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J’ai une sexualité différente des homos et j’assume cette différence !

Entrevue de Frank Andriat

Auteur de Tabou

mardi 1er mai 2007

« Ma plus grosse difficulté a été de parler d’homosexualité sans jamais avoir vécu d’expérience homosexuelle ! J’ai eu l’impression de marcher sur des œufs durant toute l’écriture de ce roman. Ma grande crainte était qu’un homosexuel qui lise mon texte se sente incompris, voire peu respecté, ma grande crainte était d’écrire, sans le vouloir, un mot blessant, une phrase conne. »

 Lionel Labosse, pour altersexualite.com : Merci d’avoir d’accepté de répondre à notre entrevue. Pour commencer, souhaitez-vous réagir à notre article sur votre roman ?
 D’abord, merci pour votre article et pour l’intérêt que vous portez à mon livre. Votre lecture de TABOU est fine, détaillée et intelligente. Pour un auteur, il est toujours agréable de constater qu’on a été lu en profondeur. Votre avis sur le roman est particulièrement intéressant ; vous ne vous contentez pas d’un « j’aime » - « je n’aime pas » et, grâce à votre lecture pointue, j’ai mieux pris conscience de certains aspects : je ne m’étais, par exemple, pas rendu compte que le mot « homosexualité » était aussi présent dans mon texte, un véritable martèlement textuel !

 Présentez-vous en quelques mots. Combien de livres avez-vous publiés en littérature jeunesse / adulte ?
 J’enseigne le français dans un lycée de Bruxelles et j’écris. J’ai publié de nombreux ouvrages destinés aux adolescents, des romans et des recueils de nouvelles plus ciblés adultes également. Beaucoup de ces titres ont été publiés en Belgique, aux éditions Memor et Labor, notamment. Mes deux derniers romans jeunesse sont sortis chez Grasset : le premier, Depuis ta mort, aborde le thème du deuil et le deuxième, Mon pire ami, parle d’un ado vivant un moment de sa vie en psychiatrie.

 Que pouvez-vous nous dire au sujet de l’altersexualité de vos personnages ?
 Peu de choses… Vous avez dit l’essentiel dans votre article.

 À quelle classe d’âge votre livre s’adresse-t-il ?
 Je crois que mon roman s’adresse plus particulièrement aux collégiens et aux lycéens qui ont l’âge des personnages. Il s’adresse aussi aux adultes, aux parents et aux éducateurs notamment, à ceux qui ont une idée limitée de l’altersexualité comme à ceux qui la vivent au quotidien…

 Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un livre qui aborde les questions altersexuelles ?
 TABOU est une œuvre de commande. Lors d’une discussion avec l’ancienne directrice des éditions Labor, j’ai appris le nombre énorme d’adolescents qui se suicidaient parce qu’ils se découvraient homosexuels. Marie-Paule Eskénazi m’a demandé si je voulais écrire un texte sur le sujet. J’ai hésité ; je connaissais très mal le sujet et je n’avais personnellement jamais été en contact avec un jeune homosexuel. Dans plusieurs de mes romans, je défends le droit à la différence, l’ouverture à l’autre et le respect de tous. J’ai parlé du projet à ma femme, à des amis et je me suis mis à lire de nombreux ouvrages sur le sujet. J’en ai aussi discuté avec des ados, avec mes élèves notamment, et j’ai constaté combien certains (une minorité heureusement !) rejetaient avec violence l’idée d’une sexualité différente. L’un d’eux m’a même déclaré qu’il fuguerait s’il apprenait qu’il y avait un homo dans sa famille ! J’ai aussi parlé de mon projet d’écriture à un ami homosexuel ; il a relu mon manuscrit quand j’ai eu terminé l’histoire. Il m’a fait un beau compliment sur mon texte en me disant qu’il aurait voulu lire un livre pareil quand il avait quinze ans.

 Accepteriez-vous qu’on qualifie votre livre de roman « gai » ?
 Je ne vois pas l’intérêt de créer de nouveaux tiroirs. TABOU est un roman ouvert à tous et le qualifier de roman « gai » ne lui apporterait, je crois, rien de plus.

 Votre position d’auteur est-elle militante ? Vous inscrivez-vous dans la perspective de faire évoluer les mentalités, de banaliser l’altersexualité ?
 Ma position est militante si l’on considère qu’on milite en défendant davantage d’ouverture à l’autre, à la différence, à l’humanité. Evidemment, j’aimerais que les mentalités évoluent, j’aimerais ne plus entendre des blagues qui blessent, des réflexions qui rejettent, des phrases qui tuent. Si mon roman peut permettre d’ouvrir quelques portes, je serai heureux. Si, après la lecture de TABOU, des adolescents hétéros se posent davantage de questions sur leur attitude parfois méprisante, tant mieux. Si de jeunes homosexuels trouvent, grâce à mon livre, des mots qui leur manquent, si, surtout, après la lecture de mon livre, ils se sentent respectés et appréciés, mes phrases n’auront pas été inutiles.

