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Au pays de Maurice Denis et des « ploucs »
Randonnée en Côtes-d’Armor, de Paimpol à Lannion.
La nature généreuse et clémente de notre Bretagne.
samedi 28 novembre 2020, par
En cette « annus horribilis » coronavirale, après une escapade en Crète, et quelques incursions à Marseille, Lyon, Dijon, etc., je me suis inscrit à une randonnée organisée par une agence, en Bretagne, autour de la Côte de granit rose, en Côtes-d’Armor, de Paimpol à Lannion, que j’ai complétée par un coucou à des amis de mes parents chez qui nous allions parfois en vacances quand j’étais môme (j’en ai très peu de souvenirs précis) du côté de Perros-Guirec. Quelques aperçus.
Les goémons de Pénélope
Quand je suis arrivé, le samedi du début des vacances de la Toussaint, c’était le début de l’application de la mesure (qui se révéla totalement inutile, comme les précédentes et les suivantes) du couvre-feu dans les grandes villes, censée durée quinze jours, et à peine étais-je rentrée que sans attendre le soi-disant effet de cette mesure, on annonçait déjà un « reconfinement » national qui serait finalement opérationnel dès le jeudi soir de la 2e semaine de vacances… Je me demande comment ont fait ceux qui avaient réservé des séjours de ce type dans la 2e semaine de vacances (la seule semaine de vacances universitaires). Mais il faut bien que nos énarques s’agitent avec un feu roulant de mesures toutes plus ubuesques les unes que les autres…, l’essentiel étant pour eux de ne surtout pas laisser prescrire l’hydroxychloroquine, ni augmenter le salaire des soignants ni le nombre de lits d’hôpitaux. Bref, je me félicite d’avoir pris ce bol d’air iodé avant notre incarcération dans la prison macronienne pour plusieurs mois, d’autant que le soleil est arrivé avec le même train que moi, et que nous n’eûmes qu’un seul jour de pluie, le mercredi.
Quand je suis arrivé, c’était la grande marée, et la mer était d’huile. Une petite marche de Perros-Guirec à Louannec (phare de Nantouar) me permit d’observer les ravages des tempêtes sur le chemin des douaniers, progressivement rongé, mais aussi la variété des oiseaux migrateurs, aigrettes, oies Bernache cravant (?), qui viennent de la toundra sibérienne passer l’hiver en Bretagne. Les goémons jonchent la plage, très haut. Je ne comprends pas comment ni pourquoi ils se collent à des galets avec des sortes de ventouses. Gainsbourg en a fait une chanson, « Les Goémons », un peu dépressive. J’y verrais plutôt une sorte de tapisserie de Pénélope de la mer, qui semble défaire à chaque marée ce qu’elle a tricoté dans son giron, et le rejeter par défi à l’extrémité de l’estran. Et cela sert et a toujours servi d’engrais ou de médicament… En classant mes photos, je me rends compte de la difficulté de nommer tout ce qu’on rencontre comme oiseaux ou végétaux. Par exemple on a vu des « aigrettes », mais après une recherche, je suis incapable de préciser s’il s’agit de l’Aigrette garzette ou pas. De nombreuses maisons de littoral (qui valent des fortunes maintenant), offrent cette particularité étonnante, une vue traversante sur la mer. En passant sur la route, vous voyez un bateau par la fenêtre ! À comparer avec cette citation de La Peur en Occident (1978) de Jean Delumeau : « Après la guerre gréco-turque de 1920-1922, des paysans chassés d’Asie Mineure furent réinstallés dans la presqu’île du Sounion. Ils bâtirent leurs maisons avec mur aveugle du côté de la mer. À cause du vent ? Peut-être. Plus encore sans doute pour ne pas voir à longueur de journée la constante menace des vagues et des hommes qu’elles apportent » (p. 32). Ce bateau dans la fenêtre me fait penser à cette citation du Talmud : « Transformer son miroir en une fenêtre ouverte sur la rue ». Et en cette période de « reconfinement », cela vous donne des envies de défoncer les murs pour voir la mer derrière, au rebours de ces paysans de Delumeau qui me semblent pulluler dans notre société post-moderne confite dans le « risque zéro ».
