Accueil > Cinéma > Une joyeuse non-journée des droits des femmes à toutes les femmes, et un (...)
Une joyeuse non-journée des droits des femmes à toutes les femmes, et un joyeux non-anniversaire à toutes celles qui ne sont pas nées le 9 mars.
lundi 9 mars 2020
Après des années d’une persécution à base de calomnies, insultes, diffamation, menée notamment par Le Monde, patatras, voilà que le jour même de la journée des droits des femmes, 8 mars 2020, le même journal publie enfin une tribune de bon sens qui va peut-être clouer le bec aux khmèr.e.s-la-pudeur. J’avais pour ma part écrit un long article en 2017, me basant sur le film La Jeune fille et la mort qui, 24 ans avant J’Accuse constituait déjà un discours allégorique du réalisateur sur ce crime. Je pense d’ailleurs que les signataires de l’article se sont inspirées du mien.
Bref, voilà cette tribune que je publie ici intégralement car elle n’est pas en lecture libre sur leur site, malgré les tombereaux de calomnies qu’ils ont publiées sur lui. Cela fait longtemps, depuis la tribune de « pouruneautreparole » en 2018, qu’on n’avait pas lu cela. Mais Le Monde, pas plus qu’il ne l’avait fait lorsque la justice a condamné la diffamatrice Sandra Muller, ne présentera ses excuses à ses lecteurs et surtout à Polanski pour avoir relayé ces tombereaux d’injures et de calomnies depuis des années. On a eu quand même droit, cette dernière semaine, après un article délirant de Virginie Despentes, à un article brillant dans Marianne de Natacha Polony : « Virginie Despentes : "meuf", tu délires… ». J’avoue que je respire un peu mieux depuis ces deux articles qui prouvent que toutes les femmes ne se sont pas transformées en hyènes orchidectomistes. Je serais avocate, je proposerais à Polanski de déposer des tas de plaintes, pour se faire un pognon de dingue et financer son prochain biopic intitulé Victor Hugo, violeur et pédophile. En tout cas, le ministraillon qui s’était répandu en conseils éclairés de ne pas voter pour Polanski, après ce soufflet de cent avocates, devrait se sentir morveux. Mais attention, s’il se mouche, qu’il le fasse dans son coude !
« Une inquiétante présomption de culpabilité s’invite trop souvent en matière d’infractions sexuelles »
« Après la polémique née de la cérémonie des Césars, qui a distingué Roman Polanski malgré des accusations de viol contre lui, plus d’une centaine d’avocates pénalistes de France, se revendiquant féministes, rappellent les principes de la présomption d’innocence et de la prescription. »
La véhémence polémique qui a suivi la 45e cérémonie des Césars nous oblige, nous qui sommes tout à la fois femmes, avocates et pénalistes : femmes évoluant dans un milieu où se bousculent nombre de ténors pour qui l’adage « pas de sexe sous la robe » n’a guère plus d’effets qu’un vœu pieux ; avocates viscéralement attachées aux principes qui fondent notre droit, à commencer par la présomption d’innocence et la prescription ; pénalistes confrontées chaque jour à la douleur des victimes mais aussi, et tout autant, à la violence de l’accusation.
Nous ne sommes donc pas les plus mal placées pour savoir combien le désolant spectacle de la surenchère oratoire, et la déraison dont elle témoigne, ne peuvent conduire qu’au discrédit de justes causes.
On se pique d’avoir à le rappeler, mais aucune accusation n’est jamais la preuve de rien : il suffirait sinon d’asséner sa seule vérité pour prouver et condamner. Il ne s’agit pas tant de croire ou de ne pas croire une plaignante que de s’astreindre à refuser toute force probatoire à la seule accusation : présumer de la bonne foi de toute femme se déclarant victime de violences sexuelles reviendrait à sacraliser arbitrairement sa parole, en aucun cas à la « libérer ».
Roman Polanski a fait l’objet de plusieurs accusations publiques, parmi lesquelles une seule plainte judiciaire qui n’a donné lieu à aucune poursuite : il n’est donc pas coupable de ce qui lui est reproché depuis l’affaire Samantha Geimer. Quant à cette dernière, seule victime judiciairement reconnue, elle a appelé à maintes reprises que l’on cesse d’instrumentaliser son histoire, jusqu’à affirmer : « Lorsque vous refusez qu’une victime pardonne et tourne la page pour satisfaire un besoin égoïste de haine et de punition, vous ne faites que la blesser plus profondément. »
La pire des aliénations n’est donc pas l’amour mais bien la haine.
