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Notes de voyage en Corée du Sud (2017)

La Corée du Sud ne perd pas le Nord (4/9)

Chapitre 4 : les Coréens, leurs costumes, leurs chapeaux et leurs femmes !

mercredi 25 octobre 2017

Après 3 épisodes consacrés à présenter mes lectures coréennes, puis à la question de la Corée du Nord, à des conseils pratiques pour les touristes, puis la rubrique « parlons prix », les transports et le métro, les services publics, la géographie et la géomancie, l’agriculture coréenne & les grands immeubles ; nous nous intéresserons dans cet article au physique et au moral des Coréens & Coréennes, à leurs costumes et chapeaux, puis nous livrerons à un vibrant hommage à la femme coréenne, avant les 5 derniers articles consacrés aux bains publics, aux papas coréens, au record du monde coréen de miniaturisation du vous-savez-quoi, aux garçons & au patriarcat ; aux artistes, à l’architecture & à la musique ; à l’histoire, aux religions & superstitions, au chamanisme, à l’esprit de compétition, et à la langue coréenne ; à la flore, à quelques exemples de palimpsestes, à quelques faits culturels de l’ancienne Corée, à l’origine de l’expression « Pays du matin calme » & ses variantes, ainsi que d’autres noms de lieux comme « Quelpaert », à l’épopée des missionnaires & au colonialisme japonais ; enfin à nos amis les Séoulites, la prostitution, la concurrence entre bouddhisme & confucianisme, les coutumes, & l’ouverture d’esprit des anciens voyageurs en Corée.