Dès Perros-Guirec ou Louannec, vous rencontrez de nombreuses maisons aux toits pentus couverts de tuiles anglaises du XIXe siècle, qui tranchent avec les ardoises, lesquelles contrairement à une idée reçue, ne constituent pas la toiture traditionnelle. L’église de Louannec est fermée sauf pour une seule messe par mois, un samedi après-midi. L’Église catholique ne suscite plus de vocations, et les papes persistent à interdire le mariage aux prêtres, ou les sacrements aux laïcs… Le bâtiment en lui-même est plaisant, c’est du néo-gothique XIXe, les pinacles à 5 niveaux ajoutent au pittoresque, mais ce qui me plaît, c’est le cimetière qui entoure toujours l’église, ce qui est de plus en plus rare. La croix avec le Christ beau gosse semble acclamée par un peuple de christs identiques qui jaillissent des tombes comme des zombies. Tout le contraire des marins sans sépulture que célèbre Victor Hugo dans « Oceano Nox » :
« Et quand la tombe enfin a fermé leur paupière,
Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre
Dans l’étroit cimetière où l’écho nous répond,
Pas même un saule vert qui s’effeuille à l’automne,
Pas même la chanson naïve et monotone
Que chante un mendiant à l’angle d’un vieux pont ! »
La Cathédrale Saint-Tugdual de Tréguier est typique du gothique breton, avec des éléments romans, comme l’une des tours, bizarrerie de l’édifice car aucune des trois tours ne surmonte le portail. Le cloître abrite des gisants anciens, l’un de la fin du XIIe, et des gargouilles nous narguent. Un vitrail du XXe siècle est inclus dans mon article sur les crucifixions, mais il y en a d’autres qui sont magnifiques, dus au maître verrier Hubert de Sainte-Mari, notamment un qui évoque les bombardements de la Première Guerre mondiale.
Le cimetière de Tréguier présente une croix magnifique, avec le Christ entouré des deux larrons et deux personnages féminins, la Vierge et une copine à elle ? Une statue d’un Ernest Renan bedonnant « né à Tréguier » orne la place de la Cathédrale.
Mon rendez-vous de début de rando était à Lannion, parce que c’est la gare locale, prolongement à une voie de la ligne TGV de Montparnasse, qui part selon les heures, de Saint-Brieuc, de Guingamp ou de « Plouaret Tregor », nom impossible à mémoriser. Mes mésaventures ferroviaires font l’objet d’une brève. Il arrive même une ou deux fois par semaine, qu’un TGV pousse jusqu’à Lannion sur cette voie unique, et vous en verrez la photo, même si ce n’est pas celui que j’ai pris ! Lannion possède quelques maisons à pans de bois, et un canal avec zone d’entraînement de sports de rame. La marée était encore haute, et l’eau affleurait. Une statue en l’honneur de Charles Le Goffic (1863-1932), membre de l’Académie française, né et mort à Lannion mais enterré dans l’enclos de l’église de Trégastel (voir mes photos), est visible derrière l’église de Lannion, surmontée d’un incongru cône de signalisation.
En marche !
Nous commençâmes la randonnée proprement dite en direction de l’Île-Grande, où nous aperçûmes les premiers adeptes de Longe-côte, nouveau sport consistant à faire de la randonnée non pas sur terre, mais les pieds dans l’eau, vêtus de combinaisons de plongée. Soit ! L’île abrite un sanctuaire de la LPO où l’on peut admirer des oiseaux en convalescence. Une statue d’un sculpteur de pierre par le sculpteur David Puech fait face à la mer, sur un site d’extraction du granit (attention, ne pas confondre avec granite, bien que souvent cela se recoupe). Depuis l’île, on aperçoit le radôme de Pleumeur-Bodou, œuvre de l’architecte Plunnett Milton (1962), initialement en Dacron, théâtre de la première transmission télévisée en mondovision via le satellite « Telstar », devenu l’icône d’un musée, la Cité des télécoms. Depuis quelques années, on observe le retour des fameux moutons permettant la production de viande d’agneau de prés salés. On rencontre souvent des fontaines à côté des chapelles, traces de pratiques pré-chrétiennes qui ont été christianisées, de même que les mégalithes comme le Menhir de Saint-Uzec situé dans un placître, enclos bas servant à interdire l’accès au bétail. Ce menhir a été tardivement gravé de bas-reliefs chrétiens. L’église du Bourg de Trégastel, typique de l’architecture religieuse bretonne, présente un ossuaire en quart de cercle collé à l’entrée de l’église, où les paroissiens étaient censés empiler les ossements de leurs ancêtres, à partir du moment où le cimetière fut déplacé. À partir de là, j’ai descendu la Vallée des Traouïero (le Grand Traouïero), chemin inspirant parsemé de chaos rocheux et d’étangs. Une pierre tombale sert de gué, et l’on arrive à Ploumanac’h, célèbre bourg de la commune de Perros-Guirec avec ses rochers et ses maisons spectaculaires.
