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Itinéraire de Découverte 4e / diversité sexuelle
Journal de bord d’une action pédagogique en collège contre l’homophobie (6)
Développement durable ; genre et discriminations sexuelles
dimanche 5 novembre 2006
Du lundi 14 mars au 2005 au lundi 21 mars 2005.
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Intervention de SOS homophobie (14 mars 2004)
Un élève ayant déménagé, nous ne sommes plus que 16. Sylvie Gras et Michel Rey animent une séance fort intéressante. Par rapport aux interventions habituelles de cette association en collège et lycée, il est rare que les élèves aient déjà étudié la question. Ce sera l’occasion d’échanges un peu plus sereins, et de répondre à des questions simples que nous n’avions pas eu le temps de traiter jusque-là. Cela n’empêche pas les élèves de régler leurs comptes. Par exemple un élève déclare que ses parents ne lui ont jamais parlé des homosexuels. Une camarade lui répond du tac au tac : « C’est peut-être ça le problème, si tes parents ne te parlent pas de la vie ». Il faudra une nouvelle mise au point, pour éviter de tomber dans la culpabilisation et les attaques personnelles. Sylvie Gras me fait remarquer que certains élèves disent « Je n’aime pas », sous-entendu les homos, mais n’arrivent pas ou n’osent pas formuler cette opinion. Ils l’ont quand même formulée à mon avis en rappelant la primauté du couple hétérosexuel en fonction de la procréation, et leur attachement au mariage (voir ci-dessous).
Les intervenants se présentent implicitement ou explicitement en tant qu’homosexuels, ce qui permettra aux élèves de poser quelques questions directes. (Exemple : « Vous n’avez pas essayé de vous renier ? ») C’est une volonté de l’association, et cela me semble courageux et utile ; il y a d’ailleurs heureusement à SOS homophobie des militants qui se présentent comme « hétéros », ce qui montre selon Michel Rey l’universalité des objectifs de l’association (à l’image des deux hommes venus représenter le groupe femmes d’Amnesty). Il ne faut pas oublier que pour certains adolescents, c’est la première fois de leur vie qu’ils ont en face d’eux des gens dont ils savent explicitement qu’ils sont homos. Certes il y a moi, mais je ne l’ai pas dit explicitement devant la classe, même si je pense (et j’espère) qu’ils l’ont compris. Pas pour le cacher bien sûr, mais surtout pour qu’il soit bien clair pour ces élèves que j’agis en tant qu’enseignant et non en tant que gai ou en tant qu’homme (par rapport à la question du sexisme). Ils connaissent d’ailleurs l’existence de ce journal de bord… (mais le nombre de pages est assez dissuasif s’agissant d’élèves !)
Les intervenants font le tour de la question, malgré le peu de temps qui leur est alloué. J’avais volontairement réduit le temps des deux interventions prévues à 1h 30 (donc une heure utile), à cause de l’état d’esprit de la classe, et des perpétuelles récriminations sur l’horaire officiel. Ce temps était insuffisant, et les intervenants ont donc dû négliger certains aspects, ou passer trop vite, et il est hors de question de leur reprocher quoi que ce soit. D’un autre côté, cela a permis que la séance se déroule au mieux, et que les élèves ne passent pas la dernière demi-heure à me demander pourquoi il y a une demi-heure en plus ! (On est quand même en Seine-Saint-Denis et dans un établissement public…)
Les points abordés sont les insultes (ce qui permet encore aux élèves de se défouler, car j’entends un « gouinasse », alors que « gouine » n’est pas encore sorti) ; des témoignages vidéo sur l’homophobie au lycée et dans la rue, quelques éclairages historiques et une réflexion sur les idées reçues, notamment en évoquant les modes vestimentaires variées selon l’histoire et la géographie. Les discriminations et la législation sont évoquées. Quelques élèves évoquent leurs réticences, et la « norme » hétérosexuelle assortie de procréation. On évoque aussi le mariage. Il est amusant de constater le côté légaliste des jeunes, car un ou deux élèves critiquent l’idée de mariage gai, mais trouvent le pacs « tout à fait normal, mais ça n’a rien à voir » ! Je pense que c’est la connotation religieuse du mariage qui pour beaucoup intervient.