Portrait robot du Coréen et de la Coréenne
Autant vous prévenir, on aborde un point qui fâche et on risque de tomber dans le politiquement pas glop, à commencer par le sous-titre provocateur de cet article : « leurs costumes, leurs chapeaux et leurs femmes ». Je ne fais, bien entendu, que citer les auteurs anciens, qui semblaient considérer les femmes comme des propriétés des hommes. Maintenant, allons-y ! Voilà, le Coréen n’est pas ma tasse de thé, c’est dit. Physiquement, il me laisse plutôt indifférent, même si moralement je le préfère de loin au Chinois ou au Thaï qui m’exaspère (mais me déplaît moins, avec son phénotype si proche des latinos !). Tous les goûts étant dans la nature, je n’approfondis pas et accepte volontiers que l’honorable lecteur au goût dépravé (pardon : différent !) trouve le Coréen (voire la Coréenne) à son goût. Selon Hippolyte Frandin & Claire Vautier, « le Coréen est Aryen et Mongol. Du premier, il a hérité la blancheur de la peau, le développement du corps et de la taille et la teinte fauve des cheveux et de la barbe. Il est très fier de sa supériorité physique, et cette vanité excite son courage. La vivacité de son regard, l’élasticité de ses mouvements lui viennent de ses pères mongols. » (Omnibus, op. cit., p. 71). Même son de cloche chez Georges Ducrocq : « Les Coréens n’ont pas la face grimaçante des Jaunes. Le sang des races du Nord s’est mélangé dans leurs veines au sang mongol et a produit ce beau type d’homme vigoureux, rudement charpenté, d’une taille imposante. Les yeux ne sont pas bridés ni perpétuellement enfiévrés ; le front saillant, poli et découvert ressemble au front de nos Bretons, il a les reflets joyeux d’un front celtique ; les visages sont très barbus comme ceux des Aïnos de l’île Sakhalin et ce seul trait suffirait à distinguer un Coréen de ses voisins. […] Leur expression naturelle est placide, ils ont l’œil fin et rêveur, beaucoup de laisser-aller et de bonhomie dans les manières. […]
Leurs femmes sont grandes, élancées, la taille assez ferme pour porter sur la tête de lourds fardeaux, assez souple pour demeurer accroupies de longues heures au bord des fontaines. Leur visage, bien marqué, a souvent une expression de gravité touchante, une sérieuse douceur qui contraste avec l’insouciance des hommes : c’est que les fatigues de la vie sont pour elles. En vieillissant elles conservent l’éclat noir de leurs yeux et la majesté de la démarche. Il en est de fort belles. Elles ont alors une admirable ligne de front, l’arc des sourcils plein de hardiesse, une vivacité de regard, des narines moqueuses, la bouche petite, un pur ovale de menton, et leur beauté tout en finesse et en fragilité semble l’héritage d’une très vieille race, peut-être engourdie, mais qui n’a point déchu. Le luxe de ces pauvres gens est dans leur chevelure. Elle est d’un noir d’ébène, lisse, abondante et souple et l’huile la fait briller […]. Personne n’y met le ciseau : les hommes la portent en chignon et maintiennent l’extrémité du toupet par un bout de corail rouge, les adolescents en font une natte, les femmes du peuple un diadème qui leur sert de coussinet pour les fardeaux, les élégantes des bandeaux collés sur le haut du front et noués sous la nuque avec une épingle d’argent. » […] « Le blanc domine dans le costume coréen : c’est la couleur qui convient le mieux à ce peuple enfant. Vestes, pantalons, souliers, bonnets sont, dans la campagne, d’une blancheur éclatante, et les citadins portent tous le pardessus de toile flottant, blanchi, empesé, lustré par les soins des épouses. Les rues de Séoul ont tous les jours un air de fête grâce à ces vêtements clairs et les Coréens le savent bien : la moitié de leur gaieté serait détruite s’ils cessaient de s’habiller en blanc »
(Omnibus, op. cit., p. 280).
Jack London (1876-1916) apprécie : « Les Coréens forment une race robuste, bien musclée, dominant largement de la taille leurs maîtres japonais, les « nains » qui les ont conquis jadis, et qui les regardent maintenant avec des yeux de propriétaires. […] Le Coréen a des traits fins, mais le trait essentiel qui lui manque, c’est la force. En comparaison avec d’autres races plus vigoureuses, il paraît mou et efféminé ; et quelle que puisse avoir été sa force naguère, des siècles de gouvernement corrompu l’ont progressivement fait disparaître. Il est certainement de toutes les créatures humaines, la plus inefficace, absolument dépourvu d’initiative et de volonté ; et la seule activité dans laquelle il excelle, c’est le portage. » (Omnibus, op. cit., p. 604).
Selon des informations difficiles à se procurer et en constante évolution, les Coréens sont plus petits que les Européens, mais l’écart se resserre nettement avec l’évolution du niveau de vie (et de l’alimentation) si l’on croit cet article. Ce n’est pas vraiment un critère, parce que du fait de cette évolution en cours, plutôt un rattrapage, vu les conditions de misère incroyable dans lesquelles ce peuple a vécu jusqu’aux années 1960, et la vitesse à laquelle il s’est enrichi depuis, on voit des Coréens de toutes tailles, de la petite vieille menue, tassée ou voûtée, qui grimpe les escaliers comme une montagne, au mastard qu’on croise en déglutissant dans les mêmes escaliers. Et chez les jeunes mecs, j’ai vu de tout, du très petit (beaucoup) au très grand (pas beaucoup). Peu d’obésité, bien qu’ils passent leur temps à bouffer et à consommer et bien que dans les villes il soit quasiment impossible de pratiquer le jogging pour cause d’urbanisme infernal (cf. articles précédents). Là ne gît pas le loup. Ce qui me gêne chez le Coréen, c’est précisément ce qui plaît je crois aux minettes lycéennes qui me tannent avec leur Corée et leur K-pop : la lisseur du visage et même du corps. Ce pays ne semble habité que par des clones de Tintin, visages tracés en deux traits de ligne claire par un dieu paresseux désireux de peupler un paysage d’estampe. Variante : le Petit Prince de Saint-Exupéry à Busan, au village de la culture de Gamcheon (photo). Les visages masculins sont dépourvus d’ombres ou du dégradé que pourrait amener une pilosité absente, et les corps de même, sauf la pilosité pubienne qui tranche comme une faute de goût, nous y reviendrons. La moitié des jeunes gens ont le visage défiguré par une acné qui se voit d’autant mieux sur un visage lunaire, et beaucoup portent des lunettes, que la mode veut énormes et rondes, étonnant pour des yeux bridés. J’ignore d’ailleurs s’il existe une corrélation entre l’usage intensif des écrans au plus jeune âge, les yeux bridés et les déficits visuels. Je suppose que les filles aussi ont des problèmes de vue, mais doivent préférer les lentilles. Le Quartier chinois de Oh Jung-hi évoque cette acné, dans une époque ancienne : « après avoir collé des bouts de sparadrap pas plus grands que des grains de riz sur les marques sanguinolentes qu’il se faisait en traitant son acné ».
Le Coréen existe en version militaire en grand nombre, et l’on voit souvent des ados attardés habillés en kaki, kalashnikov en bandoulière, avec de grosses lunettes. Les filles sont fardées, cheveux teints et longs pour ressembler à des Européennes au lieu de les conserver en chignon comme leurs ancêtres, ce qui conviendrait mieux à ces visages de poupées. Bref, c’est Ken et Barbie à tous les étages, j’en veux pour preuve les vedettes formatées de la K-pop, telles qu’on peut les voir par exemple dans le flambant neuf « hall of fame » à l’entrée du duty free du grand magasin Lotte de Myeong-dong (Séoul ; photos). En appliquant sa main sur les parois, les fans font apparaître sur de grands écrans vidéo en haut, à gauche et à droite, leurs vedettes adolescentes qui font de mièvres mamours à la caméra, dessinent des cœurs avec leurs doigts et envoient des baisers, degré zéro du fan-club régressif tel que le propose au monde entier la K-pop, divertissement de masse industrialisé avec un succès exponentiel. Ces minets et minettes soumis à un rude dressage par les compagnies qui les recrutent finissent sans doute par savoir se dandiner et produire une musique moins désagréable que la musique classique & cacophonique coréenne, mais ce n’est quand même globalement qu’un produit d’appel insipide pour adolescents.
Pourtant ces bougres de Coréens, quand ils songent à la France, ne pensent pas à nos boys-bands des années 1990 ou 2000 (on aurait du mal à se rappeler un seul nom de groupe de ces années-là, mais qu’est-ce qu’on nous a gonflés avec ça !), mais à de la chanson digne de ce nom. Ainsi ai-je été stupéfait, au moment même où l’A 380 de la Korean touchait le plancher des vaches gauloises à mon retour, de reconnaître la mélodie (sans les paroles) de « Paname » de Léo Ferré, puis « Je ne regrette rien » de Piaf (avec le chant). Léo Ferré a dû se retourner dans sa tombe ! Quand on jette un œil sur ces vedettes de K-pop, on voit par exemple que l’un des plus anciens du lot, un certain Seo Tai-ji, qui n’est pourtant pas bien vieux (voyez la photo de Wikipédia : à 42 ans, physique d’ado), est déjà un éternel has-been : « Actuellement, il habite toujours au Japon où il préparerait son énième retour ». Je ne veux pas paraître trop condescendant, et je suppose que comme partout dans le monde, cet iceberg cache l’existence d’artistes de talent qui n’ont pas accès aux médias de masse, mais en gros, il me semble que ce qui plaît à la midinette occidentale dans la K-pop commerciale est bien superficiel, et en matière d’esthétique humaine, c’est de l’ordre de la poupée Barbie, et même pas du Ken, disons plutôt du Tintin, c’est-à-dire le garçon non pas efféminé mais asexué.

