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La Fontaine, Alain, Pierre Sansot, Robert Doisneau

Synthèse de BTS vitesse / lenteur, avec corrigé.

Un corpus original sur le thème « À toute vitesse ! »

samedi 19 décembre 2020, par Lionel Labosse

Ce corpus pour une synthèse sur le thème vitesse / lenteur, avec 4 documents issus des textes au programme du Bulletin officiel ou autres, a été concocté pour mes étudiants, à partir de mes lectures personnelles des œuvres en question. Je vous propose aussi un corrigé.

Document n° 1. Jean de La Fontaine (1621-1695). « Le Lièvre et la Tortue », Fables, Livre VI (1668).

Rien ne sert de courir ; il faut partir à point :
Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage.
« Gageons », dit celle-ci, que vous n’atteindrez point
Sitôt que moi ce but. — Sitôt ? Êtes-vous sage ?
Repartit l’animal léger.
Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d’ellébore. [1]
—  Sage ou non, je parie encore. »
Ainsi fut fait ; et de tous deux
On mit près du but les enjeux.
Savoir quoi, ce n’est pas l’affaire,
Ni de quel juge l’on convint.
Notre Lièvre n’avait que quatre pas à faire ;
J’entends de ceux qu’il fait lorsque prêt d’être atteint,
Il s’éloigne des chiens, les renvoie aux calendes [2],
Et leur fait arpenter les landes.
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir, et pour écouter
D’où vient le vent, il laisse la Tortue
Aller son train de sénateur.
Elle part, elle s’évertue ;
Elle se hâte avec lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure [3] à peu de gloire,
Croit qu’il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose,
Il s’amuse à toute autre chose
Qu’à la gageure. À la fin quand il vit
Que l’autre touchait presque au bout de la carrière,
Il partit comme un trait ; mais les élans qu’il fit
Furent vains : la Tortue arriva la première.
« Eh bien ! lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?
De quoi vous sert votre vitesse ?
Moi, l’emporter ! et que serait-ce
Si vous portiez une maison ? »

Document n° 2. Émile-Auguste Chartier, dit Alain (1868-1951). « Vitesse », Propos sur le bonheur (1928)

« J’ai vu une des nouvelles locomotives de l’Ouest, plus longue encore, plus haute, plus simple que les autres ; les rouages en sont finis comme ceux d’une montre ; cela roule presque sans bruit ; on sent que tous les efforts y sont utiles et tendent tous à une même fin ; la vapeur ne s’en échappe point sans avoir usé sur les pistons toute l’énergie qu’elle a reçue du feu ; j’imagine le démarrage aisé, la vitesse régulière, la pression agissant sans secousse, et le lourd convoi glissant de deux kilomètres en une minute. Au reste le tender [4] monumental en dit long sur le charbon qu’il faudra brûler.
Voilà bien de la science, bien des plans, bien des essais, bien des coups de marteau et de lime. Tout cela pourquoi ? Pour gagner peut-être un quart d’heure sur la durée du voyage entre Paris et Le Havre. Et que feront-ils, les heureux voyageurs, de ce quart d’heure si chèrement acheté ? Beaucoup l’useront sur le quai à attendre l’heure ; d’autres resteront un quart d’heure de plus au café et liront le journal jusqu’aux annonces. Où est le profit ? Pour qui est le profit ?
Chose étrange, le voyageur, qui s’ennuierait si le train allait moins vite, emploiera un quart d’heure, avant le départ ou après l’arrivée, à expliquer que ce train met un quart d’heure de moins que les autres à faire le parcours. Tout homme perd au moins un quart d’heure par jour à tenir des propos de cette force, ou à jouer aux cartes, ou à rêver. Pourquoi ne perdrait-il pas aussi bien ce temps-là en wagon ?
Nulle part on n’est mieux qu’en wagon ; je parle des trains rapides. On y est fort bien assis, mieux que dans n’importe quel fauteuil. Par de larges baies on voit passer les fleuves, les vallées, les collines, les bourgades et les villes ; l’œil suit les routes à flanc de coteau, des voitures sur ces routes, des trains de bateaux sur le fleuve ; toutes les richesses du pays s’étalent, tantôt des blés et des seigles, tantôt des champs de betteraves et une raffinerie, puis de belles futaies, puis des herbages, des bœufs, des chevaux. Les tranchées font voir les couches du terrain. Voilà un merveilleux album de géographie, que vous feuilletez sans peine, et qui change tous les jours, selon les saisons et selon le temps. On voit l’orage s’amasser derrière les collines et les voitures de foin se hâter le long des routes ; un autre jour les moissonneurs travaillent dans une poussière dorée et l’air vibre au soleil. Quel spectacle égale celui-là ?
Mais le voyageur lit son journal, essaie de s’intéresser à de mauvaises gravures, tire sa montre, bâille, ouvre sa valise, la referme. À peine arrivé, il hèle un fiacre [5], et court comme si le feu était à sa maison. Dans la soirée, vous le retrouverez au théâtre ; il admirera des arbres en carton peint, des fausses moissons, un faux clocher ; de faux moissonneurs lui brailleront aux oreilles ; et il dira, tout en frottant ses genoux meurtris par l’espèce de boîte où il est emprisonné : « Les moissonneurs chantent faux ; mais le décor n’est pas laid. »
2 juillet 1908

