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Amour, mort et poésie, pour les 4e/3e.

L’ombre d’Adrien, de Cathy Ytak

Syros, Les uns et les autres, 2007, 167 p., 10 €.

vendredi 2 novembre 2007

Un roman qui va à l’essentiel, pour rattacher un thème fréquent en littérature jeunesse, la mort d’un ami, à la création verbale. Dans un style influencé par le slam, Cathy Ytak suggère plus qu’elle n’impose une façon alternative de relier les êtres, où s’estompe la frontière entre amour et amitié. Un roman qui se prête à la rêverie, et qu’on commence à lire seulement après avoir tourné la dernière page.

Résumé

Jérémie, 19 ans, est témoin de la mort accidentelle de son copain Adrien, 17 ans, qui s’est jeté ou est tombé dans un abîme lors d’une randonnée sur un chemin escarpé. Adrien et Jérémie se retrouvent avec d’autres ados au même camping chaque été, depuis toujours. Cette année, Jérémie était arrivé un peu en retard parce qu’il avait une voiture et qu’elle était à réparer. À peine avait-il eu le temps de chahuter et d’échanger quelques mots qu’il y avait eu cette promenade fatale. Sous le choc, Jérémie perd la mémoire immédiate des événements. Samia, qui était récemment devenue la petite amie d’Adrien, s’était disputée quelques jours auparavant. Après un interrogatoire par un « sadique de flic » (p. 28), l’enquête avalise la thèse de l’accident. Pourtant, Jérémie, envahi par la culpabilité, retourne sur les lieux du drame, et constate qu’à l’endroit précis où son copain est censé avoir glissé, la voie était sûre. Il va mener une enquête à la fois intérieure et extérieure pour tenter de comprendre ce qui est arrivé à ce copain si proche qu’il connaissait pourtant si mal. Des éléments reviennent peu à peu à sa mémoire, et il découvre qu’Adrien avait caché à toute sa bande d’amis son récent déménagement, suite au divorce tourmenté de ses parents. À Besançon, Adrien s’installe chez une amie de sa tante, et fait la connaissance d’Ilian, 26 ans, d’origine libanaise, et fils du nouvel ami de la mère d’Adrien. Ilian se trouve exercer le métier vers lequel se dirige Jérémie (ostéopathe), et il est passionné de slam. Tout en le guidant dans son enquête, il lui fait découvrir l’émotion par la poésie, une poésie qui, par son origine orphique, est capable d’évoquer les ombres des morts.

Mon avis

On retrouve dans ce roman les motifs qui nous plaisent chez Cathy Ytak. Une évocation discrète des régions françaises, avec visite des trages de Besançon et de la maison natale de Charles Fourier et de celle de Victor Hugo ; des personnages qui glissent en passant des signes de préoccupation sociale : la fermeture d’un bureau de poste ici, l’affiche d’un documentaire sur Lip, l’imagination au pouvoir là. Un style ciselé, sans mots inutiles, avec des formules qui frappent, quand le narrateur se laisse contaminer par le goût du slam pour les assonances et allitérations ou le vers blanc : « Quelques secondes, c’est l’éternité mesurée d’un pucelage que l’on perd » (p. 18) ; « Il avait mordillé sa nuque comme un chiot qui se fait les crocs » (p. 45) ; « Adrien riait tout en râlant comme un pou » (p. 102). Des personnages taiseux qui cachent des trésors de tendresse sous une pudeur verbale : « Il garde pourtant ces mots au fond de lui, incapable de les prononcer à voix haute » (p. 42). Jérémie hérite ce trait de son père, qui s’exprime au téléphone par monosyllabes (p. 103). C’est le vrai sujet de ce roman, car dans cette descente vers l’Hadès pour retrouver Adrien, Jérémie redécouvre un cahier oublié dans lequel, à l’âge de 12 ans, il avait raconté une histoire avec un titre inversé : « Egaruoc » (p. 59) [1] ; et sous l’influence d’Ilian, se laisse pénétrer par le pouvoir créateur des mots, qui est la seule manière dont nous puissions évoquer les « ombres » des morts. On retrouve aussi sous la plume de Cathy Ytak une saine conception de la sexualité vue du côté de garçons qui savent éviter le machisme sans renoncer à leur virilité : « des gadins en vélo, des patins dans la bouche des filles, quelques histoires de nichons étouffées entre douches et W.-C. » (p. 14) ; « des jeux de puceaux et de pucelles » (p. 65). Cependant Jérémie constate que « La mort d’Adrien a tué le désir » (p. 96). Sa tante met le doigt sur une question importante à laquelle Jérémie n’a pas pour l’instant de réponse : « c’était quoi pour toi, Adrien ? Un ami de cœur, un frère, un copain, un amant ? » (p. 69). En découvrant Ilian, sorte de « demi-frère » d’Adrien, Jérémie ressent « une pointe de jalousie » (p. 91). Le narrateur se charge de combler l’abîme entre amour et amitié, avec cette belle scène où Ilian parle d’ostéopathie à Jérémie en lui massant le dos (p. 158) [2]. En se laissant aller, Jérémie retrouve Adrien en rêve, avant de le retrouver par le pouvoir de son lyrisme lorsqu’il se met au slam dans la scène finale. On pense au célèbre poème « Souffles » de Birago Diop, héritier d’Orphée et slammeur avant l’heure dans Leurres et Lueurs : « Ceux qui sont morts ne sont jamais partis / Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire / Et dans l’Ombre qui s’épaissit ».

 De la même auteure, lire Rendez-vous sur le lac, Rien que ta peau, 50 minutes avec toi et Les murs bleus, sans oublier notre entrevue avec Cathy Ytak.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site de Cathy Ytak


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[1Penser au nom de plume de l’auteure, inversion de son prénom.

[2Une recherche sur ce mot, lexicale d’une part, encyclopédique d’autre part, serait une bonne idée pédagogique. L’ostéopathie n’est-elle pas à la médecine ce que le slam est à la poésie ?