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Indépendante et libre d’esprit

Ado-Livres, revue belge de critique littéraire

Entrevue de Benoît Anciaux

mardi 1er mai 2007

Ado-Livres, revue de critique littéraire en littérature pour adolescents sort son numéro 18, avec un dossier intitulé « Le péril jeune », sur « Les oeuvres susceptibles de choquer les cœurs « fragiles » et les esprits « pudibonds »… Dix pages sur les livres dérangeants qui […] viendront remuer en vous cette part de vérité qui nous habite plus ou moins tous… » Une revue hautement recommandable !

Ado-livres est une revue belge, sans publicité, qui publie de vraies critiques à visée pédagogique. Une source d’inspiration et une mine de renseignements pour les enseignants et bibliothécaires.

Dans son numéro 18, daté de « novembre-décembre 2004 » mais paru en mars 2006 (!), Ado-Livres, sous la plume de son directeur Benoit Anciaux, consacre un dossier aux romans « considérés comme dérangeants par les uns ou les autres ». Il part d’un fait précis : la tentative de Virginie Lou de rééditer Les saisons dangereuses, un récit qui avait fait sensation au début des années 90 chez Syros. Ce récit évoque une relation amoureuse entre un homme de 30 ans et une fille de 12 ans. Je me rappelle effectivement l’avoir proposé à l’époque, et ce livre était devenu une sorte de Bible pour un garçon de 5e particulièrement ingérable. Sans doute remuait-il des thèmes à l’origine de son tempérament particulier, toujours est-il que malgré sa collection de zéro, l’illumination provoquée par ce livre-là avait donné un minimum d’intérêt à son année scolaire. Benoit Anciaux rappelle que « la littérature, ce n’est pas la vie réelle ». Il passe alors en revue les sujets tabous, et remarque à juste titre : « de nombreux sujets, encore tabous il y a cinq ans, sont aujourd’hui traités […] on trouve sur le marché français des romans pour les 11-18 ans qui présentent des amours homosexuelles, des sexualités débridées, des morts d’adolescents, des suicides, des maltraitances familiales, des déficiences mentales, de la violence gratuite, des refus de maternité, des sévices sexuels, des vengeances inqualifiables, des comportements transsexuels, etc. » Selon Benoit Anciaux, « cacher la vie aux adolescents, si terrible soit-elle, n’est pas le meilleur moyen de les aider à bien grandir ».

Benoit Anciaux passe en revue les différents thèmes dérangeants, et étudie les stratégies grâce auxquelles les auteurs font passer certains thèmes, soit par un recul narratif, soit par l’humour, etc. Il cite un article paru dans Citrouille en novembre 2003 sous la plume de la psychothérapeute Annie Roland, intitulé justement Le péril jeune. Par contre, il fustige « certains critiques [qui] tiennent des propos alarmistes » et qui « s’inquiètent encore parce que les romans pour adolescents sont peuplés d’espoirs brisés, de familles cassées et d’enseignants absents ». L’article se conclut — modestie mise à part — sur le roman de votre serviteur, L’année de l’orientation, que Benoit Anciaux fut à sa sortie (et demeure) le seul critique de littérature jeunesse à défendre (disons même à avoir lu, à part Thierry Lenain), et sur lequel il n’a pas changé d’avis, trois ans après, le considérant, semble-t-il, comme un exemple en matière de subversion !

 Suit une bibliographie de deux pages, avec une dizaine de thèmes. L’homosexualité et la transsexualité en font partie, et Benoit Anciaux y défend également Ne m’appelez plus Julien, de Jimmy Sueur. Saluons en ce monsieur un des rares critiques spécialisés en jeunesse, qui ne se contente pas de piocher dans les cartons de bouquins livrés par les industriels du livre, mais ose mettre son nez dans les recoins inexplorés. Qu’il soit belge n’est peut-être pas étranger à sa particularité, c’est pourquoi j’ai décidé de lui poser quelques questions. On trouvera dans la suite de ce numéro des « brèves », interviews, articles, etc. À noter, sur certains livres qui font l’objet d’un article dans nos colonnes virtuelles, que Benoit Anciaux n’a pas le même avis, et nous ne pouvons que rappeler cette évidence : nos articles sont subjectifs ! Le meilleur exemple est Automates, de Nathalie Le Gendre, sur lequel nos avis divergent diamétralement !

 L’abonnement d’un an (5 numéros), que nous ne saurions trop recommander, est de 42 € pour la Belgique, et de 54 € pour l’Europe. (Je sais, c’est cher, mais rappelez-vous que seule la liberté coûte, la servitude est gratuite…) Adresse : Ado-Livres, 35, rue du Chemin vert, B-6001 Marcinelle (Belgique).

