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Un ouvrage pragmatique, de la 4e au lycée, et pour les éducateurs

Adolescents homosexuels – Des préjugés à l’acceptation, d’Élisabeth Thorens-Gaud

Favre, 2009, 184 p., 18 €

mercredi 14 juillet 2010

Élisabeth Thorens-Gaud est hétérosexuelle, mère de famille, professeure en Suisse romande, et rien ne la destinait à s’intéresser à l’altersexualité. Elle a eu le déclic suite au coming out d’une de ses élèves notamment, dont elle a constaté la détresse. Face au manque d’information dans les établissements, elle a fait le projet d’écrire un essai sur la question, et a pu bénéficier à ce titre d’un congé rémunéré de quelques mois. Il s’agit, m’a-t-elle expliqué, d’une mesure des instances gouvernementales qui vise à pallier la stagnation des rémunérations des enseignants. Cette subvention n’a pas été vaine, car elle a fait un travail remarquable, une véritable enquête de Candide, en Suisse, en France, au Canada, aux États-Unis et même au Mexique (entrevue avec Marina Castaneda). Le résultat est ce livre très pragmatique qui fera du bien aux personnes concernées (enfants altersexuels et leurs familles, enseignants en quête d’information). Le point de vue a priori neutre est intéressant, car l’auteure laisse de côté toute revendication militante, et écarte hardiment les peaux de bananes qui jonchaient le chemin frayé avant elle (culpabilisation des parents, psychologisation de la question, recherche vaine des causes de l’homosexualité (p. 125)). Elle laisse la parole aux jeunes et aux familles, ainsi qu’à quelques spécialistes, et poursuit modestement sa réflexion dans ce livre bien construit et bien écrit – avec en prime un petit accent vaudois qui perle entre les lignes. Parallèlement à la parution du livre, Élisabeth Thorens-Gaud a créé l’association Mosaïc info en Suisse romande, et le succès mérité de son ouvrage semble avoir convaincu les instances éducatives locales d’agir en la matière ; elle bénéficiera l’an prochain d’un quart-temps pour se consacrer à ces actions. On rêverait de cela en France : quinze ans de militantisme sur le sujet, et toujours aucun conseiller au ministère ou dans les rectorats pour traiter ces questions. Cela pourtant éviterait aux ministres de proférer des inepties du type « il est prématuré d’aborder l’homosexualité avant le lycée » !

La préface de Bernard Pulver, directeur de l’Instruction publique du canton de Berne donne le ton, avec cette belle phrase : « Nous sommes là précisément au cœur de la difficulté : l’autre n’est pas prévisible, pas complètement accessible et peut dès lors me faire peur » [1]. Puis on part d’une sorte d’étude de cas, cette fameuse élève que l’auteure a eu l’occasion d’assister, ce qui lui a donné l’occasion de constater l’absence d’informations disponibles, notamment de livres sur le sujet à la bibliothèque du lycée. Et l’auteure comble cette lacune en analysant le témoignage de quelques jeunes, croisé avec celui de leurs parents, sans censurer les questionnements problématiques, comme celui de François : « J’ai un côté fille, voilà, peut-être que je suis né avec un truc qui n’est pas normal » (p. 27), qui montre que la phrase de Bernard Pulver s’applique aussi à l’intérieur de soi-même. Les jeunes parlent de leurs parents, mais aussi de leurs professeurs, et montrent qu’ils sont en attente de reconnaissance de la part de ceux-ci : « Pourtant, un professeur, ça sait quand un élève est tout seul et n’a pas d’amis dans la classe » (p. 34). On découvre qu’il existe encore des cas de rejet violent de la part des parents : « Un soir, [mon père] m’a saisi par les épaules, a fait mine de m’étrangler en me disant : "je te préviens, si tu es homo, je te tue et je me tue après !" » (p. 37).