Les intervenants répondent avec calme. On sent un grand « professionnalisme » de la part de cette association, qui sait à quel public elle s’adresse, et évite toute provocation contre-productive. Les élèves ont apprécié qu’on leur ait laissé la parole. La question du prosélytisme a été évoquée, et c’est là que je pourrai formuler les seules critiques, ou plutôt remarques, car dans l’état actuel des choses, cette position est un peu obligée. Je précise à nouveau que ces remarques n’engagent que moi, non pas tant d’ailleurs en tant qu’enseignant mais en tant que citoyen, libre auteur de ce « Journal de bord » ; qu’elles ne remettent pas en cause la très grande qualité du travail militant et bénévole de SOS homophobie et sa pertinence. Si j’étais ministre de l’Éducation nationale, je rendrais obligatoire une intervention de ce type par classe au collège ; c’est dire le bien que j’en pense. Je trouve même que ce type d’intervention, s’agissant d’élèves qui n’ont pas encore travaillé sur le sujet, est dans l’état actuel des choses mieux adapté, moins risqué, surtout pour le niveau collège, que celle, pourtant fort intéressante d’Amnesty (voir ci-dessous).
Mon but dans ce journal de bord n’est pas de distribuer des bons points aux uns, aux autres ou à moi-même, mais d’entamer une réflexion critique sur un sujet brûlant. Je rappelle que nos partenaires ont la parole, et que je publierai dans ce journal les contributions des personnes qui le souhaitent, y compris si elles critiquent mon travail et mes opinions ! Notre but est de toute façon le même. Ceci est même souhaitable, car je voudrais un débat et non un monologue. Michel a dans un premier temps mal pris les quelques réticences que j’ai formulées, alors même que je faisais avec lui ce que les journalistes n’ont jamais fait avec moi, c’est-à-dire lui soumettre mon compte-rendu avant de le rendre public… Il faut savoir que la rédaction de ce journal de bord est aussi un énorme travail bénévole de ma part, qui s’ajoute au travail de préparation de l’I.D.D., au travail d’argumentation pour le défendre contre les attaques quotidiennes dont il fait l’objet et dont je fais l’objet, etc. Finalement Michel a rédigé une contribution.
Revenons au sujet. Michel dit qu’il n’y a pas de « contagion » possible, et que les élèves resteront tous « hétéro ». D’autre part, quand il tente de répondre à la question de la « normalité », il explique qu’on ne peut pas changer, qu’on est attiré par les garçons ou par les filles, et qu’il est très difficile de se mettre dans la peau d’un autre, de comprendre un désir qui n’est pas le sien. À ce propos, la question que je me pose depuis longtemps est : qu’en est-il de la bisexualité, est-ce une vraie catégorie, ou une identité bâtarde ? Il se trouve que les élèves qui travaillent sur l’exposé « homosexualité et homophobie » se posent aussi cette question… Dommage donc que nous n’ayons pas eu le temps d’approfondir, mais la suite de l’I.D.D. nous permettra de suivre ces pistes.
Quand on aborde le chapitre « homoparentalité », les différentes possibilités sont inventoriées rapidement. C’est un chapitre sur lequel il serait intéressant d’insister (si l’on avait plus de temps) car cela permet une identification moins problématique de tout adolescent (comme enfant d’homo plutôt qu’homo lui-même). On évoque les enfants d’une vie de couple hétéro antérieur, les possibilités d’adoption ou d’insémination artificielle. De manière générale dans le débat public, je regrette qu’on évoque trop rarement un cas pourtant plus simple, celui d’un gai ou d’une lesbienne qui s’associe sciemment avec un homme ou une femme hétéro ou homo pour avoir un enfant. J’ai personnellement pour des raisons éthiques (que je ne développerai pas ici) une préférence pour cette solution, et il se trouve qu’un élève de ce collège correspond à ce schéma. C’est une confidence que j’ai reçue, et je ne donnerai pas de détails non plus pour l’instant, mais je voudrais qu’on sache que notre travail n’est pas en l’air, et que l’« homoparentalité » n’est pas qu’un sujet de télévision qui se passe toujours loin de chez nous… (cf. Nous, enfants d’homos, de Stéphanie Kaim).
