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Comme si vous y étiez, pour les lycées
Dans la peau d’un jeune homo, de Hugues Barthe
Hachette littératures, 2007, 95 p., 14 €
lundi 14 mai 2007
Dans la peau d’un jeune homo a tout pour devenir un classique. En près de cent pages, ce livre fait le tour des tourments, des doutes, des espoirs et des joies d’un ado qui se découvre progressivement homo. La question de la sexualité n’est pas évacuée, avec juste ce qu’il faut de provocation pour éloigner les tartufes et réunir tous les publics de bonne volonté. Bref, un « Isidor » amplement mérité, et un des tout meilleurs ouvrages de notre sélection, qu’on se le dise !
Résumé
Notre « jeune homo » vient d’avoir 14 ans, il fréquente le « collège Jean Cocteau » et se sent différent des autres garçons. L’auteur s’adresse à lui à la deuxième personne. Par exemple lorsqu’il entend des mots homophobes, « tu te sens bizarrement coupable, un peu comme s’ils t’étaient destinés ». Il s’entend très bien avec les filles, et a même sa copine attitrée, très garçonne, avec laquelle il sort et flirte en songeant à Tom Cruise. Le jeune homo connaît toutes les affres par lesquelles nous sommes plus ou moins passés, la lecture compulsive de tous les documents qui traitent du sujet (le documentaliste du « collège Jean Cocteau » n’est pas un fidèle d’altersexualite.com !), la stratégie pour acheter discrètement une revue gay, les angoisses devant les émissions ou le prêtre qui culpabilisent sous prétexte de banaliser ou de rassurer (« le plus souvent ce n’est qu’un passage »), les émotions dans les vestiaires, les tentatives avortées d’en parler à maman, avec les perches qu’on tend en vain, la masturbation et les fantasmes, le passage à l’acte avec la meilleure copine qui n’a pas encore compris qu’elle est lesbienne et que ça arrange bien aussi d’avoir une couverture hétéro, le baiser volé à l’étudiant qui donne des cours de maths et prend peur parce que le héros n’a que 14 ans, le frère qu’on croyait homophobe mais qui se révèle super-cool au moment du coming out, pas si terrible qu’on croyait, jusqu’à la première aventure avec l’inévitable mec compliqué dans sa tête… Bref un portrait qui est celui de tout le monde sans être celui de personne, mais qui ravira tous les jeunes lecteurs, qu’ils se sentent ou pas homos !
Mon avis
Dans la peau d’un jeune homo a tout pour devenir un classique. C’est en tout cas la première B.D. de notre sélection qui s’adresse directement aux ados gays, sans provocations inutiles mais sans pudibonderie, avec suffisamment d’humour pour plaire au grand public, et en traitant le sujet de front. L’auteur, né en 1965, déclare s’appuyer sur son expérience personnelle et celle de ses ami(e)s, et avoir eu l’idée de l’ouvrage en lisant une interview de Michel Dorais. Il souhaitait « aider ceux qui, dans leur chair ou dans leur entourage, sont confrontés à cette question ». Pari amplement réussi ! Espérons que nos collègues documentalistes auront le courage de proposer l’ouvrage en bonne place dans les C.D.I. des lycées. Pour tout dire, il y a une page qui m’empêche de le proposer pour les collèges, mais c’est juste parce que j’ai conscience que cela fournirait le prétexte à quelques tartufes pour instruire un faux procès. Aux pages 16 et 17, le jeune homo découvre une revue gay, et par la même occasion « un tas de mots » dont il ne comprend pas la signification, mais qui le fascinent par leurs sonorités et leurs promesses de plaisir : « cockring… je ne comprends pas ce que ça veut dire, mais ça sonne bien ». Il y a aussi « gode » et « fist-fucking ». Cette page empreinte de « cratylisme » me paraît fort juste et amusante, mais à l’heure actuelle elle pourrait faire scandale auprès des hypocrites de toutes obédiences. C’est à mon avis à cause de ces pages que la maison Hachette a publié l’ouvrage pourtant adressé aux ados en collection adultes, c’est-à-dire sans le couvert de la fameuse loi de 1949. Tant mieux, et il serait temps que les amoureux de la liberté d’expression trouvent le courage de manifester pour la suppression de cette loi, qui justifie encore des tentatives d’interdiction de journaux gays entre autres !
Parlons maintenant du style. Dessins sobres en noir et blanc, pas de beaux mecs aux abdos saillants, mais de l’humour, et des idées originales en pagaille. Dès la première page, pour suggérer le sentiment d’étrangeté du jeune homo, le voici transformé en mouton noir parmi les moutons blancs. Un homo planqué des années 50 est évoqué à titre de fantasme pour prolonger le questionnement du personnage. Sa timidité est symbolisée par sa métamorphose en souris devant un objet de désir inaccessible qui devient rhinocéros. Une chimère repoussante se présente comme « la sexualité refoulée de Maurice », etc. L’auteur n’a pas cherché à retracer l’univers d’un jeune homo de sa jeunesse, mais de la génération actuelle, sans sacrifier pour autant à la mode. Le jeune homo est inévitablement attiré par le prof de gym, et se pose des questions sur le prof de français qui a une trousse rose (bigre, il m’a eu comme prof, ou quoi ?), mais ne fait pas l’amalgame avec la pédophilie. L’auteur a négligé la question du sida, ce qui fera hurler certains militants intégristes, mais me semble le meilleur parti pour toucher les jeunes actuels. J’ai le même âge que l’auteur, et j’ai trop souffert d’avoir découvert mon goût pour les mecs en même temps que l’émergence du sida pour souhaiter cela à mon pire ennemi, alors surtout pas aux ados d’aujourd’hui, qui eux, ont la chance – si nous avons le courage de les leur offrir – d’avoir à portée de main ce genre d’ouvrages intelligents et sensibles !
Les lecteurs qui ne craignent pas de se transformer en loups-garous pourront découvrir l’album Le petit Lulu, paru un an avant, qui raconte les débuts de la vie d’adulte du narrateur, avec une sexualité assez explicite (on vous aura prévenus !), et la suite parue en juin 2008 : Bienvenue dans le Marais. En 2011 paraît L’été 79 aux éditions Nil (suivi de L’automne 79, 2013). Il s’agit d’un récit autobiographique de l’été des 15 ans du narrateur, dont le père alcoolique frappe la mère. Aucune allusion altersexuelle dans le tome 1, si ce n’est peut-être, lorsqu’il se réfugie chez ses grands-parents et préfère rester avec sa grand-mère plutôt que de suivre les hommes, cette réplique :« un garçon qui traîne comme ça dans les jupes des femmes, le pépé dit que ce n’est pas normal » (p. 127). Et puis en rabat de couverture, une mention qui nous fait plaisir, d’un « prix Isidore Homoedu », dont nous rappelons cependant que d’une il ne s’agit pas d’un prix mais d’un label ou « diplôme », et que de deux, il s’écrit « Isidor »…
Le tome 2 L’automne 79 est plus explicite, puisque le récit rattrape la narration, une fois bouclé ce qu’il y a à dire sur la période millésimée. On découvre par exemple que son père l’amène sans prévenir dans un cinéma porno, variante de la sortie au bordel, et qu’il préfère les garçons, sans qu’il s’étale sur la question, mais il évoque son compagnon au moment de l’écriture du tome 1. L’ouvrage se clôt sur une intéressante mise en abîme évoquant avec une rare sincérité (ou une impudeur selon le point de vue) l’extrême difficulté à l’écrire.
– Voir l’entrevue qu’Hugues Barthe nous a accordée.
Voir en ligne : Le blog d’Hugues Barthe
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