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Des cartouches pour se battre, pour les lycées.

Petit manuel de Gayrilla à l’usage des jeunes, d’Éric Verdier et Michel Dorais

H&O Éditions, 2005, 174 p., 11 €.

vendredi 6 avril 2007

Petit manuel de Gayrilla à l’usage des jeunes, ou comment lutter contre l’homophobie au quotidien, voici le titre et le sous-titre explicites de cet ouvrage qui s’adresse directement aux jeunes altersexuels. C’est l’un des premiers ouvrages à englober, par le biais des discriminations, toutes les catégories altersexuelles, sans oublier les bis, et les transgenre, particulièrement les « FTM » (Female To Male).

Résumé

Ce manuel contient un préambule personnel à deux voix, 15 chapitres avec des titres exclamatifs ou en tout cas adressés à autrui : « Je reste debout, et toi ? » ou bien : « Personne ne me marche dessus ! », un glossaire et une bibliographie. Chaque chapitre est constitué de rubriques signalées par des logos : Trucs à retenir ; Piège / Éviter le piège ; Histoire vraie ; Expérience pratique. Les mots en gras renvoient au glossaire. Les auteurs, qui ont été « intervenants sociaux, enseignants, chercheurs », puis « parents suppléants ou d’adoption », réduisent la distance avec leurs lecteurs : « Mais avant tout ils ont eux-mêmes été enfants ou adolescents » (p. 11). Éviter les pièges, ça peut être : « refuse de rentrer dans la cage « qui rend invisible » qu’on te propose » (p. 33). Parmi les expériences pratiques, on trouve l’attitude à adopter en cas de propos homophobes d’un enseignant ou d’un médecin, mais aussi le « jeu des étiquettes », ou la « théâtralisation », excellentes suggestions pour une action ponctuelle en lycée dans le cadre de la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie. Les histoires vraies se répartissent entre toutes les catégories altersexuelles, et c’est un des grands atouts de ce livre. En effet, les jeunes lecteurs pourront comparer ces témoignages avec les nombreuses fictions de notre sélection. Les auteurs donnent une place importante à la bisexualité, et au « non-conformisme de genre ». On retiendra l’histoire de Kathia, qui se prostitue et se fait faire un enfant par un client, ou celle d’Antoine, dont les parents sont particulièrement gratinés, ou encore Sahd, qui déclare : « Il y a des gens dans mon entourage qui sont extrémistes, qui se jettent dans la religion pour se défendre de ce qu’ils ressentent… » (p. 117). Les auteurs donnent également la parole, fait rare, aux minorités parmi les minorités. Ainsi, on trouvera un dialogue « entre personnes sourdes et personnes de petite taille » (p. 145). On aurait apprécié un développement de la question cruciale du profil psychologique des parents d’homos (mère étouffante, père absent), évacué en quatre lignes p. 21. En effet, c’est une idée reçue tellement répandue, même parmi des gens qu’on ne peut suspecter d’homophobie, qu’elle mériterait une cartouchière à elle seule dans cette gayrilla !

Mon avis

Cet ouvrage vient à point pour compléter l’offre des documentaires. À proposer dans tous les lycées, à côté de l’ouvrage d’Anne Vaisman et de celui de Jean-Baptiste Coursaud. Le ton vif et revendicatif conviendra surtout aux lycéens et étudiants, et ce livre leur permettra sans doute de brûler les étapes que leurs aînés ont parfois mis des dizaines d’années à franchir… car il ne faut pas se leurrer, la lutte contre l’homophobie est d’abord leur affaire, et selon le vieil adage, aide-toi, le ciel t’aidera ! Par contre, le vocabulaire technique et la profusion de néologismes peuvent rebuter les collégiens. Les auteurs n’en sont pas avares, mais s’adressant à des jeunes, ils auraient pu commencer par un glossaire plus étendu, et définir des mots clés dont ils semblent familiers, mais dans lesquels nous nous perdons, même si ces notions sont éclairantes. On apprécie les distinctions entre marginaux et « marginalisés », entre « suicide réussi » et « suicide complété ». Sur ce point, il faut lire (pour les adultes) l’excellent ouvrage d’Éric Verdier et Jean-Marie Firdion, Homosexualités et suicide, paru en 2003 chez le même éditeur.

On savoure les notions de normopathie, d’appropriation et de contamination du stigmate, d’homophobie intériorisée, de coparentalité (même si nous lui préférons celle de « famille altersexuelle »), de resignification, etc. Sur le vocabulaire, justement, les tâtonnements des auteurs pour trouver des formules permettant d’englober toutes les catégories altersexuelles sans s’aliéner certains intégristes du langage, font parfois sourire : les jeunes de la diversité sexuelle et du non-conformisme de genre font place aux gay-les-bi-trans, et un avertissement préliminaire (p. 9) nous sauve de la manie des « (le)s » qui émaillent souvent les textes francophones. Mon esprit tatillon reprocherait bien — mais c’est véniel — quelques exagérations. Par exemple, quand le Pacs et l’union civile sont traités de « mariages de deuxième ordre », et qu’on en appelle à l’apartheid et au nazisme (p. 68). Les auteurs semblent particulièrement remontés sur la question du mariage, puisqu’ils traitent quasiment d’homophobes les gens qui — comme moi — persistent à s’opposer au mariage ! À cet égard, ne serait-ce pas une bonne idée de retourner un tant soit peu le concept de « normopathie » et de suggérer que les « intégristes identitaires » (p. 13) ne se trouvent pas uniquement chez les hétérosexuels ? À normopathe, normopathe et demi ! Balayer devant sa porte, parfois, cela évite que des excités ne soient tentés de le faire au Kärcher ! En parlant de « normopathie », je relève encore ces conseils détonnants pour éviter les lieux de drague : « n’y allez pas seul, évitez les lieux trop isolés, calculez les risques » (p. 138). Drôle de « gayrilla » ! Je suggérerais surtout pour ma part, d’être solidaire et de prévenir la police en cas d’agression. Pour terminer sur une note positive, voici une excellente repartie proposée à cette réplique si souvent entendue : « Il ne faut pas en parler aux enfants, ça va leur donner des idées ! — Si tu penses vraiment que de seulement en entendre parler ça donne l’envie irrésistible d’essayer ça, c’est que ça doit drôlement te tenter ! » (p. 23).

 Lire la chronique de Serge Meitinger.
 Voir notre bibliographie canadienne.

Lionel Labosse


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