Le Goéland argenté y prend des poses photogéniques. C’est la Côte de granit rose proprement dite, avec comme point d’orgue le phare de Ploumanac’h veillant sur les rochers que la tradition a baptisés (bouteille, palette du peintre…). Une Statue du Père éternel veille sur la plage de Trégastel et sa piscine d’eau de mer. En pénétrant dans les terres, on admire les Dolmen et allée couverte de Kergüntuil, avec à l’intérieur de l’allée couverte, des sortes de paires de seins en relief, c’est du moins ainsi que les nommèrent les archéologues. Dans le centre de Perros-Guirec (ce fut notre jour de pluie), on admire des statues de granit issues d’un concours organisé dans les années 1990, comme celle de Joseph Visy, « Madame et son chien ». Moins heureuses à mon goût sont les statues de Charles Stratos en métal ; heureusement il s’agit d’une exposition provisoire.
Sur la côte on peut admirer la villa néogothique « Silencio » ayant appartenu au peintre Maurice Denis (1870-1943), dont les « Baigneuses à Perros-Guirec » (1909) exposées au Petit Palais mettent en valeur cette plage de Trestrignel. « Saint Georges aux rochers rouges » (1910), (musée des beaux-arts d’Angers) est plus caractéristique du style de l’artiste, et de Ploumanac’h. Au Musée d’art moderne de la ville de Paris j’avais apprécié un « Portrait de Maurice Denis » par Édouard Vuillard, datant des années 1930, qui le montrait travaillant à des vitraux. J’avais revisité ce musée à sa réouverture en novembre 2019, et j’avais posé une colle que l’amie Isabelle avait résolue en deux temps, trois mouvements : l’œuvre à laquelle travaille Maurice Denis sur le tableau de Vuillard est le chœur de la chapelle des Franciscaines à Rouen. Outre cette maison, on apprécie les maisons du littoral, souvent composées de galets et de pierres locales, avec de beaux jardins rivalisant de variétés tempérées voire tropicales – c’est ce qui frappe – car il ne gèle jamais dans le secteur, et les surfeurs ou les nageurs polaires œuvrent en toute saison, pour le plaisir des yeux. En face de ces maisons XIXe, le Palais des Congrès de Perros-Guirec tranche, œuvre de Christian Cacaut & André Mrowiec (1962), typique du brutalisme.
Les piafs piaffent sur la plage, mais laissons-les et remontons au cœur de la ville. En hauteur, on visite la Chapelle Notre-Dame-de-la-Clarté de Perros-Guirec, aux origines légendaires, dont le Chemin de croix est l’œuvre de Maurice Denis (mais point de soldats jouant aux dés la tunique du Christ). Thierry Le Luron est enterré au cimetière de la Clarté. Issu d’une famille modeste de Ploumanac’h, il réussira un concours de chant au casino de Perros-Guirec (actuellement en reconstruction, du moins on ne garde que la façade). Il est mort le 13 novembre 1986, et j’écris ces lignes le 13 novembre 2020. On redescend sur la côte, et le granit rose nous éblouit. J’ai flashé devant la rampe de lancement de bateaux du sauvetage en mer, m’imaginant un TGV des mers émergeant à grand renfort de tchou-tchou.
La mémoire et la mer
C’est depuis la plage de Saint-Guirec que l’on peut admirer de plus près le Château de Costaérès, dont Wikipédia nous apprend que Léo Ferré y aurait séjourné, à l’instar de Henryk Sienkiewicz. En fait, il aurait loué ce château pendant quelques étés, à l’époque de sa rencontre avec sa 2e épouse Madeleine, avant de faire l’acquisition en 1959, du Fort du Guesclin. Et plus tard, ce sera le fameux Château de Pechrigal, récemment revendu, sur lequel vous pouvez écouter ce reportage. Puisqu’on en est à Léo Ferré, écoutons sa chanson mythique « La mémoire et la mer ».