Document n° 3. Pierre Sansot (1928-2005), Du bon usage de la lenteur, Rivages poches, 1988, pp. 55-57.

« Je vous propose un ennui dans lequel on s’étire voluptueusement, par lequel on bâille de plaisir, tout au bonheur de n’avoir rien à faire, de remettre à plus tard ce qui n’est pas urgent. Vous vivez alors le sentiment de la non-urgence.
Ce n’est pas là une chance accordée à beaucoup. Il faut s’y préparer de très bonne heure. Elle échappera à l’enfant ronchonnant parce qu’il ne possède pas les jouets désirés ou qu’un petit camarade lui a fait faux bond ou qu’on lui sert à table des épinards. Par bonheur, je devine que vous avez traîné votre ennui dans un village banal. De votre grenier, vous inspectiez la route à la recherche d’un événement, le vrombissement d’une moto, une roulotte de romanos [6] – et nul véhicule ne soulevait la poussière du chemin. À la fin de l’après midi, vous étiez satisfait des heures passées à la fenêtre de votre grenier. Je relève un signe de bonne santé : vous demeuriez dans l’attente de la poussière sur cette route recouverte de bitume.
Malgré un début prometteur, vous n’êtes pas en état de grâce pour la vie, la grâce consistant à s’émerveiller de ses disgrâces. Une fois abandonné le grenier où vous vous penchiez, l’univers s’est emparé de vous, il vous a promis monts et merveilles : des magnétoscopes, un voyage à Rome, la Ville Éternelle, ou à Vienne au bord du beau Danube bleu, des nuits plus belles que vos jours [7], des jeunes femmes parfaites comme des « top models ».
Que la sagesse vous guide dans le choix de votre ville, de votre travail, de votre future femme, de vos amis. Si une ville trépide, fulmine, présente chaque matin un nouveau visage, programme sans cesse des activités culturelles, si tour à tour elle se barricade puis se rend, puis reprend l’étendard de la révolte, vous n’échapperez pas à la surcharge d’événements et vous y prendrez goût. Vous oublierez le temps délicieux où rien ne se passait, sinon une durée pure – pure parce que rien ne la troublait. Vous méconnaîtrez peu à peu ce que veut dire pureté, poésie pure (à la limite du silence), politique pure (à la limite de la frigidité [8]), religion pure (à la limite d’un Dieu si peu figurable que vous ne le rencontrerez jamais).
Perdant la retenue qui faisait votre charme, quand des jeunes gens en colère défileront, quand des foules façonneront une queue devant une salle de cinéma ou un musée, quand des foules se porteront vers un stade, vous leur crierez : « Attendez-moi, je suis des vôtres. Je veux brailler avec vous. Je veux piétiner avec vous les parquets d’un musée. » Ils vous entendront.
Sur le coup de trois heures du matin, épuisé et ravi, vous aurez la faiblesse de prononcer : « C’est dingue », car vous aurez rejoint la foule innombrable des mal-disants et vous vous sentirez ainsi bien au chaud au milieu de phrases convenues en ajoutant des « quelque part », des « revisiter ».
Fuyez les agglomérations de cette espèce. Je n’ai aucune confiance dans les villes aussi turbulentes, tourmentées, oublieuses d’elles-mêmes et de leur âme ».

