin. » Le Cairote le remercie, rentre chez lui, va dans son jardin, creuse sous son figuier, entre le bassin et le cadran solaire, et trouve le trésor.
La beauté de cette histoire est que le kadi comme le voyageur peuvent se féliciter de l’excellence de leur jugement. Leurs analyses, diamétralement opposées sont l’une et l’autre pleinement confirmées par les faits. Le kadi mourra à Ispahan en se gaussant des naïfs qui font un si long voyage à la recherche d’un trésor qui n’existe pas. Et le Cairote se réjouira toute sa vie d’avoir cru à son rêve. Ils ont, chacun à sa manière, parfaitement anticipé.
Pour aller plus loin
J’ajoute pour finir quelques suggestions :
– Pour les étudiants d’un bon niveau, des extraits d’un chapitre de l’ouvrage de Marc Ballanfat, La métaphysique, ellipses, 1999 : « La métaphysique ou le scandale de la pensée » (pp. 16/20). À partir de l’étymologie du mot « scandale », l’auteur théorise le détour en métaphysique : « La métaphysique apparaît alors elle-même comme un vaste détour, comme le refus de la ligne directe, (celle de l’opinion qui fait paraître les choses si faciles), comme l’amour de la pensée tortueuse, le goût de la digression qui ne se referme qu’après avoir évoqué le tout autre, l’étrange, l’ailleurs, mais l’essentiel. »
– Un aperçu de la Théorie du détour, qui prend source dans les travaux d’Henri Wallon (1879-1962).
– L’Origine des espèces, de Charles Darwin contient des extraits qui, à mon sens, peuvent illustrer le thème du Détour aussi bien que celui de « Génération(s) ».
– Le Guépard de Giuseppe Tomasi di Lampedusa contient quelques fort belles pages sur les avantages et inconvénients de la politesses, et des formules contournées de l’art épistolaire.
– Un beau texte du philosophe Alain contre la vitesse en train : « Voilà bien de la science, bien des plans, bien des essais, bien des coups de marteau et de lime. Tout cela pourquoi ? Pour gagner peut-être un quart d’heure sur la durée du voyage entre Paris et Le Havre. Et que feront-ils, les heureux voyageurs, de ce quart d’heure si chèrement acheté ? » (Propos sur le bonheur, XXXIX, « Vitesse », 2 juillet 1908, folio essais, Gallimard).
– Un extrait de Tristram Shandy de Lawrence Sterne (chapitre CCXL), cité par Georges Perec, dans Espèces d’espaces (Galilée, 1974, réed 2000, p. 161 :
« Ici j’avais fait un chapitre sur les lignes courbes, pour prouver l’excellence des lignes droites…
Une ligne droite ! le sentier où doivent marcher les vrais chrétiens, disent les pères de l’Église.
L’emblème de la droiture morale, dit Cicéron.
La meilleure de toutes les lignes, disent les planteurs de choux.
La ligne la plus courte, dit Archimède, que l’on puisse tirer d’un point à un autre.
Mais un auteur tel que moi, et tel que bien d’autres, n’est pas un géomètre ; et j’ai abandonné la ligne droite »
Bon courage !
Voir en ligne : L’indispensable blog sur le BTS de Julie F.
© altersexualite.com, 2009.
Un grand merci à Robert Vigneau pour m’avoir autorisé à illustrer cet article de son dessin Maternité. Pour acheter les œuvres graphiques de Robert Vigneau, voir Le blog de Robert Vigneau.
[1] Col frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan.
[2] La lettre doit être récupérée à la poste par son destinataire
[3] Atteints du trachome, infection oculaire
[4] Région de Serbie
[5] Une hache.
[6] Chose terrible à entendre.
[7] Sun-tsé ou Sun Tzu, général chinois du Ve siècle av. J.-C., célèbre en tant qu’auteur de l’ouvrage de stratégie militaire le plus ancien connu : L’Art de la guerre.
[8] Soldat qui abandonne son camp et passe à l’ennemi.
[9] Sans porter de coup, sans combattre.
[10] Ici, tendance à argumenter avec ruse et subtilité pour se justifier.
[11] Moqueries.
[12] Carte de visite pour le défier en duel.
[13] Personne qui sert d’intermédiaire dans les intrigues amoureuses.
[14] Guerrière.
[15] Citation d’une lettre de Mme de Sévigné.
[16] Don de soi. On parle d’amour oblatif.
[17] Prendre des détours, des faux-fuyants pour éluder la conclusion d’une affaire, la décision d’une question.
[18] Philologie = étude historique des textes et des manuscrits.
[19] Maltraiter, détruire presque entièrement.
[20] Vous êtes furieux.
[21] D’un rang social supérieur.
[22] Mettre en cause violemment.
[23] Sigle, suite d’initiales servant d’abréviation (HP = hôpital psychiatrique, etc.).
[24] Figure de style consistant à atténuer une expression.
[25] Calmant, apaisant
[26] Intelligent, rusé.
[27] Entrée d’un temple grec.
[28] Introduction d’un discours selon les règles de la rhétorique ancienne.
[29] Qui réalise un sortilège.
[30] Gravité, absence de luxe.
[31] Partisans d’une démocratie centralisée et d’un pouvoir exécutif fort, comme les anciens Jacobins.
[32] Voilà une belle image de l’étudiant tenté de faire l’impasse sur l’un des deux thèmes, négatif exact de celle de l’inspecteur choisissant le thème : alors, détour ou « Génération(s) » ? Les deux, mon général !