Il est aussi un peu regrettable que SOS homophobie n’inclue pas dans son intitulé les autres sexualités « non strictement hétérosexuelles ». Là aussi on se heurte au même problème des limites actuelles et du pragmatisme. Nul doute que si cette association s’appelait « SOS-LGBT », cela ferait peur, et qu’elle n’obtiendrait pas les agréments nécessaires. Le L, le G et le B, passe encore, mais il semble qu’il faille toujours au peuple un bouc émissaire résiduel. Pour l’instant ce sera le T, mais les Tziganes ou autres Roumains (à moins que ce soit les filles voilées ?) font aussi bien l’affaire. (Opinion personnelle !) C’est pourquoi les interventions d’Amnesty, qui revendique le terme LGBT, me semblent trop risquées tant que le terrain n’est pas préparé par un prof.
Cette discussion avait été menée lors du débat sur la loi contre les propos homophobes, et le gouvernement avait refusé d’inclure dans le champ de la loi les injures adressées aux transgenre. Et c’est un souci pour notre travail, car si l’on observe attentivement les textes réglementaires, rien n’autorise à aborder comme nous le faisons la question transgenre. Tout ce qui n’est pas interdit est possible, certes, mais la « tolérance » avance en France à pas de loup, et même si l’on distribue des éloges publics à Pedro Almodovar dans le monde entier, il est toujours quasiment subversif de présenter comme il le fait dans presque tous ses films, les transgenre sous un jour favorable. Cela n’a pas empêché les deux intervenants d’aborder la question clairement pendant l’intervention, et Michel a même appris aux élèves l’existence du mot « transgenre ». Le mot « homophobie » est donc à considérer comme un terme générique, qui inclut le sigle « LGBT », mais pour l’instant, il ne faut pas le dire trop fort ! (De même que le terme « racisme » inclut tout type de rejet de l’autre, d’autant plus que la notion de « race » est contestable).
Enfin, il faudrait d’ici quelques années réfléchir à cette habitude qu’on a tous — moi le premier — d’envisager la sexualité sous l’angle de l’amour et du couple. C’est une opinion très personnelle, bien sûr, et d’ailleurs je n’ai pas terminé ma réflexion à ce sujet. Il ne serait pas souhaitable de la présenter ainsi à des jeunes de 14 ans ! Certes, ça part d’une bonne intention, car on a trop désigné les homos comme obsédés par le sexe ; mais d’un autre côté, ne faudrait-il pas sortir de cette vision « judéo-christiano-islamique » de la sexualité. Revenir à la conception polythéiste, où la sexualité a une place, à côté de l’amour. Je veux dire où le couple ne soit pas forcément la condition sine qua non de la sexualité. Sujet de philo de terminale, promis, je n’en touche pas un mot aux élèves ! [1]
Les intervenants donnent un numéro de téléphone et les références du site Internet.
Michel Rey n’a pas pu apporter les dépliants, qu’il nous fera donc parvenir plus tard. C’est important, car les élèves pourront le faire circuler, on pourra en mettre à disposition au C.D.I. En conclusion, il est vraiment dommage qu’il ne soit pas possible de faire bénéficier d’autres élèves du collège d’une intervention aussi percutante et utile. Je crois impossible maintenant de convaincre le principal d’organiser une intervention globale et officielle, du moins cette année. Mais rien n’empêche, quand ces dépliants auront circulé, de proposer à quelques collègues de demander à leurs élèves s’ils souhaiteraient assister à cette intervention. Dès lors, il serait difficile de refuser une demande d’élèves…
Contribution de SOS homophobie
L’association SOS homophobie voudrait apporter ici son éclairage sur l’intervention qu’elle a faite au collège de Tremblay-en-France dans le cadre d’un Itinéraire de découverte et, au-delà sur les principes qui l’animent dans ses actions en direction de l’école.
Nous tenons à préciser que nous n’avons, au dernier moment, disposé de facto que d’une heure et quinze minutes. Or la durée prévue était de 1h30 (au lieu des 2 heures habituellement demandées).
Nous avons donc dû gérer ce peu de temps au mieux et "en direct". Cela explique certaines imperfections.