Document n° 4. Robert Doisneau (1912-1994), « Baiser Blotto », reportage pour le magazine Life, 1950

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« Baiser Blotto », Robert Doisneau (1912-1994), reportage pour le magazine Life, 1950.
© Life / Robert Doisneau

Proposition de synthèse rédigée

J’ai tâché de faire un corrigé bref, réalisable dans les conditions de l’examen, c’est pourquoi il y a trois axes, mais pas de sous-parties. En gros, mon conseil est de faire soit deux axes avec deux sous-parties, donc 4 alinéas, soit trois axes en une seule partie, donc 3 alinéas. Cela me paraît raisonnable dans le cadre de cette épreuve du diable qui exige deux devoirs en 4 heures. Les indications entre crochets et en gras sont méthodologiques : elles ne doivent pas figurer sur la copie !

[Introduction] [accroche / présentation du sujet] « Rien ne sert de courir ; il faut partir à point ». Tout le monde connaît cette morale qui ouvre l’une des plus célèbres fables de La Fontaine. On l’interprète souvent comme un éloge de la Tortue besogneuse et stressée, alors que l’animal sympathique serait plutôt ce Lièvre que sa rapidité naturelle soustrait au stress de la course perpétuelle. [présentation des documents] Les quatre documents de notre corpus proposent des réflexions poétiques ou philosophiques sur l’alternative entre vitesse et lenteur. « Le Lièvre et la Tortue », est extraite des Fables (1668) de Jean de La Fontaine. Dans « Vitesse », chapitre de l’essai philosophique Propos sur le bonheur (1928), le philosophe Alain ironise sur la course à la performance des trains au début du XXe siècle. Pierre Sansot dans son essai Du bon usage de la lenteur (1988), oppose ville et campagne pour en tirer une morale du bonheur de vivre. La photographie de Robert Doisneau intitulée « Baiser Blotto », extraite d’un reportage publié par le magazine Life en 1950, interroge les limites entre photo de reportage et photo d’art. [problématique] La vitesse doit-elle être un défi perpétuel à se dépasser, ou une donnée brute à prendre en compte pour vivre heureux ? [annonce du plan] La vitesse est souvent considérée comme une compétition sans fin, qui s’oppose à un bonheur de vivre dans la contemplation et dans la lenteur, dont on peut tirer une philosophie consistant à écarter les mirages du progrès.