Militante à son corps défendant

Si l’auteure ne reprend pas à son compte les revendications à la mode (mariage, adoption…), son pragmatisme l’amène sur certains points à être fort audacieuse, comme lorsqu’elle appelle à la création de lieux de socialisation dans les établissements, ou qu’elle encourage les collègues à prendre conscience de l’hétérosexisme souvent inconscient de leur discours (p. 42). Elle propose par exemple aux profs de « préférer le terme neutre "partenaire" plutôt que "fille-garçon" » [2] Mieux, elle relaie les demandes des jeunes qu’elle a rencontrés, d’« encourager les professeurs gay et lesbiennes à faire leur coming out, pour que les élèves concernés puissent s’identifier à des rôles positifs » (p. 45). Dans le contexte actuel, je trouve ça couillu [3] comme proposition, mais puisque c’est une hétéro qui le dit… allons-y les filles ! Elle fait le tour de la francophonie pour constater ce qui existe ou non, avec une incursion aux États-Unis. Pour la Suisse, hommage est rendu au jeune précurseur Stéphane Riethauser, auteur de À visage découvert (2000), et fondateur de Lambda éducation. Il existe dans certaines écoles, au Canada et aux États-Unis, des « réseaux des alliés » qui permettent de socialiser les jeunes en questionnement, et qui s’appuient justement sur des profs qui ont fait leur coming out. Nous en sommes bien loin en France, d’où l’utilité d’un tel livre, qui nous pousse à être réalistes, c’est-à-dire à revendiquer l’impossible !

L’échelle de réaction des parents

L’apport le plus original de l’ouvrage est sans doute cette échelle des réactions des parents face à un coming out d’un enfant, en 8 étapes, des signes à l’engagement, en passant par le choc et le « coming out des parents ». À lire et à faire lire aux ados avant de leur conseiller à tort et à travers de faire leur coming out comme on se brosse les dents ! Voir par exemple p. 117, le fils qui annonce ça de but en blanc, ou pire : « À la vue de mon fils au lit avec un gaillard, mon corps s’est mis à trembler de façon incontrôlée » (p. 68). On est souvent ému de constater que les parents, pour peu qu’ils progressent sur cette fameuse échelle, passent avec un temps de retard par toutes les étapes par lesquelles nous sommes passés avant eux, comme par exemple la honte de consulter un ouvrage ou une revue à la librairie ou bibliothèque (et encore, avant, il n’y avait pas Internet !) La culpabilisation, qui touche encore de nombreux parents, est dépassée par ceux qui atteignent les degrés supérieurs de l’échelle : « Je ne me suis pas trop posé la question de savoir comment j’avais fait pour donner naissance à une fille homosexuelle. En revanche, je me suis souvent demandé comment j’avais fait pour mettre au monde un fils aux idées si conservatrices. » (p. 108, à propos de l’aîné qui n’accepte pas son frère homo). Pour la bonne bouche, signalons cet helvétisme de la même personne : « Quand on parle des requérants d’asile, je lui rue dans les brancards » (p. 107). Une question : l’échelle serait-elle la même pour les enfants ayant tardivement découvert l’homosexualité d’un parent ?

L’ouvrage se termine par un catalogue de références et de ressources, avec des informations souvent très à jour, qui m’ont fait revoir certains de mes articles un peu datés ! (Mis à part la littérature jeunesse, malheureusement absente…) L’auteure donne quelques conseils aux enseignants, en rassurant ceux qui croient qu’il s’agit encore d’une « cause » qui va grignoter leur précieux cours : au contraire, il s’agit d’« intégr[er] la réalité de l’homosexualité dans le contenu de nos cours ». Elle croit à la « mise en place d’une "charte de la diversité" par les établissements scolaires ». S’en rapprocherait-on en France avec la circulaire de 2009 qui stipule que « Les règlements intérieurs doivent impérativement mentionner le refus de toutes les formes de discrimination et les nommer clairement ». Le problème : est-ce que cela a été appliqué ?