Le dépliant : La commission I.M.S. (Intervention en Milieu Scolaire) en distribue lors de ses interventions. Nous avons eu un problème d’approvisionnement mais nous allons en faire parvenir au professeur.
Les imprécisions :
le « prosélytisme » : SOS homophobie insiste toujours sur l’absurdité de cette idée. Elle correspond à un cliché très répandu et à une accusation récurrente envers les organisations qui font de l’information en milieu scolaire.
Oui, c’est un « passage obligé », il faut bien déconstruire les clichés et répondre aux accusations homophobes.
Quant à l’imprécision (réelle) d’une phrase elle est due au caractère oral et spontané, au manque de temps évoqué. Les intervenants ne supposent jamais que leur public est entièrement hétéro (ce serait un comble !) et dans le contexte, cela était clair.
La difficulté à appréhender un désir qui n’est pas le sien.
Les intervenants pensent qu’il faut toujours partir des remarques des élèves, de là où ils en sont. Or l’un d’eux venait de demander comment on pouvait « ressentir un désir pour quelqu’un du même sexe ».
Refuser d’admettre la difficulté, la gêne des jeunes auxquels on s’adresse, c’est à coup sûr contre-productif et aller à l’échec. Se mettre à leur niveau, là où ils en sont et les faire bouger nous semble être une approche pédagogique beaucoup plus efficace.
Les différentes sexualités et l’homoparentalité :
Là encore le manque de temps (le souci de garder quelques minutes pour faire le point — indispensable — sur le droit) aura conduit à oublier ou à évoquer trop rapidement telle ou telle situation, tel cas de figure si bien que cela a pu ne pas être perçu. De plus nous savions que ces élèves avaient déjà beaucoup travaillé avec leur professeur et cela se sentait.
Néanmoins :
La bisexualité a bien été évoquée, rapidement sans doute pour les raisons déjà exposées, nous avons défini le mot « transgenre » et bien insisté sur le fait que « genre » et « orientation sexuelle » étaient deux notions différentes.
Car SOS homophobie a bien entendu pour principe d’évoquer tout le « continuum » entre homo et hétérosexualité.
Précision extrêmement importante : s’agissant des différents comportements sexuels, SOS homophobie se situe rigoureusement dans le cadre de la loi.
Enfin les intervenants invitent toujours les adultes présents, qui connaissent les élèves, à prendre la parole. Le professeur aurait pu et dû intervenir et nous demander de préciser et nous l’avions invité à le faire.
(Homo)sexualité et amour :
Oui l’homosexualité (comme l’hétérosexualité) ne se réduit pas à la seule sexualité.
Il n’est pas rare que ce soit par cet aspect que se fasse la prise de conscience.
Dans les témoignages anonymes écrits faits par les élèves, il est fréquent que l’on nous demande d’insister sur ce point.
C’est également l’un des aspects majeurs du « placard » tel qu’il est vécu par les élèves. Un couple de gays ou de lesbiennes a beaucoup de mal à s’afficher à l’école.
Quant au lien amour-sexualité, c’est affaire d’éthique personnelle et SOS homophobie n’a pas à imposer son point de vue, elle ne substitue pas une anti-morale à une morale et laisse au professeur de cette classe la responsabilité de ses propos.
Religions : SOS homophobie se situe résolument dans le cadre de la laïcité.
Elle constate l’attitude hostile des doctrines et institutions religieuses, lutte pour que cela n’interfère pas avec la sphère politique (en tentant d’infléchir la législation par exemple) mais respecte les convictions de chacun-e et donc des élèves pourvu que cela reste dans la sphère privée.
Ces quelques remarques ont pour but d’indiquer clairement, au-delà d’une intervention particulière avec ses imperfections, dans quel esprit SOS homophobie travaille.
Il convient de souligner que le seul objectif, s’agissant de l’école, est de faire reculer la violence envers les populations LGBT par la déconstruction des idées reçues et c’est dans ce but que l’information est faite.
Les intervenants distribuent toujours un questionnaire d’évaluation (élèves et adultes) et sont donc demandeurs de toutes remarques permettant d’améliorer leurs actions.