Et d’ajouter dans cette interview sur Slate que « la médiatisation autour de tout cela a été si traumatisante que ce que Roman Polanski m’a fait semble pâlir en comparaison ». Au nom de quelle libération de la parole devrait-on confisquer et répudier la sienne ?
Cette cérémonie en hommage à la « grande famille du cinéma », lors de laquelle Roman Polanski fut finalement plus humilié que césarisé, contribuera donc à blesser un peu plus celle qui, en vain et depuis plus de quarante ans, tente de tourner la page d’une histoire qui, de fait, n’est plus la sienne. Au nom de quel impératif, voire de quel idéal victimaire, cette victime est-elle sacrifiée ?
Il est urgent de cesser de considérer la prescription et le respect de la présomption d’innocence comme des instruments d’impunité : en réalité, ils constituent les seuls remparts efficaces contre un arbitraire dont chacun peut, en ces temps délétères, être à tout moment la victime. Il n’est pas de postulat plus dangereux que celui selon lequel toute mémoire serait vertueuse et tout oubli condamnable. Homère le savait bien, pour qui « la prescription interdit à l’homme mortel de conserver une haine immortelle ».
La pire des aliénations n’est donc pas l’amour mais bien la haine, et nous autres, avocates pénalistes, connaissons trop bien les ravages qu’elle produit sur des parties civiles qui, espérant surmonter leur traumatisme en s’arrimant à leur identité de victime, ne font en réalité que retarder un apaisement qui ne vient jamais qu’avec le temps.
Il est faux d’affirmer que l’ordre judiciaire ferait montre aujourd’hui de violence systémique à l’endroit des femmes, ou qu’il ne prendrait pas suffisamment en considération leur parole.
Nous constatons au contraire, quelle que soit notre place à l’audience, qu’une inquiétante et redoutable présomption de culpabilité s’invite trop souvent en matière d’infractions sexuelles. Ainsi devient-il de plus en plus difficile de faire respecter le principe, pourtant fondamental, selon lequel le doute doit obstinément profiter à l’accusé.
Le triomphe du tribunal de l’opinion publique
Le 4 novembre 2019, Adèle Haenel déclare à Mediapart : « La situation de Polanski est malheureusement un cas emblématique parce qu’il est le représentant de la culture. (…) Si la société elle-même n’était pas aussi violente vis-à-vis des femmes (…), la situation de Polanski n’aurait pas ce rôle. » Belle illustration du sacrifice d’un homme à l’aune d’une cause qui, de ce fait, perd une part de sa légitimité.
Tweets après tweets, hashtags après hashtags, ce que nous sentons monter a de quoi alarmer tout authentique démocrate, et nous alarme d’autant plus que nous en percevons déjà les méfaits : le triomphe du tribunal de l’opinion publique.
En un clic et dans un mouvement de surenchère assez malsain, des femmes n’hésitent plus à s’autoproclamer victimes pour accéder à un statut qui induit l’existence de bourreaux tout désignés. Dès lors, pour peu que la justice soit convoquée et qu’elle les innocente, lesdits bourreaux seront doublement coupables d’avoir su échapper à une condamnation.
Nous sommes féministes mais ne nous reconnaissons pas dans ce féminisme-là, qui érige une conflictualité de principe entre hommes et femmes. Sopranos du barreau, nous réussissons chaque jour un peu mieux à imposer notre voix à nos ténors de confrères qui finiront bien par s’y habituer – eux qui, après tout, portent aussi la robe…
Femmes, nous voulons rester libres d’aimer et de célébrer publiquement les œuvres et les auteurs de notre choix. Avocates pénalistes enfin, nous lutterons à chaque instant contre toute forme d’accusation arbitraire qui, presque mécaniquement, pousse au lynchage généralisé.
Signataires : Frédérique Beaulieu, (barreau de Paris) ; Delphine Boesel, (barreau de Paris) ; Marie Alix Canu-Bernard (barreau de Paris) ; Françoise Cotta (barreau de Paris) ; Marie Dosé (barreau de Paris) ; Corinne Dreyfus-Schmidt (barreau de Paris) ; Emmanuelle Kneuze (barreau de Paris) ; Jacqueline Laffont (barreau de Paris) ; Delphine Meillet (barreau de Paris) ; Clarisse Serre (barreau de Bobigny).
Bravo les filles !
– Lire « Punir le viol » par Hélène Richard, Le Monde diplomatique, avril 2020.
En écho à ce texte, écoutons cette chanson de Georges Brassens et celle de Stromae.
– Et pour terminer, pour un féminisme en humour mais punchline quand même, ce sketch de la talentueuse Blanche Gardin.
Voir en ligne : L’article incomplet sur le site du Monde