Puisque nous parlons de la Bretagne et de chansons, il existe un mystère pour lequel je n’ai trouvé aucune réponse définitive sur Internet, celui de la chanson Vive la Bretagne, dont tout le monde connaît le refrain dans la version des Charlots ou de Carlos. L’article de Wikipédia ne nous apprend rien, mais reprend uniquement le texte des Charlots très différent des autres versions, paillardes ou non.
Le lendemain de cette riche et pluvieuse journée, nous mîmes le cap sur la Réserve naturelle nationale des Sept-Îles par le bateau touristique, qui fonctionnait quand même en cette période de délire coronaviral. Il faisait un temps magnifique, et nous avons pu apprécier l’île Rouzic, la plus à l’est, quasiment désertée de ses migrateurs, à part quelques retardataires. Il y avait même un phoque qui nous a fait coucou ! Des cormorans sur l’île Malban, le phare et le fort de l’île aux Moines, avant de retourner sur la côte tout en admirant depuis la mer, le château déjà nommé, mais aussi le moulin à marée du Grand Traouïero, l’un des 14 recensés en Côtes d’Armor.
L’après-midi, nous mîmes cap à l’est, vers la Pointe du Château, le point le plus septentrional de la Bretagne, sur la commune de Plougrescant, où mon appareil photo tomba en panne de batterie, je vous le donne en mille, vibrant exemple de scoumounie, juste devant la fameuse « Maison du gouffre » de Castel Meur, ou la Petite maison entre les rochers, qui défraya la chronique quand sa propriétaire découvrit qu’elle avait été choisie à son corps défendant comme « mème » touristique de la Bretagne. Nous la contemplâmes respectueusement de loin, de l’autre côté de l’étang, dans lequel un cygne noir me narguait, mais je pus quand même l’immortaliser grâce à mon smartphone ! La propriétaire s’amuse à faire garer des véhicules utilitaires juste devant la maison, pour faire enrager les apprentis paparazzi. Sur le chemin nous avons pu observer des champs d’artichauts (de la famille des chardons), ainsi que des exploitations ostréicoles avec des casiers impressionnants. Des rochers moins roses mais plus acrobatiques qu’à Ploumanac’h attirent les pratiquants de l’escalade à mains nues. Une pancarte sexiste pour les randonneurs nous a fait rire : Monsieur précède Madame sur les dangereux sentiers de la Bretagne.
Des plou et des ploucs
Le dernier soir, nous passons une nuit à Paimpol sur le port, dans une chambre minuscule deux étoiles, et nous avons à peine le temps de jeter un œil sur la ville, pourtant sympathique avec son port et son école de voile. Une statue célèbre le chansonnier local, Théodore Botrel et sa fameuse « Paimpolaise » (interprétation d’un certain Anton Valery), scie locale célébrant les femmes du coin censées attendre le retour du Pêcheur d’Islande célébré par Pierre Loti. Bon, je crois qu’il y a eu mieux depuis ! Le lendemain, dernier jour, nous mîmes le cap sur l’Île-de-Bréhat. J’ai admiré des chênes kermès inattendus à cette latitude, mais on a bien compris qu’on est dans un climat quasi méditerranéen. Au fait, ai-je parlé de la prolifération du figuier des Hottentots (Carpobrotus edulis) ? On admire le Moulin à marée du Birlot, mieux visible que celui de Ploumanac’h. Ah tiens, j’ai oublié de parler des plou et des ploucs. Bon alors selon une étymologie populaire, le mot dévalorisant « plouc » aurait, à l’instar du « niaqué » d’origine vietnamienne, désigné les péquenauds bretons parce que beaucoup d’entre eux étaient originaires de villages dont le toponyme commençait par « Plou- » ou un allomorphe (Plo, Plé, Pleu, Ploé, Plu…). Puisqu’il est question de l’héritage breton, évoquons les symboles bretons les plus courants, que nous voyons sur ce porte-clefs, œuvre d’Annie Crocq, artisane de Louannec.
