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Un bouquin dont on fait grand K, pour les 3e.

Philippe avec un grand H, de Guillaume Bourgault

Vents d’Ouest, Coll. Ado, 2003, 195 p., 11,7 €.

samedi 28 avril 2007

Un excellent ouvrage simple et direct, qui donne un aperçu de l’homophobie outre-atlantique et des moyens d’y remédier. Philippe avec un grand H est aussi un bon support pour les profs de français européens qui veulent étudier les idiotismes francophones. C’est enfin une preuve qu’on peut être écrivain et militant sans être taxé de prosélytisme. Quel éditeur ou diffuseur donnera à ce roman l’audience qu’il mérite en France ?

Résumé

C’est en voyant un film « avec la tapette à Keanu Reeves », comme dit son copain Benoît, que Philippe a la révélation : « est-ce que je serais pas h… ? ». Il rêve qu’il embrasse Keanu Reeves. Il doit admettre que « chaque fois qu’il s’était masturbé […] il se mettait toujours à la place de la femme » (p. 13). Dans les jours qui suivent il s’observe observant les garçons, et se heurte à sa propre homophobie. Il tombe amoureux de Stefano, son nouveau voisin d’origine italienne, qui a le contact méditerranéen et le fait « bander » (p. 30). (Guillaume Bourgault appelle un chat un chat, tenez-vous-le pour dit). Comme son copain Benoît s’aperçoit qu’il est amoureux, il ne trouve rien de mieux que de prétendre qu’il aime une fille inaccessible, Hélène. Sans rien oser, il se persuade que Stefano « est aux hommes » (p. 46), mais voilà qu’en plein cours, ce dernier se fend d’une remarque homophobe. Tout s’écroule, Philippe se met à « brailler » devant tout le monde, mais Hélène, compatissante, vient sécher ses larmes, et lui inspire confiance au point qu’il révèle son secret. L’un des cousins d’Hélène s’est suicidé pour la même raison, ce qui explique sa réceptivité. Encouragé par sa nouvelle meilleure amie, Philippe, soit volontairement, soit par actes manqués, met petit à petit sa famille, puis tout le lycée au courant, sans oublier un inconnu qui surprend une conversation. Guillaume Bourgault nous propose donc un échantillonnage des réactions possibles face à une sortie du placard. Le soutien de sa mère, de quelques copains et d’enseignants compréhensifs, s’avérera nécessaire lorsqu’un lycéen homophobe s’attaquera violemment à lui. Philippe se livre alors à une véritable action de Gayrilla, et réussit à retourner la situation, jusqu’au double retournement final, qui prouve la puissance destructrice de l’homophobie intériorisée.

Mon avis

Le roman est précédé d’un « Mot de l’auteur » qu’il faudrait citer en entier. On n’est pas encore près de trouver l’équivalent en France : « Au Québec, près de 40 % des suicides chez les jeunes hommes de quatorze à vingt-cinq ans sont liés à la non-acceptation de leur homosexualité, par eux-mêmes ou leur entourage. Aussi, chez les gais, la première cause de mortalité n’est pas le sida, mais bien le suicide ». L’auteur se présente comme militant, et évoque les réactions des élèves lors de ses interventions « dans les cours de F.P.S. (formation personnelle et sociale) » : « Les questions des élèves sur nos vécus démontraient leur manque d’information et les préjugés transmis par leur entourage ». Ces maudits cousins d’outre-atlantique sont donc les mêmes que nous, mais ce qui est dit dans le roman ainsi que l’impressionnante liste d’adresses d’associations régionales d’aide aux jeunes gais qui figure en annexe, semble prouver qu’ils se serrent les coudes, et qu’on leur permet d’agir. On a donc le paradoxe d’une homophobie plus virulente, comme aux États-Unis (« gay-bashing » évoqué à plusieurs reprises) coexistant avec une action plus visible de lutte contre l’homophobie. En effet, avec la délicieuse hypocrisie qui fait le charme de notre vieille Europe, on n’imagine pas encore d’éditeur jeunesse généraliste proposer en annexe tout cet appareil militant. À moins qu’en France, l’homophobie soit aussi violente, mais que les médias généralistes la taisent. Il est vrai que pour faire la une de tous les journaux télévisés, le premier imbécile venu a plus vite fait de gribouiller une simple croix gammée dans un cimetière juif que d’assassiner froidement un homosexuel. Il est clair que le graffiti antisémite est nettement plus grave et surtout plus médiatique — et plus porteur pour un politicien en mal de populisme — que l’assassinat homophobe.

Parlons maintenant du style de l’ouvrage. Il est efficace, l’auteur n’hésite pas à employer les mots crus quand ils sont nécessaires (voir p. 160 une insulte particulièrement vulgaire), au point qu’en France en tout cas, je déconseille aux prescripteurs de le donner à lire à partir de 12 ans, comme le propose la couverture. Il semble plus raisonnable d’attendre 15 ans, même si le personnage, malgré la médiatisation qu’il donne à son orientation sexuelle, n’a pas la moindre expérience concrète, ni ne semble la rechercher (attitude qui ne laisse d’étonner dans plusieurs d’ouvrages récents de notre sélection). L’abondance des québécismes n’est pas sans accroître notre plaisir, et c’est un excellent biais pédagogique, à mon avis, de présenter la lecture de cet ouvrage à des élèves européens comme un exercice sur l’altérité linguistique avant l’altersexualité. On attend donc avec impatience que des éditeurs hexagonaux, si prompts à faire traduire des ouvrages (excellents) du norvégien et du swahili, nous donnent également accès à ces romans canadiens francophones, si exotiques et pourtant si proches, qui font l’économie d’une traduction pour deux pages de glossaire. Il est parfois agaçant que la francophonie soit si dépendante de modes inconstantes. Dans les années 70 on ne jurait que par le Québec et on ignorait le Mali, maintenant c’est le contraire ! Voici donc un petit aperçu de nos québécismes, pour vous allécher : « Il n’y a que les fifs qui ont des chums de filles ! » (p. 81) ; « j’haïs ça » (passim) ; « lectrice de nouvelles » (i.e. speakerine, p. 138), etc. Un parti pris à comparer à celui, fort différent, constaté dans Requiem Gai, de Vincent Lauzon, un roman canadien très proche par le contenu, si différent dans la forme.

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

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 Lire l’entrevue que nous a accordée Guillaume Bourgault.
 Voir notre bibliographie canadienne.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Site de l’éditeur


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