Féroce soldat sud-coréen gardant la cloche Bosingak à Séoul
© Lionel Labosse

Parmi mes photos je pense à ce joli soldat d’opérette de l’escouade chargée de faire retentir tous les jours à midi la cloche de Bosingak à Séoul. Avec son costume de bal masqué, ne le dirait-on pas tout droit sorti de Moulinsart ? Réginald Kann, dans son Journal d’un correspondant de guerre en Extrême-Orient (1905), disponible sur Wikisource, nous apprend que ce pittoresque n’est pas récent : « Débraillés et malpropres, les soldats montent la garde près des innombrables guérites qui encombrent la ville, dans des attitudes aussi diverses que fantaisistes ; leur position favorite consiste à se coucher sur le ventre en fumant une longue pipe. Le fusil repose à quelques pas de son propriétaire. La baïonnette ne quitte jamais le bout du canon. J’attribuai naïvement cette coutume aux instructeurs russes qui les premiers ont tenté de transformer quelques Coréens en soldats ; mais cette dernière illusion devait s’évanouir comme les autres. On me fit remarquer, en effet, qu’aucun des fantassins n’avait de fourreau au ceinturon ; c’est une économie qu’a réalisée l’entrepreneur chargé des fournitures d’armes et qui oblige l’infanterie de Séoul à arborer un air martial dont elle se passerait volontiers. » (Omnibus, op. cit., p. 581).
Quant à la mentalité du Coréen, citons d’abord Angus Hamilton : « Le Coréen est loin d’être un aussi bon serviteur que le Chinois ; il n’a ni initiative, ni faculté de travail, et de plus, il combine l’intempérance, l’immoralité et la paresse à des degrés divers. Le maître finit ordinairement par être le domestique de son serviteur. Le remède à cet état de choses existe toutefois. Si vous mettez une précision suffisante dans votre argument, en ponctuant la démonstration d’un coup de pied, selon que la circonstance l’exige, vous pourrez arriver à transformer le plus négligent et le plus fainéant des valets en un domestique zélé, sinon intelligent. » (Omnibus, op. cit., p. 268). Jack London rapporte une anecdote truculente qu’il faudrait citer en entier, d’un Blanc aux prises avec un « mapu » (un porteur) et un poney. Bien qu’il ne se connaisse pas en chevaux, le Blanc doit forcer par l’exemple le « mapu » à mater la monture récalcitrante pour regarder si elle est bien ferrée, et le mapu y met une mauvaise volonté réjouissante, qui n’est pas sans rappeler le tempérament du Brave Soldat Chvéïk : « À la suite d’ordres plus persuasifs, le mapu, marchant comme un homme qui va à la mort, s’approcha des terrifiants pieds arrière. Il commença par la tête, et tenta de flatter le cheval d’une main tremblante. Le cheval devint nerveux, se demandant sans doute quelle nouvelle et terrible atrocité l’on projetait à son égard. Après trois minutes, le mapu arriva à un pied arrière, tandis que le cheval tremblait, aussi effrayé que l’homme. Alors le cheval rua, et le mapu sauta pour sauver sa vie. Une foule s’était amassée, qui commença à railler le mapu, qui avait honte, mais ne fit rien de plus. La foule était constituée de mapus, que l’homme blanc invita à lever le terrible pied arrière : la foule manifesta une grande frayeur, et recula » (Omnibus, op. cit., p. 605).
Un certain A. Maufroid, dont le prénom reste inconnu, opine du chef : « Je ne voudrais pas calomnier ces braves Coréens ; mais, vraiment, ils ne semblent pas très actifs. En voici dans les champs dont l’énergie est contestable. Ils se mettent trois pour manier une bêche. L’homme qui enfonce l’instrument dans le sol borne là son effort. Ses deux aides tirent, chacun de son côté, sur une corde attachée au bas du manche afin de soulever la motte de terre découpée par le tranchant. » (Omnibus, op. cit., p. 626).
Irma de Manziarly (1878-1956) juge différemment du rapport au travail des Coréens (Pérégrinations asiatiques, 1935) : « le gentleman coréen se promène en fumant. C’est là son occupation principale. Que pourrait-il faire d’autre sans abîmer ses atours ? Discuter peut-être le tracé d’un caractère chinois ou un détail de subtilité confucéenne ? Encore faut-il qu’il soit lettré. Oisif, il n’ambitionne aucune activité ; il n’a ni admiration, ni respect pour le travail. S’il possède un champ qui réclame sa présence, il s’y rend à regret, gardant toujours son haut de forme sur sa tête et son éventail à la main, ce qui ne manque pas de pittoresque. Le soir, il retrouvera sa dignité en fumant, ou bien, dans sa chambre aux portes et fenêtres hermétiquement closes, en s’étendant sur un plancher chauffé, pour se laisser rôtir — forme inattendue de la jouissance humaine. Dans la rue, la foule se compose surtout de ces gentlemen immaculés et de quelques coolies qui travaillent pour quatre, pour dix, pour vingt et peut-être plus… Quelle qu’elle soit, le coolie s’attelle courageusement à la besogne : il transporte notamment des charges telles que je m’attendais à voir un jour une maison sur son dos. Naïf et simple, il porte ses quelques sous chez le sorcier ou la sorcière pour conjurer les diables qui lui jouent de si mauvais tours. Il a beau les attraper, les mettre en bouteille et les enterrer, il en surgit toujours d’autres. Les femmes consacrent le plus clair de leur temps à la lessive éternelle des vêtements blancs des hommes de la famille ; elles les repassent avec une sorte de bassinoire en cuivre. Entre temps elles font la cuisine, s’occupent de la maison et des enfants, cousent les jaquettes, les pantalons, les robes nécessaires et même de petites bottes ; j’en garde deux paires en souvenir d’une courageuse jeune femme qui travaillait du matin au soir. Les Coréennes ont probablement pour le travail aussi peu d’amour que les Coréens. Mais que faire ? Elles se résignent à leur sort. » (Omnibus, op. cit., p. 844).
Georges Ducrocq vante les proverbes coréens : « Ils ont en outre une littérature sentencieuse, des proverbes à l’usage de la vie qui dénotent un bon sens moqueur et un esprit ouvert, sans malice, sur les ridicules. La sagesse coréenne n’est pas insipide et plate, elle a des aperçus vifs et courts, elle peint un défaut en trois mots. Les proverbes sont le miroir des races. Ceux de Corée nous montrent un pays pauvre, obligé de compter : « Offrir une poire, à quelqu’un et mendier les pépins », « Je ne veux pas acheter de vin, fût-ce à ma propre tante, à moins qu’il ne soit bon marché » ; un pays de malchanceux : « Si je colporte du sel, il pleut ; si je colporte de la farine, le vent souffle » ; un pays où la misère est sordide : « Quand même la maison serait brûlée de fond en comble, ce serait encore un bienfait que d’être délivré des punaises. » […] Il en est qui font allusion à l’humble posture de la Corée, comprimée et foulée par ses voisins : « Quand les baleines combattent, les crevettes ont le dos brisé. » Il en est où le Coréen avoue naïvement sa déconvenue : « Il me dit de monter à l’arbre et puis il le secoua » ; et d’autres où il rumine les maux qu’il endure, le cœur révolté : « Même un ver de terre se souvient d’avoir été foulé aux pieds. » » (Omnibus, op. cit., p. 299).