Outre le 22, qui n’a rien à voir avec les gendarmes ni avec Saint-Tropez, mais plutôt Saint-Brieuc, vous reconnaissez le symbole héraldique de l’hermine, difficile à comprendre sans explications. En effet, la « blanche hermine », à l’instar du cheval blanc d’Henry IV, est… blanche, alors pourquoi ce symbole noir ? Eh bien voilà ce que nous explique Wikipédia : « Sur chaque animal utilisé pour la confection d’un vêtement, le bout de la queue, toujours noir, était séparé du reste de la fourrure puis placé au milieu de chacune des peaux cousues côte à côte et fixé par trois barrettes ou agrafes disposées en croix. Ce bout de queue, orné de ces trois points de couture, appelé moucheture d’hermines, est devenu, sous forme stylisée, un motif héraldique ». Le 2e motif est le Triskèle, symbole aussi international que la svastika, souvent interprété de façon nationaliste alors qu’en fait il est universel, on le retrouve en Asie et sur le drapeau de la Sicile sous la forme plus anthropomorphe de trois jambes humaines entourant une tête.
L’hermine nous ramène à la chanson, avec la chanson militante éponyme du chanteur et écrivain Gilles Servat (né en 1945) « La blanche hermine », aux relents nationalistes et misogynes (dignes de « La Paimpolaise ») qu’on ne peut comprendre qu’en les recontextualisant, si tant est que l’intellectuel du XXIe siècle en soit encore capable. À noter que le logo du chanteur, visible sur sa page Wikipédia, reprend le triskèle. Dans mon adolescence tant soit peu gauchiste, j’étais séduit par les textes féériques (Léo Férréiques) de Servat, dans le genre « Je ne hurlerai pas avec les loups ». J’ai pris beaucoup de distance depuis avec ce genre de vibrato dramatisant, surtout que – loin de moi l’idée d’en charger Gilles Servat – personne ne pouvait prédire à l’époque dans quel gouffre de nullité nous précipiteraient les macrons et les vérans auxquels nous avons droit dans ce début de XXIe siècle, qui ont donné un coup de vieux rédhibitoire à nos récriminations contre la méchante droite du XXe siècle. Cela dit, les sorties comme « Le bien est dans le mal comme la chaleur est dans Ia flamme. La vie est confuse, les héros vieillissent, les martyrs enfantent des bourreaux ! Rien n’est simple, même Solidarité ! Rappelez-vous, Israël, le Liban, Phnom Penh libérée, le départ du tyran de Perse vers I’Ayatollah, vers le vieil homme à la barbe lumineuse coulait la sympathie comme un fleuve invincible. Et voici : le flot de ferveur est devenu fanatisme. La dictature des croyants a éteint la lumière. Le vieillard noir, assis sur les cadavres, nous l’avons chassé de nos cœurs », cela n’était pas l’œuvre d’un gauchiste obtus, c’est pourquoi cela me plaisait à l’époque. Esthétiquement parlant, j’ai du mal, avec le recul, mais il faut reconnaître en Servat un autre précurseur du rap français, avec Léo Ferré, Catherine Ribeiro et même Maxime Le Forestier… pardon pour cette digression.
Continuons un peu avec la chanson bretonne. Tri Martolod est une chanson traditionnelle de marins, rendue célèbre par l’interprétation, l’arrangement et les enregistrements faits par Alan Stivell. Si les paroles au pied de la lettre sont d’une platitude confondante, comme la plupart des chansons de marins, le sens, comme l’explique Nietzsche dans La Naissance de la tragédie, est porté par l’énergie que dégage la musique, que ce soit le rythme ou le souffle de la puissance instrumentale : « Dans la poésie des chansons populaires, nous voyons donc le langage tendre de toutes ses forces à imiter la musique. […] Mais cela posé, nous avons en fait défini la seule relation qui puisse exister entre musique et poésie, mot et son : le mot, l’image, le concept recherchent une expression analogue à la musique et, par là, en subissent la violence dominatrice ». Une autre chanson de Stivell pour la route, la Suite Armoricaine, dont Wikipédia nous apprend qu’il s’agit d’une chanson grivoise dont les paroles évoquent une vérole acquise auprès d’une fille rencontrée dans un… pardon ! (fête religieuse récurrente). Disons que les paroles très années 70 ont donné un sacré coup de vieux à Servat, alors que Stivell avec ses chansons intemporelles n’a pas pris une ride, comme dit un commentaire de Wikipédia. Et puis avec sa harpe magique, on dirait Panoramix, et il n’a pas besoin de faire rimer « camarade » avec « embuscade » pour faire naître l’idée du Gaulois réfractaire ancré façon patelle sur le granit armoricain. Je voudrais aussi citer la chanson de Louis Capart « Marie-Jeanne-Gabrielle », que j’avais adorée dès la sortie de son premier disque en 1982 ; j’étais lycéen et n’avais pas le goût commun ! La voici dans l’interprétation de son créateur (dont je préfère la voix et le tempo à ceux de Tri Yann qui l’ont reprise), avec un montage vidéo. Disons que c’est une Paimpolaise un peu plus respectueuse des « femmes qui attendent les marins » ! Voici encore une belle chanson nostalgique de Marie-Line Weber : « De Paimpol à Saint-Malo ».
