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Un ouvrage de réflexion et de combat, pour les éducateurs et pour les élèves de lycées.

Le sexe et ses juges, ouvrage collectif du Syndicat de la Magistrature

Éditions Syllepse, 2006, 167 p., 12 €.

samedi 28 avril 2007

Ce remarquable ouvrage collectif coordonné par Éric Alt (magistrat) fait suite à un colloque organisé par le Syndicat de la magistrature le 26 novembre 2004. À partir du constat selon lequel « un détenu sur cinq a été condamné pour infraction sexuelle » et « Aux assises, un condamné sur deux l’est pour crime sexuel », cet ouvrage démontre que l’affaire d’Outreau est emblématique d’une justice « aujourd’hui dans un état délétère, pour avoir cédé à la panique morale, acquiescé au nouvel ordre répressif » ou au « populisme pénal ». Il en appelle à une « éthique sociale minimale, neutre à l’égard des conceptions personnelles du bien et du mal » (p. 164).

Cet ouvrage contient trois parties et quatorze contributions.
 La première partie, Le procès, espace de démocratie compassionnelle, fait le point sur la « surpénalisation ». Il manque une contribution d’un médiologue qui montrerait combien cette surenchère populiste chère à nos politiciens, qui sévit depuis les années 80, fonctionne en couple avec la médiatisation des faits divers. Dès qu’un crime d’enfant est médiatisé, il y a toujours un politicard pour se dresser sur les ergots de la morale et demander plus de rigueur. Il faudra bientôt en venir aux peines de 150 ans de prison à l’américaine pour assouvir leur soif de populisme, car malheureusement on en est déjà rendu depuis belle lurette au maximum possible ! Eric Alt dénonce avec justesse la « machine à produire de l’erreur judiciaire » à l’œuvre dans l’affaire d’Outreau, et le fort différentiel entre la moyenne européenne et notre « démesure répressive » en ce qui concerne la proportion de condamnés pour infraction sexuelle (4,6 % en 1976, 23 % en 2003, alors qu’elle est encore de 5 % en moyenne en Europe), alors que le taux de « huit viols enregistrés par an pour 100000 habitants » est « proche de la moyenne européenne » et que le taux de récidive, « de l’ordre de 1 % des condamnés » est « bien inférieur à celui des autres infractions pour violence ». Un remarquable article du philosophe Frédéric Gros montre l’ambiguïté de l’évolution de la justice, de la fonction de rappel de la loi à celle d’étalage public de la souffrance de la victime. Le magistrat Dominique Coujard met à jour les « dérives compassionnelles » à l’œuvre dans le glissement sémantique entre l’ancien code de procédure pénale qui évoquait « la partie civile se disant victime » et l’actuel qui évoque sans modalisateur « la victime », sans oublier la création populiste d’un « secrétariat aux droits des victimes », tout cela foulant au pied la présomption d’innocence. Une remarquable étude de Marianne Thomas, magistrate à Bruxelles, raconte, exemples détaillés à l’appui, comment, en dépit de l’affaire Dutroux, la justice belge a su, elle, résister aux sirènes du populisme pénal. Un beau dossier à étudier en cours de droit en lycée.

 La deuxième partie, L’hypocrisie est-elle soluble dans la répression commence par un résumé des théories de Michel Foucault par Frédéric Gros : « le sexe est ce par quoi nous avons appris à obéir ». Puis Catherine Breillat, écrivaine et cinéaste, donne son point de vue éclairé sur la censure, rappelant qu’à l’âge de 17 ans elle avait écrit un livre qui fut interdit aux moins de 18 ans ! Là encore, on puisera d’excellents extraits pour nos élèves (avis aux auteurs de manuels). Agnès Tricoire, avocate, rappelle les incohérences de la censure en matière de « pornographie », notion soumise à l’arbitraire et à la subjectivité, et surtout l’incompatibilité entre cette censure et la démocratie. Mais qu’attendons-nous pour nous révolter et publier un « manifeste des 343 pornocrates ? » Ruwen Ogien, philosophe, propose une brillante étude historique très documentée de la répression des « crimes imaginaires de la pornographie », au terme de laquelle il montre comment sur ce sujet, la gauche s’est laissé piéger par la droite en focalisant sa réflexion politique « sur les dangers, les risques, la peur et non sur les droits, les principes, les idéaux » ; et il en appelle à une abolition de « l’article 227-24 du code pénal qui sanctionne la diffusion de tout message à caractère pornographique susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ». Là encore, il faudrait dénoncer le fait que les pseudo-associations familiales qui militent pour cette surenchère répressive sont en réalité des officines d’extrême droite déguisées, ce qui mettrait les lois de censure politique sur le même plan que la censure sexuelle : si les extrémistes avaient le droit de s’exprimer au grand jour, ils ne se vengeraient pas sur la sexualité, ou du moins le feraient-ils ouvertement, et la gauche propre sur elle ne pourrait-elle pas faire semblant de ne pas voir dans quel engrenage elle met son sexe. Daniel Borillo, présenté comme « maître de conférences », mais on aimerait savoir de quoi, présente un exposé sur la dépénalisation de l’homosexualité, suivi d’une apologie de la pénalisation de l’homophobie, dont il est étonnant que l’éditeur ne se soit pas rendu compte à quel point elle fait tache avec le reste de l’ouvrage. Il est significatif que parmi tant de magistrats ou de philosophes appelant à moins de pénalisation, le seul à appeler à plus de pénalisation soit un représentant autorisé de l’intelligentsia gaie propre sur elle. Son apologie se fait au prix d’un glissement sémantique, puisque, après avoir justifié la pénalisation des violences physiques, il en appelle à celle des paroles, qu’il qualifie de « violences verbales ». Le problème, c’est que si les gais continuent à laisser ce genre d’intégristes gais les représenter, la gauche va persister à se laisser berner par la droite et on va aboutir d’ici quelque temps à pénaliser le blasphème. Cet effet retour de bâton a été dénoncé à propos du féminisme par Ruwen Ogien quelques pages auparavant (p. 99) : il montrait que des intégristes du féminisme au Canada (Andrea Dworkin) avaient vu leurs propres ouvrages censurés par la loi même qu’elles avaient soutenue ! Il en sera de même d’ici quelques annés, soyons-en sûrs, quand les ouvrages d’homosexuels critiquant les religions seront censurés par la même loi de 1881 sur la presse dont MM. Borillo et consorts demandent l’extension, au lieu qu’il faudrait demander son abrogation totale, au titre de l’égalité des droits ! Anne Souyris, présidente de femmes publiques, dénonce avec brio la façon dont la gauche aussi bien que la droite, ont transformé les prostituées notamment étrangères, en sous-citoyennes, les mettant en état d’insécurité permanente et à la merci à la fois des réseaux d’immigration clandestine, des proxénètes et de « n’importe quel fou furieux qui passe », puisque la loi Sarkozy du 18 mars 2003 les a repoussées « au fond des forêts » comme aurait dit La Fontaine.