Fier Coréen des années 10 (photo d’archives ethnologiques).
Chacun ses goûts.
© Lionel Labosse

Chacun apprécie à sa façon le physique et la mentalité de l’autochtone. Pour Émile Bourdaret, « À première vue, le Coréen paraît assez grand, bien proportionné, d’un type mongol moins accentué que celui du Chinois dont il diffère par ses pommettes beaucoup moins proéminentes et un teint plus clair. On est frappé aussi par l’expression douce et bonne de sa physionomie où brillent souvent des yeux fort intelligents. En somme, le coréen a l’air bon enfant, sympathique ; mais il est très badaud, très flâneur. En hiver, dans leurs manteaux ou leurs vestons blancs ouatés, ils […] ne donnent pas cette impression d’être transis, de manchots, que l’on éprouve en présence des Japonais lorsqu’ils trottinent sur leurs ghettas sonores, les jambes nues et les mains rentrées dans les manches des kimonos, tendues horizontalement » (Omnibus, op. cit., p. 416). Pour André Bellessort, « Le type coréen est en général supérieur au type japonais. L’homme est plus grand, plus large d’épaules ; il a les traits plus réguliers, les yeux plus fins et plus vifs. Et l’on peut préférer à la figure allongée de la Japonaise aristocratique celle de la jolie Coréenne, qui doit avoir la rondeur et la blancheur dorée de la lune. Il est vrai que je n’en ai guère rencontré qu’une qui répondît à cet idéal. Elle était portée sur les épaules de deux hommes, dans une espèce de boite carrée noire et recouverte d’un toit de papier huilé. J’eus à peine le temps d’admirer son visage ambré, délicieusement joufflu, et ses yeux tendres. Mais on est moins frappé des qualités physiques de cette race que des singularités comiques de son accoutrement. Dans ce pays de boue, dans ces maisons enfumées et crasseuses, les gens ont l’amour paradoxal du blanc et des couleurs fragiles, qui jurent encore avec la manière dont ils s’en affublent. » (Omnibus, op. cit., p. 662).
Anton Zischka (1904-1997) explique l’origine du goût pour les habits blancs : « Dans l’Extrême-Orient le blanc est la couleur du deuil. Lorsqu’un parent meurt, on porte le blanc pendant six mois, lorsqu’on enterre un prince, on le porte neuf mois, si un seigneur vient à mourir, on doit porter le blanc pendant un an et demi. Alors les Japonais que j’interrogeais me racontaient, qu’au XVIIe siècle pendant la période des Sung cinq régents coréens vinrent à mourir l’un après l’autre, de façon que les Coréens durent porter le deuil pendant sept ans. Ils s’habituèrent à ce blanc éclatant si bien qu’ils conservèrent leurs costumes blancs jusqu’à ce jour. » (Omnibus, op. cit., p. 829). Le glossaire du volume Omnibus précise qu’en plus, à la même époque, à cause de la détérioration des rapports entre la Corée et la nouvelle dynastie chinoise Qing en 1644, « Des produits habituellement importés vinrent à manquer, parmi lesquels certaines teintures pour vêtements » (p. 892).