Quatre questions à Benoit Anciaux

 Pouvez-vous vous présenter : Depuis combien de temps vous consacrez-vous à Ado-Livres, ou sous d’autres formes, à la promotion de la littérature pour adolescents ? Exercez-vous toujours en tant qu’enseignant ? Est-ce que vous écrivez vous-même (en dehors de la critique) ?
 Ado-Livres vient de fêter son cinquième anniversaire. Et mon travail critique sur la littérature pour adolescents a commencé au moment même où j’ai créé la revue, en 2001. Les deux démarches vont donc de pair depuis que ce secteur en pleine expansion a attiré mon attention. Par ailleurs, pour répondre à votre deuxième question, à côté de ma fonction de directeur d’Ado-Livres, je suis également professeur de lettres en Collège et Lycée. Cette double casquette constitue, selon moi, une nécessité obligatoire afin de ne pas succomber aux dangers de la « Tour d’ivoire ». Ces dangers qui menacent certains critiques « isolés » du monde et, singulièrement, des adolescents qu’ils se permettent de conseiller mais qu’ils ne connaissent ni d’Eve ni d’Adam. La fréquentation au quotidien de jeunes de 14, 16 ou 18 ans oblige constamment à se remettre en question et le meilleur critique est, selon moi, précisément celui qui doute... Pour terminer sur votre troisième question, je reconnais que l’envie d’écrire des œuvres de fiction me titille parfois. Des professionnels du secteur m’encouragent, d’ailleurs, régulièrement à œuvrer dans ce sens mais, hélas, je suis trop souvent « overbooké » pour me consacrer pleinement à cette nouvelle activité. Un jour peut-être...

 Comment expliquez-vous le succès rencontré par les auteurs belges de langue française en littérature jeunesse, quand on le compare avec l’absence quasi totale de la littérature canadienne ? (ou des autres pays francophones)
 Je ne suis pas du tout d’accord avec vous. Pour ce qui est de la tranche d’âge que je connais, les 11-18 ans, les livres publiés en France chaque année par les auteurs de chez moi se comptent à peine sur les doigts des deux mains et les deux éditeurs belges présents sur le marché ne sortent que 5 ou 6 livres par an à destination des adolescents. Autant dire que les parts de marché occupées par les écrivains de ma Communauté, y compris dans mon propre pays, sont ridiculement dérisoires eu égard à celles des auteurs français. Ce qui est vrai, cependant, c’est que la Suisse (exception faite de « La Joie de lire » à Genève) et le Maghreb semblent encore générer moins d’œuvres que nous. Par contre, le Canada est extrêmement dynamique et novateur en littérature pour adolescents. Même si le marché européen ne s’intéresse guère aux productions venant d’Outre-Atlantique, elles sont souvent remarquables et fort nombreuses. Allez simplement consulter les sites des éditeurs canadiens et vous découvrirez à quel point leurs démarches éditoriales sont autrement structurées et construites que celles de nos pauvres Labor et Memor en Communauté française de Belgique.

 Quelle est la spécificité de la Belgique dans le domaine de la littérature jeunesse ? Existe-t-il l’équivalent de la loi de 1949 sur les publications pour la jeunesse ?
 À ma connaissance, il n’existe pas chez nous l’équivalent de la loi de 1949 sur les publications pour la jeunesse. Mais je peux largement me tromper. Par ailleurs, à votre question sur la spécificité de la Belgique en notre secteur, je ne peux que proposer une réponse de Normand : en effet, pour moi, les auteurs belges ne déploient aucune démarche particulière susceptible de les singulariser par rapport à leurs homologues français, surtout s’ils veulent espérer percer sur le marché de l’Hexagone. Il n’y a donc pas de véritables lignes directrices en dehors de celles que chacun trace à l’intérieur de son propre travail.

 Pouvez-vous compléter notre présentation d’Ado-Livres ? Comment pouvez-vous publier une revue sans publicité ? Quelles sont les revues, ou sites, dont vous vous sentez le plus proche dans le monde francophone ? Et le moins proche ?
 Ce que vous avez dit de la revue que je dirige me semble très parlant et fort évocateur. Je n’ai pas envie de rajouter grand-chose, pas même à propos de mes « concurrents » sur le marché. En général, quand je lis leurs articles, je suis assez sceptique. Pour une fois, je vais donc me taire. Une personne me plaît beaucoup, cependant : c’est Thierry Lenain. Un bel auteur et un critique qui lit intelligemment les ouvrages qui lui sont confiés. Une denrée rare, malheureusement, dans notre secteur...

 Voir également notre entrevue d’un auteur belge publié chez Labor : Frank Andriat, notre entrevue de Julien Œillet, attaché des presse des éditions Labor, et notre article sur Fous pas le camp, Nicolas !, de Claude Raucy, aux Éditions Memor. Lire un texte passionnant de Marie-Aude Murail sur la façon dont elle conçoit la littérature jeunesse : Cibles mouvantes. Voir enfin une brève sur la monographie de Benoit Anciaux : « ADO-LIVRES » n° 20-21 : Introduction au récit pour adolescents.


Voir en ligne : Le site d’Ado-livres


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