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Extrait d’Altersexualité, éducation & censure

Le juke-box de l’indignation : l’affaire bidon du RER D

L’instrumentalisation des faits divers

lundi 7 avril 2008

Je croyais à l’époque de cet emballement médiatique bidon à propos d’un pseudo-viol dans le RER D (le 10 juillet 2004), que nous avions atteint le top dans l’instrumentalisation des faits divers, tant au niveau de l’État qu’à celui des médias. Eh bien, nous étions loin du compte. À cette aune, le bon vieux Chirac nous semble avec le recul un artisan pittoresque. Le Président de la République actuel, lui qui compte dans sa manche droite tous les propriétaires des médias de masse, et dans sa manche gauche la rédaction de TF1, source unique d’information pour 50 % des Français, est passé au stade industriel. Il évite les erreurs de casting, et ne prend la peine de mettre en branle la machine à indignation que pour les faits divers certifiés conformes, quitte à en monter en épingle de tout à fait insignifiants, comme celui de la « banderole du PSG ». Il utilise aussi la machine à pathétique, de façon qu’un feu roulant de faits divers occupe la totalité des premières pages des journaux et magazines, et ne laisse que la portion congrue à l’information sur les effets de sa politique. Malheureusement, nous tombons dans le panneau, et il aura été difficile d’échapper à une conversation sur la « banderole du PSG » dans la première semaine d’avril 2008, sur le « cimetière musulman » profané dans la seconde. Je ne me souviens déjà plus de l’affaire de la semaine précédente, mais on pourrait ajouter l’excès de battage autour de l’otage des Farc. Pensez-vous que ne serait-ce que dans 10 ans, les historiens mentionneront encore ces faits qui obnubilent les médias actuellement ? [1] Voici donc le début du dernier chapitre de mon essai Altersexualité, Éducation & Censure. Pour lire la suite, voyez votre libraire préféré !

« et je ne puis les souffrir non plus, ces nouveaux spéculateurs en idéalisme, ces antisémites qui aujourd’hui prennent de grands airs de chrétiens, d’ariens et de braves gens, et par un abus exaspérant du truc d’agitateur le plus banal, je veux dire la pose morale, cherchent à soulever tout l’élément « bête à cornes » de leur peuple. […] combien de paires d’échasses pour « noble indignation » à l’usage des pieds plats intellectuels, combien de comédiens de l’idéal chrétien et moral devraient être exportés d’Europe pour que l’air y fût quelque peu assaini… »

Friedrich Nietzsche, La Généalogie de la morale, III, 26, Bouquins, p. 885.

Il semble qu’en matière de faits divers, non seulement l’Élysée, mais certains partis politiques et syndicats se soient métamorphosés en juke-boxes à indignation. Que le premier média de masse glisse dans la fente la moindre dépêche instrumentalisable, et sans prendre le temps de vérifier ce qui pourtant paraît cousu de fil blanc au citoyen lambda, le communiqué se « dépêche » de tomber, qu’on dirait produit par un générateur aléatoire d’emphase verbeuse et courroucée.

Dans un gloubiboulga que l’on n’écoute même plus, les « agressions inqualifiables » sont qualifiées « avec la plus grande vigueur » d’ « attentat odieux » ou « ignoble » ou « qui provoque le plus grand effroi », et dont la justice est appelée à châtier avec « la plus grande sévérité » les « lâches responsables ». La « lâche agression dans le R.E.R. » en « banlieue parisienne » arrive en première position au palmarès des trémolos, surtout quand « personne n’est intervenu », et que les agresseurs sont des « jeunes gens d’origine maghrébine » venus d’une « cité en voie de ghettoïsation ». Et si en plus, la victime est une « mère de famille », si possible « de famille nombreuse », et qu’ « elle rentrait du travail », alors là, les rédactions se régalent, et le communiqué de presse de l’Élysée est déjà parti avant l’agression ! La communication présidentielle est remplacée par du déjà communiqué.

Au rayon des faits divers transformables en affaires d’État, nous avons aussi en magasin selon la saison, le « harcèlement à caractère antisémite » dans un collège ou un lycée, ou les « profanations dans un cimetière juif » ou « musulman ». C’est bien connu, d’ailleurs moi qui enseigne depuis dix ans dans un collège public de Seine-Saint-Denis, j’ai dû me mettre au karaté pour séparer mes élèves juifs et musulmans qui s’attaquent quotidiennement au lance-flammes pendant que je déclame du Lamartine ! Je dois être bien masochiste pour éprouver un certain bonheur à exercer ce métier, qui, si j’en croyais le discours ambiant, est devenu un sacerdoce. Chaque fois que dans un aréopage je suis amené à décliner ma profession, aussitôt fuse la question : « Ce n’est pas trop dur ? » La prochaine fois que j’ai un dîner en ville, je ne serai pas prof, je serai éclusier à Montmartre. Et je ne parle pas du croustillant filon de la « pédophilie », cela constituerait la matière d’un article entier !

Neuf fois sur dix, on apprend au bout de quelques jours, que ladite agression dans le R.E.R. ou au collège était pure mythomanie, ou banal quolibet de gamins monté en épingle par un journaliste en mal de scoop ; ou bien l’affaire d’« agression à l’arme blanche » qui faisait opportunément la une des journaux depuis une semaine, disparaît pudiquement du jour au lendemain, faute de combattants. Le « vaste réseau pédophile » démantelé au petit matin par une opération concertée de six cents gendarmes, se réduit le lendemain à trois pauvres gars qui s’étaient fait refiler des cassettes pornos vaguement douteuses, etc.

Lorsqu’il s’avère que la prétendue victime était mythomane, les journalistes et les politiciens qui ont entre-temps appelé le peuple à manifester contre les « Maghrébins antisémites », se gardent bien de présenter leurs excuses à la communauté maghrébine pour cette désinformation qui, de fait, était de caractère raciste. Ils sont toujours gagnants, car par leur ressassement, ces actes de désinformation entraînent une juste rancœur des jeunes Maghrébins injustement pointés du doigt, ce qui aboutit, une fois sur dix, à une vraie agression antisémite, et là les spécialistes de l’indignation médiatique exultent de plus belle, et peuvent s’exclamer « Vous voyez bien ! », et le jour même Le Figaro sort un article de soutien au bellicisme Bushiste, ce qui est le but de la manœuvre.

[…]

 Le Monde Diplomatique propose un excellent dossier sur la question de l’instrumentalisation de l’antisémitisme. Voir également sur le site Les mots sont importants un article de Pierre Tévanian présentant de brillantes analyses sur le même thème. Enfin, lire une entrevue de Jean Robin, un intellectuel controversé, à propos de son essai sur « La judéomanie ».

Voir notre article sur les fake news.

Lionel Labosse


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[1Voir aussi mon article sur les émeutes de la gare du Nord, fin mars 2007, totalement oubliées un an après, et mon article sur l’affaire des banderoles du PSG, ainsi que le Cours sur la presse et les médias.