Costumes et chapeaux
Il est amusant de songer que ces avis ont été émis il y a plus d’un siècle, et qu’entre temps, la taille moyenne européenne s’est augmentée de 15 cm. Quand nos compatriotes de cette époque jugent que les Japonais étaient encore plus petits que les Coréens, qu’est-ce que ça devait être ! Jo et Roger Tourte, qui furent parmi les premiers à voyager en Corée à vélo, relatent leur expérience dans À pied autour du monde (1947) : « les Japonais, qui les fabriquent et qui s’en servent, sont courts de jambes et la forme de leur machine s’en ressent ; les plus hautes, elles-mêmes, nous semblent impossibles : les genoux de Roger touchent son menton lorsqu’il pédale. » (Omnibus, op. cit., p. 808). Frédéric Joüon des Longrais (1892-1975) lie le physique coréen à la terre : « À pays aride et sec, race avide et fébrile. Est-ce à son sol fertile, mais un peu morne, que le Coréen doit d’avoir pris cet air d’indifférence stupide et hébétée ? Il est fort curieux de noter que les enfants ont le regard vif et l’air intelligent, on pourrait à la rigueur les prendre pour de petits Japonais : mais après la formation, le regard s’éteint, leurs gestes s’alourdissent et ils s’acheminent rapidement vers cette expression d’abrutissement intégral que certains réalisent avec une perfection insurpassable. Les hommes surtout sont inimitables : la figure longue terminée par quatre poils calamiteux, les joues rentrées, le nez déçu, la paupière tombante, les sourcils remontés et prolongés par le front plissé en vagues, dans un effort permanent de compréhension. Sur l’estomac une ceinture nouée comme une faveur. Puis ce chapeau qui accentue plus que tout encore leur air niais. Imaginez un couvre-chef en canevas transparent, larges bords et tout petit fond, réduction de sombrero pour clown voulant exécuter quelque danse espagnole, cela perché grotesquement sur le coin d’une calotte retenue par deux brides en dessous du menton. Vraiment, quand on s’affuble d’un couvre-chef semblable, l’on risque fort de n’être point pris au sérieux » (Omnibus, op. cit., p. 708).

Séoul, palais de Changdeokgung.
Promenade en habits traditionnels de location. Corée du Sud ou du Nord ?
© Lionel Labosse

Les Coréens adorent jouer à la poupée avec leurs traditions, je suppose pour manifester un lien avec un passé disparu de la vie quotidienne. Ils louent ou achètent des costumes traditionnels (hanbok, constitué d’un jeogori et d’un pantalon ou d’une jupe), surtout les femmes, mais aussi les hommes, pour se promener dans les palais ou lieux touristiques et pratiquer leur loisir favori, se prendre cent fois par jour en selfie ou en photo. Un jeune couple de fiancés s’exhibera ainsi pour les photos de mariage je pense. On a aussi les multiples cérémonies publiques, occasion de défiler avec tambour et trompettes, plume au chapeau, hallebarde de carton-pâte en main. Relève de la garde au palais Gyeongbokgung ; cérémonie des 12 coups de midi au pavillon de la cloche Bosingak, et même dans la galerie marchande de l’aéroport, défilé en grande pompe d’une troupe complète de pseudo soldats accompagnés de femmes en robe, et vas-y que je me prends en photo devant la boutique de produits traditionnels coréens de luxe !
Pour en terminer avec le physique des Coréens, ou même des Asiatiques, Nicolas Bouvier, avec son sens de la formule, les oppose ainsi aux Occidentaux, et c’est la magistrale conclusion de son chapitre : « Il est vrai qu’après les quinze heures de marche de la veille et surtout avec nos visages d’Occidentaux tout en arêtes, saillies, coins et conflits, nous vieillissons plus vite qu’eux avec leur face de lune. J’étais heureux que cette équipée admirable nous ait marqués. C’était comme une encoche sur un couteau d’assassin. Si on ne laisse pas au voyage le droit de nous détruire un peu, autant rester chez soi. » Je pense au Christ en granit de la Cathédrale de Séoul (cf. infra). Kim Hoon ne voit guère de différence physique entre Japonais et Coréens : « Quelques cadavres de marins étaient accrochés dans des touffes de roseaux. Au vu des restes de vêtements habillant encore les corps en décomposition, j’en concluais que c’étaient des Coréens. Ils avaient néanmoins la tête tranchée. Ces têtes, envoyées à la cour royale en transitant par la préfecture militaire, seraient ainsi déclarées au profit de la marine coréenne. » (Le Chant du sabre, op. cit., p. 11).
Hippolyte Frandin et Claire Vautier décrivent ainsi les costumes coréens, en les assortissant de la carte postale ancienne ci-dessous qui montre cette particularité étonnante de la poitrine nue : « Outre le pantalon, la femme mariée porte un corselet montant dans le dos jusqu’au cou, mais laissant la poitrine découverte. De cette façon, les marmots peuvent satisfaire leur appétit sans que leur mère ait besoin de se distraire de sa besogne. Le costume des jeunes filles diffère peu de celui des matrones. Elles nouent seulement le haut de leur pantalon au-dessus des seins, et laissent pendre leurs cheveux, coiffés en bandeaux, réunis par-derrière en une longue natte. Les femmes se font un catogan. […] Le costume masculin comporte également le pantalon bouffant, auquel vient s’adjoindre une robe ou surtout de même étoffe. Les cheveux sont relevés sur les tempes et le front, et serrés au sommet de la tête par un affreux petit chignon. La tenue des célibataires exige la natte dans le dos. Seuls les hommes mariés se couvrent la tête. Ils ornent leur chef d’une sorte de moule à pâtisserie tissé en crin et en manière de tamis. Ce qui est du dernier grotesque, c’est le vêtement de deuil coréen. La cotonnade écrue est alors adoptée. La coiffure, en forme de cône, se dresse, énorme, faite de bambous croisés et d’un poids invraisemblable tandis que, devant son visage, lui en masquant toute la partie inférieure, l’homme affligé doit tenir un morceau d’étoffe soutenu par deux longs bâtons. » Plus loin, ils décrivent la coiffure des femmes d’honneur de la reine : « Seulement sa chaise est portée par des femmes dont les costumes aux gazes miroitantes, effacent en éclat ceux des porteurs du roi. Les coiffures de ces femmes ont une hauteur et une largeur invraisemblables, et leur poids, qui peut atteindre deux kilos, doit leur être une torture. » (p. 104). Le même chapeau de deuil est décrit ainsi par Peter Vay de Vaya, évêque d’origine hongroise, dont les ouvrages sont disponibles sur Wikisource : « Bien qu’en deuil, ils étaient coiffés de chapeaux de paille naturelle, qui affectent la forme de vieux paniers de boulangers. Ces chapeaux ont les bords très larges, recouvrent les épaules et dissimulent entièrement le visage. Dans cet accoutrement singulier, ces gens ressemblent curieusement à ces champignons jaunes qui surgissent du sol après les pluies d’été. Des sandales en paille parachèvent leur pittoresque costume. » (Omnibus, op. cit., p.389).