Il est temps de mettre fin à cet article, sinon je vais finir par vous parler de Bécassine !
– J’avais dans mes bagages un court roman récent, L’Amant fantasmatique, de Guy Bordin, mais malheureusement je n’ai pas connu les mêmes hallucinations que le protagoniste ! J’ai lu Pêcheur d’Islande de Pierre Loti, un court roman constitué de brefs chapitres qui m’a ennuyé et n’a pas satisfait mon désir de couleur locale paimpolaise. L’action (si tant est qu’il y ait une action dans ce livre) se répartit entre les campagnes de pêche en Islande, Paimpol, et l’extrême-orient où va mourir un marin frère d’un des « Islandais », écho à la mort du frère de l’auteur. Le roman raconte l’interminable attente d’une jeune femme relativement aisée au début, d’abord qu’un jeune pêcheur finisse par reconnaître qu’il l’aime, puis qu’il revienne d’Islande pour accomplir leur mariage tant retardé. Hélas, il ne reviendra pas. Je cite une scène émouvante, au cimetière, rencontre de deux veuves ou presque (il n’est pas encore offciellement porté disparu) :
« Des pas dans le sentier ! — Quelqu’un venait ? — Alors elle se leva, bien droite ; d’un tour de main, rajusta sa coiffe, se composa une figure. Les pas se rapprochaient, on allait entrer. Vite elle prit un air d’être là par hasard, ne voulant pas encore, pour rien au monde, ressembler à une femme de naufragé.
Justement c’était Fante Floury, la femme du second de la Léopoldine. Elle comprit tout de suite, celle-ci, ce que Gaud faisait là ; inutile de feindre avec elle. Et d’abord elles restèrent muettes l’une devant l’autre, les deux femmes, épouvantées davantage et s’en voulant de s’être rencontrées dans un même sentiment de terreur, presque haineuses.
« Tous ceux de Tréguier et de Saint-Brieuc sont rentrés depuis huit jours, dit enfin Fante, impitoyable, d’une voix sourde et comme irritée.
Elle apportait un cierge pour faire un vœu.
« Ah ! oui… un vœu… Gaud n’avait pas encore voulu y songer, à ce moyen des désolées. Mais elle entra dans la chapelle, derrière Fante, sans rien dire, et elles s’agenouillèrent près l’une de l’autre comme deux sœurs.
À la Vierge Étoile-de-la-Mer, elles dirent des prières ardentes, avec toute leur âme. Et puis bientôt on n’entendit plus qu’un bruit de sanglots, et leurs larmes pressées commencèrent à tomber sur la terre…
Elles se relevèrent plus douces, plus confiantes. Fante aida Gaud qui chancelait et, la prenant dans ses bras, l’embrassa.
Ayant essuyé leurs larmes, arrangé leurs cheveux, épousseté le salpêtre et la poussière des dalles sur leur jupon à l’endroit des genoux, elles s’en allèrent sans plus rien se dire, par des chemins différents. »
– Voir l’article sur Par les champs et par les grèves, le voyage en Bretagne de Gustave Flaubert & Maxime Du Camp, et un nouveau périple dans le Finistère.
Voir en ligne : Mes photographies de Bretagne sur Comboost
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