 Pensez-vous que l’on puisse aborder tous les thèmes en littérature jeunesse ? Qu’est-ce qui, selon vous, est tabou ?
 Rien n’est tabou et je crois qu’il est important que tous les thèmes soient abordés en littérature jeunesse. La littérature est un miroir de la vie et c’est souvent quand on se voile la face qu’on se réduit et qu’on commence à rejeter ce qui ne nous ressemble pas. Il est cependant important d’aborder les sujets dans leur globalité, avec tact et avec respect du lecteur. Je crois qu’il est inutile de provoquer pour le plaisir. L’auteur propose des morceaux de vie et le lecteur en dispose.

 Si l’on parle d’amour, doit-on aussi parler de sexualité et de passage à l’acte sexuel selon l’âge auquel on s’adresse ? Vous imposez-vous des limites ? Lesquelles ?
 Si l’on parle d’amour, on PEUT parler de sexualité et de passage à l’acte, mais je ne crois pas qu’on doive le faire. Tout dépend du projet sur lequel on travaille. Si, dans mon histoire, il n’y a pas d’intérêt à parler de sexualité, je n’en parle pas. Je ne m’impose pas vraiment de limites ; je suis mes personnages, je suis leur histoire… Dans TABOU, mon projet était d’écrire un texte qui permette aux lecteurs d’accepter les différences, de considérer les autres avec respect et empathie, l’hétéro respectant l’homo et vice-versa.

 Comment, à votre avis, peut-on parler d’amour en général et d’amour homosexuel en particulier ? Est-ce délicat ? Quelles sont les difficultés ?
 En parler avec son cœur, tout simplement. Je ne crois pas qu’il y ait de différence entre amour en général et amour homosexuel en particulier. Il s’agit d’amour avant tout, d’une personne qui en aime une autre et qui a envie de partager ce sentiment avec elle ; que l’autre soit du sexe différent ou du même sexe n’a aucune importance. L’amour est ce qui rassemble. C’est le plus beau sentiment qu’il nous soit donné d’éprouver.

 Vous inspirez-vous d’autres auteurs ?
 Je m’inspire de la vie et des surprises qu’elle m’apporte . Parmi celles-ci, il y a des livres, bien entendu. Ceux de Gabriel Garcia Marquez, de Christian Bobin, de Bernard Tirtiaux, de Jean Molla, de Marie-Aude Murail, de Michèle Marineau, parmi tant d’autres, m’apportent du bonheur.

 Quelle est votre implication personnelle, la part d’autobiographie dans votre roman ?
 Rien dans ce livre n’est autobiographique. J’ai raconté une histoire pour amener à plus de respect des différences, à plus d’ouverture à l’autre. Je n’aime pas les tabous et, en écrivant ce roman, j’ai tenté, avec mes humbles moyens, d’en effacer un.

 Evoquer l’altersexualité, cela vous renvoie-t-il à votre propre parcours ? À vos propres interrogations sur les désirs et la vie ? À une vision du monde et des relations humaines ?
 Evoquer l’altersexualité me renvoie à mon désir de vivre dans un monde plus ouvert, un monde où « je te donne toutes mes différences » comme le chante Jean-Jacques Goldman.

 Quelles difficultés particulières avez-vous rencontrées dans l’écriture de votre livre ? Comment a-t-il été accueilli par les éditeurs, auprès de la presse (générale, spécialisée, gaie ou lesbienne), auprès du milieu scolaire ?
 Ma plus grosse difficulté a été de parler d’homosexualité sans jamais avoir vécu d’expérience homosexuelle ! J’ai eu l’impression de marcher sur des œufs durant toute l’écriture de ce roman. Ma grande crainte était qu’un homosexuel qui lise mon texte se sente incompris, voire peu respecté, ma grande crainte était d’écrire, sans le vouloir, un mot blessant, une phrase conne. Mon avantage a été de ne pas écrire sous la pression de mes émotions, de mes blessures ; j’ai été dans mon texte sans être mon texte et je crois que ça m’a permis de faire vivre mes différents personnages… Mon roman a été bien accueilli par l’éditrice qui me l’avait commandé, par le milieu enseignant qui y trouve visiblement un outil pour aborder le sujet de l’homosexualité avec des jeunes qui, au départ, ne veulent parfois pas en entendre parler. Son aspect « dissertation » sur les différences, souligné dans votre article, rassure les prescripteurs. La presse aussi l’a bien accueilli, notamment la presse gaie. Je pense à deux beaux articles dans le magazine belge TELS QUELS.