Carte postale coréenne ancienne : habit traditionnel féminin

Raoul Villetard de Laguérie visite la Corée en 1895. Arrivé au port de « Chémoulpo » [1], il remarque la mise et la coiffure des portefaix : « Ils sont tête nue, tantôt leurs longs cheveux noirs retroussés, vaille que vaille, et résumés sur le sommet du crâne en un paquet ficelé qui semble une andouillette ; tantôt les tempes ceintes d’un tortillon cornu de calicot qui paraît avoir été jadis blanc. Parfois, entre leur face rouge brique et la broussaille noire de leur chignon, une large bande toute blanche atteste l’habitude intermittente de porter un chapeau. » (Omnibus, op. cit., p. 124). Jean-Jacques Matignon évoque le costume féminin (en 1897) : « Voici une femme du peuple ; les seins au vent, elle porte son enfant ficelé sur le dos. Son costume est singulier et mérite une mention. La jupe est une sorte de pantalon à la turque extrêmement large et sans la moindre élégance, noué sous les seins, donnant au beau sexe la vague tournure d’un paquet de linge sale. Le haut du tronc est recouvert d’une sorte de boléro très court, s’arrêtant à la naissance des seins. Ceux-ci sont librement exposés à l’air, et ce décolletage par le bas est bien fait pour surprendre le voyageur à une première rencontre. La couleur de ce boléro varie selon l’âge. Rose ou jaune pour les jeunes filles et les jeunes mariées ; violet pour les femmes au-dessus de trente ans, et blanc pour celles d’un âge plus avancé. La bourgeoise a le même costume ; mais on ne peut juger de son décolleté. Le bon ton veut, en effet qu’elle ne sorte que voilée. Ce voile n’a rien du haïk turc. Il n’est au fond qu’une longue mante de couleur verte, dont on ne passe pas les manches et qu’on met sur la tête. Les bords en sont ramenés autant que possible devant la figure. Dans la rue, vue de loin, la Coréenne ressemble moins à une femme qu’à une guérite de factionnaire : il serait très mal vu d’aller adresser la parole au planton. » (Omnibus, op. cit., p. 189). Je trouve ce Matignon oublieux de notre culture française : ne trouvez-vous point que ces coréennes poitrine à l’air vous ont quelque chose de La Liberté guidant le peuple ?
Dans Zigzags asiatiques, Émile Sautter donne l’origine légendaire des manches : « à la suite de je ne sais plus quel combat fameux où les femmes se distinguèrent très particulièrement pour le salut de la patrie, elles ont été autorisées à accrocher, de chaque côté de leur voile, une manche pour lui donner l’apparence d’un vêtement masculin. » (Omnibus, op. cit., p. 613). Jean de la Jaline décrit l’autochtone coréen : « Acheteurs et vendeurs ont de rudes visages sous le petit chignon raide qu’abrite le chapeau transparent en fibres de bambou. Le costume est une blouse courte et un pantalon serré aux chevilles. Les bourgeois endossent par-dessus une robe d’étoffe blanche légère, qu’un nœud coquet ferme sur le sein droit. Ainsi fermée, la robe s’évase et donne au Coréen la majesté d’une cloche ambulante. Les femmes ont des bandeaux à la vierge, des pantalons bouffants ou des robes sans corsage. Une camisole très courte couvre seulement le haut de la poitrine, favorisant une exhibition qui n’est pas toujours agréable à l’œil. » (Omnibus, op. cit., p. 343). Eugène Brieux opine du bonnet (bonnet B ?) : « D’autres femmes sont vêtues comme celles-là, jusqu’à la ceinture ; mais, sur le buste nu, elles n’ont qu’une sorte de camisole, très étroite, qui laisse pendre et voir, hélas ! des choses tristes et flasques, et longues et hâlées, auxquelles on ne peut vraiment pas donner le nom de seins. La tête est ronde, les cheveux séparés par une raie médiane et collés sur la tête en bandeaux inesthétiques. » (Omnibus, op. cit., p. 638). Robert Chauvelot poétise : « Quant à leurs femmes – souvent jolies, voire désirables – elles affectent l’aspect de Juives de l’Ancien Testament, portant sur la tête, en guise de voile, le manteau vert bordé de rouge, aux manches flottantes, absolument comme Rébecca à la fontaine, à cette différence près, toutefois, que ces Coréennes exposent paradoxalement à la vue des passants les deux globes nus de leur poitrine, selon le cas, triomphants ou affaissés. » (Omnibus, op. cit., p. 731).
Émile Bourdaret apprécie les belles choses : « Dans la loge, en face de moi, sont réunis quelques élégants fils de famille, fêtards turbulents et bruyants, au parler haut, aux allures efféminées. Ils viennent là cueillir les sourires et les œillades intéressés de « Clair de Lune » ou de « Jade brillante », les danseuses qui paraîtront tout à l’heure. », et remarque « à mesure que l’on s’avance vers le nord de la Corée, que l’habitant est plus grand, plus fort, de traits plus rudes, plus accentués que celui du sud » (Omnibus, op. cit., pp. 470 & 483). Angus Hamilton note la tenue fort simple les enfants : « Garçons et filles, la plus singulière et la plus sale marmaille qu’on puisse voir, sont laissés libres, jusqu’à un certain âge, de vagabonder dans les rues, de jouer dans le ruisseau, et autour des bouches d’égouts, absolument nus — usage économique qui est commun dans tout l’Extrême-Orient. » (p. 224). Et pour les adultes, il n’est pas tant dégoûté : « On ne peut nier que l’aspect extérieur des hommes et des femmes ne rende la capitale singulièrement attrayante. Les hommes sont beaux, bien faits ; ce sont des gens calmes, dignes dans leur attitude, polis et même prévenants vis-à-vis les uns des autres. » (Omnibus, op. cit., pp. 227).
Les chapeaux des hommes attirent l’œil ironique des commentateurs, notamment le chapeau de deuil : « C’est une monumentale cloche à melon en paille tressée, aux bords légèrement échancrés en longues ondulations. Ce couvre-chef masque absolument la figure. Aux yeux des Coréens, en effet, un homme en deuil est un homme mort. Il doit être abîmé dans sa douleur, au point de ne rien voir du monde qui l’entoure ; rien ne doit le distraire. Il n’est même pas obligé de répondre aux questions qu’on lui pose et pour bien montrer que sa bouche doit rester close, il tient au devant une pièce d’étoffe de vingt centimètres carrés, montée sur deux bâtonnets de cinquante centimètres de longueur » (Omnibus, op. cit., p. 191) ; et Jean-Jacques Matignon de rappeler la fameuse ruse des missionnaires qui utilisèrent cette coutume pour pénétrer en Corée à l’époque du royaume ermite. Frédéric Joüon des Longrais nous donne une précision : « ce panier de paille, sous lequel disparaissent comme sous un éteignoir, ceux qu’afflige quelque deuil récent. Ils semblent ainsi de jeunes champignons ambulants, mais ils en émergent en découpant tout autour la tresse de paille, au fur et à mesure que leur deuil s’avance, jusqu’à ce qu’il finisse par ne plus rien rester du deuil ni du chapeau. » (Omnibus, op. cit., p. 708). Voici une carte postale ancienne représentant cet étonnant habit.