Les élèves de cette classe avaient manifestement déjà bien réfléchi — ce qui dans notre esprit permettait aussi d’aller « un peu plus vite » — et il convient de féliciter tout particulièrement le professeur pour le travail accompli lors de son itinéraire de découverte et de l’encourager à continuer. Puisse son exemple susciter des « vocations ».
– Voir le compte-rendu d’une autre intervention de cette association dans un lycée en 2013.
Tempête dans un encrier, le retour !
La situation a évolué pendant les vacances. Le principal me convoque. Il sait que les représentantes des parents d’élèves ont souhaité rencontrer l’équipe pédagogique. Il s’y oppose, car il a reçu des courriers et s’inquiète pour moi. Il veut me protéger. Je ne peux pas tout dire pour l’instant dans ces lignes, mais cette semaine a été riche en rebondissements. Je prends acte avec soulagement de ce soutien. En fait c’est dans l’ordre des choses : les critiques, dorénavant, ne concernent plus mes soi-disant propos devant les élèves de 3e, mais le projet officiellement accepté. Comme je ne veux faire aucun procès d’intention, j’avance que les représentantes ont toujours essayé d’arrondir les angles. Le principal n’en est pas convaincu. Le soir même (à l’occasion d’un conseil de classe) j’explique la situation à la présidente de la FCPE. Elle réitère ses protestations de bonne foi, mais j’apprends que l’une des personnes qui devait me rencontrer est la mère d’un des élèves qui suit l’I.D.D., ce dont je ne pouvais pas me douter car elle ne porte pas le même nom. Je m’étonne alors du procédé, et suggère que cette personne commence par venir me voir tout simplement !
Le jeudi, cette dame me rencontre brièvement à la sortie d’un autre conseil de classe. C’est mon collègue prof d’histoire (toujours très présent et d’une aide et d’un soutien sans faille dans ces moments éprouvants) qui joue le rôle de facilitateur, comme on dit, de même qu’il parle régulièrement avec les élèves et me rapporte ce qu’ils n’osent pas me dire. Elle me remet le double de la lettre qu’elle avait envoyée au principal avant les vacances, tout en précisant qu’elle était très en colère au moment où elle a envoyé cette lettre, et que depuis elle a compris la philosophie de l’ensemble du projet. Elle s’inquiète de savoir si, après les séances actuelles, je reviendrai sur « ces thèmes ». Apparemment la partie sexisme lui convient mieux. Je tente de la rassurer, sans rien promettre, car l’intérêt de ce type de projet est de s’adapter à l’actualité. Je vais recopier des extraits de la lettre, non pas pour accuser une personne, mais pour informer les lecteurs enseignants des réactions qu’ils risquent de susciter, et pour qu’ils les anticipent. En tout cas je vais préparer des directives de travail pour recadrer les choses. Cette personne m’a aussi fait remarquer que, par rapport aux autres I.D.D., je donnais beaucoup de travail (c’est d’ailleurs une de mes marques de fabrique en tant qu’enseignant). C’est vrai, et je vais ralentir le rythme (pour moi aussi, car cela commence à empiéter dangereusement sur mon temps libre…). Il faut dire que certains élèves sont très motivés, mais également anxieux, au point qu’ils en font beaucoup trop !