 La troisième partie, consacrée au « mariage homosexuel », est dans la veine que laisse supposer l’ambiguïté de son titre. En effet, en toute rigueur, il faudrait dire « mariage entre personnes de même sexe », mais il semble que l’influence de Daniel Borrillo, qui signe encore un article, et de Caroline Mécary, avocate, ait été prégnante, et le communautarisme l’emporte sur la raison. On se contentera pour notre part du brillant réquisitoire de Jean de Maillart, magistrat, qui en appelle à la privatisation du mariage, c’est-à-dire sa suppression du code civil et la promotion d’une « union juridiquement et socialement neutre, comme l’est le Pacs, laissant à chacun le soin de nommer celle-ci comme il l’entend ». Chacun serait libre alors d’organiser la cérémonie de son choix en marge de ce contrat… C’est ce que je proposais dans mon ouvrage Altersexualité, Éducation et Censure. Je suis heureux de constater que l’idée gagne du terrain, malheureusement partout sauf dans le milieu gai, au sein duquel la pluralité des opinions n’est pas de mise. On lira donc avec ennui les ratiocinations des deux auteurs cités, qui tentent de défendre des bricolages juridiques plutôt que d’en appeler à un dégraissage salutaire des lois, comme par exemple la suppression de l’indication du sexe sur les documents d’identité, qui réglerait la question mais ôterait aux avocats une grande part de leurs gains dans les interminables procédures qui font le délice de Caroline Mécary. Quant à Daniel Borrillo, il en appelle à une citation ridicule d’Hannah Arendt (dont il oublie au passage de donner la référence) : « Le droit d’épouser qui l’on veut est un droit humain élémentaire à côté duquel le droit à l’éducation, le droit de s’asseoir où l’on veut dans un bus […] sont effectivement mineurs » ! Son article demanderait une réfutation point par point. J’espère qu’il me sera donné l’occasion de débattre face à ce monsieur qui mène un combat d’arrière-garde, mais je crains, vu le terrorisme intellectuel qui règne dans le milieu gai, que cela ne demande encore des années [1]. Je laisserai le dernier mot à Friedrich Nietzsche : « Le mariage moderne a perdu sa signification — par conséquent on le supprime. » Le crépuscule des idoles ou Comment on philosophe au marteau Flâneries d’un inactuel, 39, Bouquins, p. 1014.

 Je vous invite tout particulièrement à lire le manifeste des Éditions Syllepse, l’alter-éditeur, et à consulter son catalogue. Voir aussi notre article sur Femmes, genre, féminisme.

 Bien entendu, on lira en complément l’indispensable Antimanuel d’éducation sexuelle, de Marcela Iacub & Patrice Maniglier. En avril 2007, le journal gay Illico était victime d’une tentative d’interdiction sous prétexte de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, qui complète l’arsenal répressif antisexe. Le présent article a inspiré à Jacques Raffaelli, rédacteur en chef du magazine Pref mag le dossier de son numéro 20 (mai, juin 2007), consacré au sexe et à la justice, avec entrevue de Catherine Breillat, et Virginie Despentes.
 Ce livre fait partie des nombreux ouvrages que j’ai lus pour écrire mon essai Le Contrat universel : au-delà du « mariage gay ». Et si vous l’achetiez ?

Lionel Labosse


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[1Je dois moduler ces saillies un peu provocatrices en novembre 2008. Je suis en effet heureux de constater une nette évolution du discours de ces mêmes penseurs gays dans un article du Monde relatif à l’affaire Vanneste : « Liberté d’expression et homophobie de parti », par Daniel Borrillo, Éric Fassin, Noël Mamère et Caroline Mécary.