Carte postale coréenne ancienne : habit traditionnel de deuil

Maurice Moncharville (né en 1864), publie Pages africaines et asiatiques en 1938. Il observe d’étranges chapeaux lors d’une visite à des prévenus dans une prison aux environs de Séoul : « Puisqu’un jugement ne les a pas encore déclarés coupables on a estimé qu’ils ne devaient pas être reconnus. Aussi sont-ils coiffés d’un volumineux chapeau conique dont les bords retombent jusqu’aux épaules en cachant la figure. » (Omnibus, op. cit., p. 877). Le chapeau de cour est ainsi décrit par Jean-Jacques Matignon : « Une chose attire notre attention : la coiffure – encore le chapitre du chapeau ! – une sorte de casque, sans crinière bien entendu, formé de crins blancs ou de fibres de bambou tressés ; à la partie postérieure et inférieure, débordant à droite et à gauche, se voient comme deux petites raquettes. Cette coiffure est l’ancienne coiffure chinoise de la dynastie des Mings, et elle est des plus allégoriques. Ces deux petites raquettes auxquelles je faisais allusion représentent à la fois l’oreille tendue pour mieux saisir l’ordre du souverain et l’aile rapide à le transmettre. » (p. 196). Georges Ducrocq n’a pas manqué ce chapitre : « Les Coréens ont des goûts simples, sauf pour leurs chapeaux qui sont compliqués et coûteux. Ils rappellent nos hauts de forme, mais ils sont encore plus comiques, perchés sur le sommet d’un chignon, en équilibre sur une perruque. Ils ne diffèrent que par la qualité du crin. On porte un chapeau selon sa fortune et son rang : aux particuliers des fibres de bambou, aux gentilshommes des soies de sanglier. Un Coréen ne s’y trompe pas : à la légèreté, à la transparence, aux reflets du chapeau il juge un homme. Pour n’en pas porter il faut être coolie ou en deuil, c’est-à-dire réduit à la grande cloche de paille. Les adolescents le portent jaune clair, les hommes noir, les lettrés le remplacent par un diadème de crin. […] Bref un Coréen ne se conçoit pas sans chapeau et c’est un objet si fragile et si précieux qu’il reste solidement planté sur la tête : l’empereur peut passer, le Coréen s’inclinera, mais ne lui donnera pas un coup de chapeau. » (Omnibus, op. cit., p. 289).
Voici Pierre Loti, dans La Troisième jeunesse de madame Prune (1905) : « Quant aux hommes mariés, ils étaient irrésistiblement drôles, coiffés tous, d’après l’usage inéluctable, d’un nœud de cheveux et d’une espèce de petit chapeau imitant notre « haut de forme », en crin noir avec des brides pour nouer sous le menton ; si petits, ces chapeaux, d’une si ridicule petitesse, qu’on eût dit ceux qu’ont inventés chez nous les clowns. Et comme on était en juin et qu’il faisait très chaud, nombre de gens portaient autour du torse et des bras, sous la robe légère, une sorte de carcasse, de crinoline en jonc tressé, pour isoler la mousseline du corps ; cela donnait des bonshommes tout ronds, comme des poussahs en baudruche soufflée. » (Omnibus, op. cit., p. 319). Il est étonnant d’ailleurs que ce chapeau coréen si évanescent n’ait jamais été compris comme une simple métaphore de la montagne et de la plaine. Pierre Loti le naturalise : « Quelques personnages officiels, interprètes et ministres, se tenaient à leurs côtés en robes de soie sombre. Et tous étaient coiffés de ce haut bonnet, à antennes de scarabée, qui se portait jadis à Pékin du temps des empereurs mings, — et qui est du reste le seul emprunt fait par les Coréens aux modes chinoises. » (Omnibus, op. cit., p. 327).