 Comment vos lecteurs ont-ils accueilli ce livre en particulier ? Lors de rencontres avec vos jeunes lecteurs, quelles sont les réactions relativement à ce livre, notamment par rapport à la thématique altersexuelle ?
 En général, TABOU est très bien accueilli. Certains professeurs m’ont dit leur hésitation à aborder le sujet devant leurs classes, mais ils ont été très nombreux à le faire. Les ados à qui j’ai parlé de mon roman ont souvent été profondément touchés par l’histoire. Dans certains groupes, plusieurs attendaient que je me revendique homosexuel et, quand je leur ai expliqué que j’avais une sexualité différente des homos et que j’assumais cette différence au même titre que les homosexuels assument la leur, ils ont été ramenés à eux-mêmes et à leur attitude inquiète face à ce qui ne leur ressemble pas.

 Selon vous, que doit apporter aux jeunes lecteurs le fait d’aborder une question altersexuelle ?
 Plus on parle d’altersexualité, plus on en parle de façon tranquille et paisible, plus les ouvertures se créent. Les tabous sentent le roussi ; ce qui devient sujet de conversation quotidienne n’est plus vraiment objet de peur et d’agressivité. Seuls quelques esprits étroits tiennent à leurs sacro-saints principes ; peut-être est-ce la seule façon qu’ils ont d’exister à leurs propres yeux !

 Votre livre a-t-il été traduit ?
 Non. Il reste à espérer que les éditions Labor trouvent des ouvertures de ce côté-là…

 Pensez-vous que les auteurs belges ou québécois soient traités différemment des auteurs français ?
 Les auteurs belges et québécois ne sont pas mis à l’écart de la littérature française dans la mesure où ils sont édités en France. Le problème des éditeurs belges, c’est d’arriver à diffuser /distribuer leur production sur le marché français. En général, ils ne publient pas assez (tirages et nombre de bouquins produits) pour cela et, lorsqu’ils travaillent avec de petites structures, ils « s’offrent » des retours terribles… En outre, ils n’ont pas de presse. Les éditions Labor viennent de se lancer sur la France avec, visiblement, de gros moyens. Qui vivra, verra... C’est audacieux de leur part. Par ailleurs, en Belgique, quand on est édité en France, on est mieux considéré par le « milieu ». Depuis mes deux romans chez Grasset-Jeunesse, j’ai l’impression d’exister plus en tant qu’écrivain aux yeux de beaucoup de monde. C’est étrange ; d’autant plus que j’ai publié des romans qui ont eu un gros succès en Belgique, mais qui n’ont pas réussi à passer la frontière : mon roman LA REMPLAÇANTE a été vendu à plus de 30000 exemplaires sur le seul marché belge. Pour les Québécois, ils ont en outre le problème de la distance géographique, mais les écrivains québécois édités au Québec sont beaucoup plus considérés dans leur pays que les Belges édités en Belgique. À l’heure de l’Europe, tout ça est surréaliste.

 Quels sont vos projets ?
 Je viens d’achever un roman qui raconte notamment tout l’amour que m’offre ma femme au quotidien. J’ai aussi terminé un texte, plus destiné aux ados, qui parle d’une jeune fille qui n’existe pas vraiment parce que ses parents ne lui ont jamais dit « bonjour », parce que leur indifférence à son égard ne lui a pas permis d’entrer en relation avec elle-même et avec les autres…

 Avez-vous un site ? Comment faire, qui contacter si l’on souhaite que vous interveniez dans une classe ?
 Mon site d’auteur contient plein d’infos sur mon travail. Mes livres commencent à connaître pas mal de succès et, pour le moment (en 2006), j’en suis déjà à fixer des rendez-vous pour l’année 2007 ! J’ai été obligé de faire des choix. Il est difficile de vivre en plénitude quand les demandes se multiplient ; même si ça déçoit pas mal de gens, parce que je veux exercer pleinement mon métier d’enseignant et demeurer disponible aux élèves qui me sont confiés, je ne me rends plus qu’exceptionnellement dans les classes. Je consacre mon temps libre aux miens et à mes livres ; ce sont les histoires que j’écris qui interviennent à ma place dans les écoles.

Propos recueillis par Lionel Labosse.


Voir en ligne : Le site de Frank Andriat


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