« La période de vacances étant propice pour travailler sur le sujet, nous sommes donc allés à la bibliothèque. Le personnel, surpris par notre demande, n’a pas pu nous aider. Aucun livre dans la catégorie jeune ne traitant de ces sujets, seul un dictionnaire de la section adultes nous a été prêté. Sans document pour rendre le devoir, et compte tenu du thème ; les minorités sexuelles (LGBT), lesbiennes, gais, bisexuels et transsexuels, j’ai cherché sur Internet, et bien m’en a pris ! Comme vous le savez, tous les parents ne sont pas aussi prudents en ce qui concerne le web, et je crains malheureusement qu’un certain nombre d’enfants, cherchant en toute bonne foi, soient tombés sur des sites qui leur sont interdits… engagés dans cette démarche par leur professeur ! »
« Nous avons abordé ce sujet lors du CESC (Comité d’Éducation à la Santé et à la Citoyenneté), et au regard de ce que nous avons dit, je suis surprise que ces sujets soient à nouveau proposés. Bien que fort intéressants, [ces sujets] me semblent un peu complexes pour des 4e. Pourquoi ne pas amener une réflexion en leur fournissant des documents. […] »
On voit que cette lettre, dont le ton est finalement assez mesuré, pose une vraie question, celle de l’autonomie de l’élève face au savoir. Est-ce une relation duelle dans laquelle le professeur fait corps (et écran) avec le savoir, ou bien une relation à trois (le fameux « triangle didactique ») dans laquelle élève (et parent) et professeur sont dans une même situation par rapport au savoir ? Il y a davantage de risques, bien sûr, mais aussi beaucoup plus d’enseignements, c’est-à-dire que les savoir-faire prennent le pas sur les savoirs. S’agissant de la bibliothèque en question, ce type de réaction ne m’étonne pas. Des bibliothécaires à chignon ou débardeur jaune canari tricoté par maman, du type « diplodocumentalistes » si vous préférez, il en reste malheureusement beaucoup avant que l’espèce n’en soit éradiquée !
Quelques observations sur ma classe de 6e.
Les élèves ont joué leur scène de théâtre avec grand plaisir, et deux garçons travestis en bergère ont bien fait rire. Il est amusant de constater que par contre, dans la même scène, la fille qui a joué le rôle d’Arlequin l’a fait sans caricaturer, alors que celle qui a joué celui de Silvia, a finalement caricaturé l’attitude féminine autant que les deux garçons travestis… mais sans doute est-ce moi qui, en présentant la scène, n’ai pas assez insisté sur le côté fruste d’Arlequin… Autre chose : il se trouve qu’il y a dans cette classe 3 « Alexandre », plus un garçon qui porte la déformation ottomane de ce nom : « Skander ». J’envisageais donc de proposer un livre sur le conquérant, d’autant plus que certains élèves ont vu le film récent, qui, paraît-il, ne fait pas l’impasse sur les préférences du tyran. Malheureusement, celui que j’ai trouvé, sous la marque Gallimard jeunesse, de Marie-Thérèse Davidson, ment aux jeunes lecteurs en leur cachant la bisexualité d’Alexandre le Grand. La grande amitié avec Héphaistion est bien évoquée, mais seule la sexualité hétéro est dite, avec juste quelques sous-entendus fleurant bon l’autocensure.
Qu’on en juge : « Les femmes ont surtout joué un rôle politique dans la vie d’Alexandre. La vie du roi étant assez pauvre en épisodes amoureux, les historiens anciens en ont inventé, dont celui de la rencontre avec les Amazones » (P. 112). C’est la définition même du révisionnisme, mais pourquoi poursuivre le mensonge par omission, quand on pointe le mensonge positif ? Page 70, on lit ce dialogue édifiant : « Or, parmi les prisonniers, se trouve Roxane […] Dès qu’Alexandre l’aperçoit, il en tombe éperdument amoureux ! Tout son entourage murmure : — Alexandre amoureux ! Peux-tu imaginer cela ? — Je le croyais insensible : il n’a jamais touché à l’épouse de Darius, qui était belle aussi ! — Même ses concubines, il paraît qu’il ne les approche guère ! » À noter pour l’instruction des élèves : « insensible » est chez Gallimard un synonyme de « gay » !
J’ai appris une anecdote savoureuse, mais je ne révélerai que sous la torture comment je l’ai sue ! Un des élèves de cette classe, passionné par l’étude de la civilisation grecque en cours d’histoire, a demandé à la prof à brûle-pourpoint : « Pourquoi vous ne nous avez pas dit que les Grecs étaient bisexuels ? » Il avait vu le film et n’avait pas, comme les auteurs de livres, les yeux dans la poche ! La fin du tabou dans ces films va bouleverser bien des choses dans les années à venir !
Lundi 21 mars 2005
Voici la fiche de conseils distribuée ce jour.
Exposés en groupes : Conseils de méthode.
Certains d’entre vous ont éprouvé des difficultés dans le début de leur travail sur les exposés. Certains trouvent qu’il y a trop de travail dans cet I.D.D., ou que c’est trop compliqué. Reprenons sereinement les choses.