Quelques réflexions personnelles

Les témoignages, tous passionnants, me conduisent à quelques réflexions personnelles, que voici en vrac.
 Souvent les parents présentent la chose à leur entourage en parlant de l’ami de leur fils ou l’amie de leur fille ; mais qu’en est-il quand cet enfant – comme cela arrive aussi à des hétéros – est un SDF de l’amour, sans partenaire fixe ? On peut sans doute s’en tirer par une pirouette du genre : « ma fille préfère les filles »… Les parents semblent très inquiets sur le sujet : « Il nous parle de ses copains qui sont très libertins. J’ignore si lui et son ami sont fidèles » (p. 85). On en vient naturellement au sida, qui semble inquiéter autant qu’il y a 25 ans, quand c’était une maladie incurable. Une mère déclare : « Tout ce que j’espérais, c’est qu’il se protège, comme je l’aurais espéré s’il avait entretenu des rapports sexuels avec une fille » (p. 120). Or dans le contexte, il n’est question que d’une relation avec un seul partenaire. Le bon sens ne voudrait-il pas que l’on souhaitât que le couple – à condition que les deux partenaires fussent séronégatifs – eût des rapports sans préservatifs et connût un maximum de plaisir pour ne pas avoir envie d’aller voir ailleurs, et, s’ils y allassent, qu’à ce moment seulement il fût question de préservatifs ? Où l’on voit que le matraquage sur le sida a intériorisé un combat que l’Église était en train de perdre : la peur panique du pénis, ou sexophobie. Malgré les progrès importants de la recherche contre cette maladie, la pression et les intérêts convergents des moralistes de tout poil d’une part et de tous ceux qui ont un poste bien rémunéré à conserver d’autre part, réussissent à faire perdurer auprès d’une bonne partie de la population cette irrationnelle terreur. Une mère, par exemple, s’inquiète-t-elle du fait que sa fille ait une chance sur 8 de faire un cancer du sein ? Pourtant, au risque de passer pour un rabat-joie [4], je rappelle les chiffres : 1200 nouveaux cas de sida déclaré par an en France, 400 décès (données 2007). À comparer avec 50000 nouveaux cancers du sein par an, et 11000 morts. On prétend que le fait de ne pas avoir d’enfant pour une femme est un risque aggravant, ce qui devrait alarmer les parents de lesbiennes davantage que le sida n’alarme les parents de gays. Mais la propagande et la désinformation sont tellement rodées que les gens sont inutilement terrorisés par le sida, et inconscients par rapport au cancer.
 On constate de même à travers certains propos à quel point la campagne médiatique de l’« homoparentalité » a imprégné les consciences, puisqu’une mère de lesbienne déclare : « Comment [un éventuel petit-enfant] gérera-t-il les railleries de ses amis lorsqu’il devra dire à ses camarades qu’il a deux mamans, et qu’il n’a pas de papa ? » (p. 97). (On retrouve en passant les arguments de mauvaise foi des « anti-pacs »). N’est-il pas significatif que cette mère n’évoque que cette possibilité-là, alors que – fort heureusement – il existe de nombreuses possibilités d’alterparentalité qui ne passent pas par l’éviction d’un père ou par l’insémination artificielle avec donneur anonyme ! Mais sans doute est-ce un relent d’homophobie inconsciente qui empêche une mère d’envisager d’autres solutions (deux mères et deux pères, une mère et deux pères, deux mères et un père, une mère et un père dont un ou deux sont homos, etc.).
Mais laissons là ces digressions personnelles. Adolescents homosexuels – Des préjugés à l’acceptation est un excellent ouvrage qui honorera les étagères de votre CDI !

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 J’ai fait la connaissance d’Élisabeth Thorens-Gaud lors d’une conférence à Toulouse le 18 mai 2010.
 Cet article a été traduit en italien (sans mon accord) sur ce site.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site d’Élisabeth Thorens-Gaud


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[1Cela rappelle ce qu’Albert Memmi nommait « hétérophobie » ou « peur agressive d’autrui » dans Ce que je crois, en 1985.

[2Je me suis demandé pourquoi pas plutôt « personne », car « partenaire » entraîne quand même un accord en genre (as-tu un/une partenaire ≠ es-tu amoureux/se d’une personne).

[3Oui, je sais, on ne dit pas « couillu », mais « clitoru », arrêtez de râler !

[4Voir cet article où j’ai déjà traité la question.