[1re partie du développement : une compétition sans fin] Contrairement à une interprétation traditionnelle, la Tortue de La Fontaine constitue une allégorie du stress, de la volonté acharnée de tirer le maximum de ses capacités. La Tortue défie sans raison un Lièvre à la course, alors que celui-ci n’y songe pas, ne considère pas la vie comme une compétition perpétuelle. On retrouve cette idée dans les trois autres documents, que ce soit le texte d’Alain dans lequel la nouvelle locomotive nous fait songer avec le recul à cette tortue, puisqu’en 1908, date d’écriture de ce chapitre, elle apparaissait comme le summum du progrès, entraînant cependant une insatisfaction du voyageur dont l’impatience est aussi infinie que le gain de vitesse des locomotives successives. L’insatisfaction est aussi au cœur du propos de Pierre Sansot, qui évoque un enfant capricieux toujours en quête d’autre chose, voire un citadin qui finit par s’habituer au tourbillon d’événements inhérent à la vie en ville. La photographie de Robert Doisneau fait malicieusement écho à la fable de La Fontaine, puisque l’objet qui est mis au centre est un triporteur, moyen de transport typique de la modernité du milieu du XXe siècle, remis au goût du jour actuellement, un véhicule permettant de se déplacer le plus vite possible en ville malgré les bouchons, pour livrer les consommateurs pressés. Les voitures en arrière-plan témoignent également de cette frénésie qui imprègne la vie urbaine moderne.
[2e partie du dvt : un bonheur de vivre dans la contemplation et dans la lenteur] Cette compétition typique de la vie moderne cohabite parfois avec un bonheur de vivre fait de contemplation & de lenteur. Que ce soit le Lièvre de la fable, le voyageur d’Alain ou le campagnard de Pierre Sansot, tous trois ont pour point commun la capacité de jouir du paysage. Le Lièvre se livre à des activités non rentables, repos ou nourriture, tandis que le voyageur ferroviaire jouit d’activités futiles & conviviales (discussion, cartes) ou bien contemple longuement le paysage en mouvement que lui offrent les baies de son wagon. Le campagnard de Pierre Sansot pousse la contemplation à son extrême limite, puisqu’au lieu de regarder un paysage mouvant, il se poste en hauteur dans un grenier et contemple à l’infini un paysage statique. Quant aux amoureux du « Baiser Blotto », c’est au contraire le paysage qui semble les contempler, comme les passants à l’arrière-plan qui les regardent, tandis qu’eux figent le temps et l’espace dans ce baiser qui constitue un défi aux exigences de rentabilité de la vie moderne : la femme occupe l’espace normalement dévolu aux marchandises, ironiquement vêtue d’un tablier de travail, et l’homme ne conduit pas, mais se conduit de façon anticonformiste.
[3e partie du dvt : philosophie opposée aux mirages du progrès.] Ce penchant pour la contemplation et la lenteur mène à une philosophie consistant à écarter les mirages du progrès. La tortue qui pérore à la fin de la fable, persuadée d’avoir raison, ne parvient pas à renverser la morale inaugurale : « Rien ne sert de courir ». Le voyageur d’Alain se ridiculise à admirer au théâtre une nature factice qu’il est incapable d’apprécier à la campagne, et Pierre Sansot enjoint son lecteur de fuir la ville & d’échapper à ses mirages, faisant l’éloge de l’ennui et de la procrastination. La référence à la sagesse est explicite dans les textes de La Fontaine et de Pierre Sansot. Le premier reproche par la bouche du Lièvre, à la Tortue de manquer de sagesse à vouloir à tout prix mener une « gageure » si déraisonnable, qu’il méprise d’ailleurs, et le second en appelle à la sagesse dans le choix de vie qu’effectuera son lecteur. Pour Alain, le chemin semble le but puisque pour lui on est mieux en wagon qu’à son point de départ ou d’arrivée. La photo de Doisneau suggère aussi une lecture épicurienne en forme de Carpe diem (cueille le jour), avec ce passage piéton détourné de son usage pour qu’un véhicule censé se déplacer vite y stationne, et la flaque d’eau qui ne reflète qu’une partie du triporteur, comme si le photographe nous disait que la réalité vaut plus que son reflet, leçon qui synthétise les autres documents.

[Conclusion] [bilan] Pour conclure, l’ensemble des documents procède au procès de la vitesse. C’est une donnée de la vie sociale moderne où les gens vivent en compétition et lâchent la proie pour l’ombre [9]. Une vitesse bien ordonnée consiste à en profiter sans perdre de vue l’essentiel, la joie de vivre, la jouissance de l’instant et de la beauté. [élargissement du champ] L’ensemble du corpus témoigne d’un état de choses relativement ancien, mais les derniers progrès technologiques ne semblent-ils pas confirmer cette tension tenace entre deux conceptions antagonistes de l’existence, ceux qui prônent à tout prix un dépassement perpétuel, et au contraire ceux qui restent solidement ancrés dans le présent, et campent sur le bon sens intemporel : « rien ne sert de courir » ?

Lionel Labosse


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[1Plante employée autrefois en médecine comme purgatif, pour purger, purifier le corps.

[2Renvoyer aux calendes grecques : reporter à un temps qui ne viendra jamais

[3Gageure : défi, pari.

[4Wagon situé derrière la locomotive, contenant le combustible et l’eau nécessaires à son fonctionnement.

[5Voiture hippomobile de louage conduite par un cocher.

[6Familier pour romanichel, nomade circulant en roulotte.

[7Allusion à Mes nuits sont plus belles que vos jours, roman de Raphaële Billetdoux (1985).

[8Frigidité : ici, froideur.

[9Allusion à la fable de La Fontaine « Le Chien qui lâche sa proie pour l’ombre ».