Éloge de la Coréenne
Il faut citer de longs extraits du tableau dressé par Angus Hamilton de la condition des femmes séoulites en 1900 : « Le contraste entre le visage caché et la poitrine découverte est extrêmement comique. Quand le chang-ot est mis correctement, on n’aperçoit qu’un œil, un soupçon de la joue, de la tempe et du front. Cela est presque inutile toutefois, puisque pour la plupart des femmes, leur seul charme est la beauté possible que le chang-ot dissimule. » […] « La femme des hautes classes vit assez comme la femme hindoue dans le zenana ou gynécée ; depuis l’âge de douze ans, elle n’est visible qu’aux gens qui faisaient partie de la maison et à ses proches parents. Elle se marie jeune, et à partir de là ses connaissances parmi les hommes ne dépassent pas le cinquième degré de cousinage. Elle peut rendre visite à ses amies, portée en chaise fermée par quatre porteurs. Elle va rarement à pied, mais si elle le fait, son visage est invariablement voilé dans les plis du chang-ot. Les femmes de la classe moyenne sont soumises à peu de restrictions quant à leur tenue dans les rues, et elles ne sont pas aussi sévèrement recluses à la maison que leurs sœurs de l’aristocratie ; elles ont cependant le visage voilé. Le chang-ot ne cache pas aussi complètement que le voile porté en Turquie. De plus, on l’enlève souvent dans la vieillesse. Il est interdit aux danseuses, aux esclaves, aux religieuses et aux prostituées, toutes comprises dans la plus basse classe, de porter le chang-ot. Les femmes médecins également s’en dispensent, quoiqu’il soit permis seulement aux femmes de haute naissance de pratiquer la médecine. D’une manière générale, l’occupation principale des femmes en Corée est la maternité. Il est très scandaleux qu’une femme atteigne la vingtième année sans s’être mariée, et il n’existe aucune raison meilleure pour le divorce que la stérilité. » […] « Il est impossible de ne pas admirer l’activité et l’énergie de la femme coréenne. En dépit du mépris avec lequel elle est traitée, elle est le grand facteur économique dans la maison et dans la vie de la nation. La force des circonstances l’a faite la bête de somme. Elle travaille pour que son seigneur et maître puisse reposer dans la paresse, dans un luxe relatif et en paix. Malgré les effets déprimants et pernicieux de ce dogme absurde d’infériorité, et en contradiction avec des siècles de théorie et de philosophie, son activité et sa droiture sont plus évidentes dans la vie nationale que l’industrie de son mari. Elle est exceptionnellement active, forte de caractère, pleine de ressources dans les cas difficiles, méticuleuse, persévérante, indomptable, courageuse et dévouée. Dans la classe moyenne et la classe inférieure, elle joue le rôle de tailleur et de blanchisseuse. Elle fait le travail d’un homme dans la maison et d’un animal dans les champs ; elle fait la cuisine et elle coud ; elle lave et repasse ; elle entreprend un commerce et le dirige, ou bien elle travaille la terre et exploite une ferme. En présence de toute adversité, et dans ces moments d’épreuves et de misère où son fainéant de seigneur et maître s’effondre dans le néant de son désespoir, c’est elle qui maintient la misérable famille en péril. Sous la dynastie précédente, la sphère d’activité des femmes en Corée était moins restreinte. La loi de réclusion n’existait pas ; le sexe féminin jouissait d’une plus grande liberté publique. Vers la fin de cette dynastie cependant, le caractère de la société s’abaissa, et les femmes spécialement furent en butte à la violence. Les prêtres bouddhistes se livrèrent à une débauche universelle ; l’infidélité conjugale fut pratiquée comme un sport ; l’enlèvement devint à la mode. La dynastie actuelle s’efforça de réprimer ces désordres en ordonnant et en propageant l’isolement et une plus grande soumission des femmes. Le vice et l’immoralité se pratiquaient depuis si longtemps et d’une façon si générale que les hommes avaient déjà commencé d’eux-mêmes à garder leurs femmes enfermées. S’ils les respectaient dans une certaine mesure, ils étaient tout à fait soupçonneux à d’autres égards. La crainte et la méfiance étaient ainsi les causes dominantes de la réclusion des femmes, et ce système se développait de lui-même, les Coréens ayant appris à redouter les propensions amoureuses de leur propre sexe. » (Omnibus, op. cit., pp. 223-231).
Joseph de la Nézière (1873-1944) note un rare cas de discrimination favorable aux femmes : « Il était également défendu aux hommes de circuler le soir dans les rues. Cette interdiction ne s’étendait pas au beau sexe, et certains noctambules, pour éviter tout ennui, adoptaient sans scrupule le costume féminin. Toutes ces mesures de précaution avaient pour but de rassurer l’Empereur qui vit dans la crainte depuis que les Japonais ont assassiné sa femme, l’Impératrice Min » (Omnibus, op. cit., pp. 370).

 Le Réseau des études sur la Corée de l’université Paris-Diderot est une ressource savante incontournable, que l’on peut investir par le trou de souris de son blog.
 La MGT, médiathèque du grand Troyes, a réalisé un dossier illustré complet sur la Corée ancienne.

 La photo de vignette de l’article représente un joli soldat d’opérette.

 Lire le chapitre 1, le chapitre 2, le chapitre 3, le chapitre 5, le chapitre 6, le chapitre 7, le chapitre 8, le chapitre 9.

Lionel Labosse


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[1Ou Chemulpo, ancien nom du port de l’actuelle Incheon, ville millionnaire en nombre d’habitants située à l’ouest de Séoul, faisant partie de la conurbation, et sur le sol de laquelle est situé l’aéroport principal ; le port eut jadis tant d’importance, qu’il occulta le nom « de la cité à laquelle il était rattaché » (Omnibus, p. 891).