1. Ne nous précipitons pas !
La fiche de conseils ne vous demandait pas de boucler vos exposés, mais seulement de commencer vos recherches. Les exposés sont à présenter après les vacances de printemps, et nous y consacrerons donc les séances des 4, 11 et 18 avril. Il n’y aura plus d’autre travail à faire.
Certains d’entre vous, parce qu’ils sont très motivés, ont déjà accompli un travail presque complet, d’autres sont moins avancés, mais il est inutile d’être inquiet : à trois ou quatre, on avance vite, et on vous demande un travail simple de niveau quatrième, accessible pour vos camarades du collège.
2. Types de documents à rechercher
L’exposé, c’est à la fois un texte, pas trop long et simple, compréhensible par vos camarades, plus des documents visuels d’accompagnement qui pourront tenir sur deux panneaux de format à peu près 50 x 70 cm. De plus, ce texte devra être tapé en traitement de texte (faites le donc directement), et les documents scannés, afin que votre travail soit mis en ligne. Des « ambassadeurs » de votre classe présenteront ce travail le mercredi 25 mai au Conseil Général.
Les documents d’accompagnement peuvent être de plusieurs types :
– documents que vous réalisez vous-mêmes, pour expliquer les mots clés par exemple.
– extraits d’articles, des photos ou images découpées dans des journaux ou photocopiés.
– le compte rendu d’une intervention à laquelle vous avez assisté.
– photocopies de textes ou documents trouvés dans des livres.
Attention : nous vous avons fourni déjà de nombreux documents, mais une partie de votre travail sera de sélectionner ce que vous conserverez. Dans un article de deux pages, il n’y a peut-être qu’une photo et un encadré de dix lignes qui seront vraiment utiles…
Recherches complémentaires grâce à Internet.
La fiche distribuée avant les vacances ne vous demandait pas ce type de recherches, qui en principe doivent être encadrées par un adulte (travail de technologie). Certains d’entre vous ont quand même essayé de trouver des documents par ce média, et se sont plaints de tomber sur des sites indésirables. Voici quelques conseils pour éviter ces inconvénients.
Quand on utilise un moteur de recherche, il ne faut pas taper un seul mot, car cela nous renvoie sur une trop grande quantité de sites. Un « truc » utile est de taper plusieurs mots clés, pour limiter le champ de la recherche. Il est fréquent que des pages web présentent des liens vers d’autres pages. Attention bien sûr : si vous avez un doute sur le sérieux de ces pages, ne cliquez pas ! Enfin, certains sites peuvent présenter des travaux ou des recherches trop compliqués. En principe, ce que vous trouverez au C.D.I. et dans les journaux devrait presque suffire, avec quelques compléments. Repérez aussi dans les journaux les articles sur les exposés de vos camarades, et donnez-les-leur.
Quelques exemples de recherche Internet :
– En tapant sur Google les mots « mythe / androgyne / platon », on tombe sur la page suivante, qui contient des illustrations et informations intéressantes (page disparue depuis la publication du journal).
– En tapant sur Wikipédia Homosexualité dans le Judaïsme on tombe sur la page suivante, qui d’ailleurs propose des renvois à « islam » ou « christianisme » et homosexualité.
– Voici, sur une liste de livres (surtout des romans) écrits spécialement pour les adolescents et abordant les thèmes « LGBT ».
– Voici le « blog » d’un auteur de littérature jeunesse, Thierry Lenain. Il vient d’écrire un article intitulé « l’homosexualité est-elle normale ? » (malheureusement, cet article n’est plus disponible).
– Pour vous exercer par vous-même, vous pouvez faire une recherche sur un excellent film récent qui traite de l’excision : Moolaade. Un dernier conseil pour ceux qui traitent du transsexualisme, recherchez dans le magazine Première par exemple, des articles sur le réalisateur espagnol Pedro Almodovar, qui utilise souvent des personnages transgenre comme héros de ses films. Ou demandez à votre professeur d’Espagnol si elle peut vous conseiller.
Voir en ligne : Présentation du projet
© altersexualite.com 2007.
[1] J’apprends avec retard en 2007 que c’est le sujet d’un livre paru en 2003 : Je t’aime. Une autre politique de l’amour, de Vincent Cespedes.