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Itinéraire de Découverte 4e / diversité sexuelle
Journal de bord d’une action pédagogique en collège contre l’homophobie (2)
Développement durable ; genre et discriminations sexuelles
mercredi 3 octobre 2007
Du lundi 15 novembre 2004 au vendredi 2 décembre 2004.
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4e séance, lundi 15 novembre 2004
Médiatisation
Compte tenu de l’actualité, il était à prévoir que ce projet intéresserait certains journalistes. Après avoir obtenu l’autorisation de l’Inspection académique, Marie-Pierre Bologna, du Parisien, assiste à la séance du jour, le plus discrètement possible pour observer les réactions des élèves. Elle prend une photo depuis le fond de la classe. La législation interdit de publier des photos d’élèves dont le visage est visible, sans autorisation écrite.
Nous corrigeons les questionnaires sur les articles du Monde. Cela date un peu, mais les élèves retrouvent leurs réactions, qui ont entre-temps évolué. Les réponses que j’attendais et que je regrettais de n’avoir pas trouvées de façon explicite, viennent spontanément à la correction ; elles étaient implicites dans les réponses : le fait que l’un des assassins de François Chenu était à peine sorti du collège d’une part, et que d’autre part ses parents avaient été complices, sont de fortes raisons d’agir sans attendre au collège. La vie de ce jeune meurtrier est gâchée, celle de ses deux complices, sans parler de la victime ; voilà quatre vies qui auraient connu un autre destin si l’Éducation nationale faisait son travail. Ces propos sont peut-être durs, mais il ne s’agit pas de graffitis ou d’insultes, mais d’un homme qui est mort. Ne rien faire, continuer à se taire, n’est-ce pas être complice ?
Deux points à noter. Comme je rappelle (sans désigner personne, bien sûr !) les réactions entendues à la première séance, à savoir que le racisme et l’homophobie ne sont pas du même ordre, et que l’une est moins grave que l’autre, deux élèves éprouvent le besoin de dire, en présence de la journaliste : « Ce n’est pas moi qui ai dit ça ! » Et pourtant c’était eux ! Une seule étude d’un seul texte une fois dans le cursus d’un élève, et on renie déjà ce qu’on pouvait avoir d’homophobe… D’autre part, la réponse : « C’est là que les collégiens sont attirés par le sexe et c’est à ce moment-là qu’ils vont choisir si ils veulent être homosexuels ou hétérosexuels. » a été reprise par l’élève, et plusieurs autres ont acquiescé. C’est important, car c’est une réponse à laquelle je n’avais pas pensé au début, et cela m’incite à prévoir dans l’année quelque chose que j’ai négligé, peut-être par autocensure : commencer tout simplement par expliquer ce que c’est que l’orientation sexuelle et le choix du genre. Bernard Scholl d’Amnesty avait soulevé le problème après l’intervention du 8 novembre. Il est important que la demande et la remarque viennent des élèves.
Mme Bologna se dit étonnée du fait que les choses se passent si facilement. Elle s’attendait à des rires étouffés, des quolibets, etc. Le monde meurt d’idées reçues… Je lui garantis que sa présence n’a rien changé au comportement des élèves. Nous attendons l’article, qui paraîtra quand l’actualité s’y prêtera. Invitation est lancée de revenir en fin d’année, pour tirer un bilan du projet.
Dimanche 21 novembre 2004
Je ne sais pas si je peux m’autoriser une anecdote personnelle dans ce « journal de bord ». Il me semble pourtant que ce qui m’est arrivé aujourd’hui n’est pas neutre.
Dans un endroit disons à forte connotation communautaire, un charmant jeune homme m’aborde. « Excusez-moi, ne seriez-vous pas prof de français ? » J’ai déjà compris de quoi il retourne ; j’acquiesce. « Votre nom se termine par « os » ? J’ai été votre élève en 6e à tel collège ». J’ai vite fait de reconnaître l’élève, malgré le temps passé. Mon premier poste en collège, ma première sixième, en 91/92. Des lustres, des ministres et des programmes ont passé, je n’enseignais pas du tout de la même manière. Je lui demande de patienter quelques instants, et le nom et le prénom de Babacar me reviennent en mémoire. Le même visage d’ange timide, le genre d’élève qui s’efface en fond de classe et dont on se demande ce qu’on peut faire pour lui. Un travail de mémoire a commencé, et je sais que ce garçon m’avait considérablement marqué à l’époque, que j’avais parlé à ses parents. Je serais bien en mal de retrouver un seul autre nom d’un élève de cette classe. La rareté du prénom y est aussi pour quelque chose, bien sûr. Je me souviens d’une élève asiatique, d’un excellent niveau. Babacar me rappelle son nom.
Courte discussion où pourtant beaucoup de choses s’échangent. Il croit que je suis gêné d’être reconnu à cet endroit. Je le rassure : ça me fait plaisir. Un élève qui n’a pas apprécié un prof ferait semblant de ne pas le voir… Et puis ça m’intéresse tellement d’avoir un retour sur le ressenti d’un futur gai. Voici à peu près ce que m’a dit Babacar : « Avec une copine de l’époque, Sophie, en 6e, je me rappelle, on s’était demandé si vous n’étiez pas homo, parce qu’un jour vous aviez mis un tee-shirt moulant. Et puis je me doutais de quelque chose, vous aviez un je ne sais quoi dans le regard… » Comme il me demande si je suis toujours prof, je lui parle de ce projet et du journal de bord. S’il lit ces lignes, qu’il sache que j’aimerais bien, du moins je pense que son témoignage pourrait apporter quelque chose ici. En effet presque tous les témoignages publiés dans le livre d’Éric Verdier & Jean-Marie Firdion sur le suicide contiennent des allusions aux profs qui ont marqué les élèves. En l’absence de paroles explicites, on se raccroche parfois à peu de choses. Cela peut passer pour un narcissisme déplacé, mais je souhaite aborder tous les aspects de la question… À suivre…
5e séance, lundi 22 novembre 2004
Retour à la réalité. Tenir compte du niveau et de l’indiscipline des élèves. Après avoir corrigé leurs travaux, décevants par rapport à mes attentes, je leur distribue ce compte rendu :
1. « La discipline : mise au point.
5 élèves sur 17 n’ont pas rendu leur travail. Ils ont un 0/10 provisoire. Il faut vous rendre compte que nous n’avons pas le temps en une heure hebdomadaire, d’entendre les plaintes des uns et des autres sur les aspects pratiques de l’I.D.D. Pas le temps non plus d’accorder foi à un élève qui prétend que s’il a séché le cours du 8/11, c’est qu’il était convoqué par la CPE. Vérification faite, cet élève a bien séché le cours, et s’il s’est retrouvé chez la CPE, c’est que son père l’y a amené ! En matière de développement durable, ayez en tête que dans de nombreux pays en voie de développement, il n’y a pas 17 élèves dans un cours, mais entre 50 et 100 élèves. Dans ces conditions l’élève qui perturbe le cours est renvoyé sans perdre de temps à des justifications. Faites preuve de bonne volonté, cela fait aussi partie du « Développement durable ».
2. Le contenu du travail
Prière de retenir ces conseils pour la prochaine conférence, de façon que vous rendiez dès le début un travail directement exploitable (rappelez-vous que vous vous adressez à des collégiens).
Seul un groupe a fait exactement ce qui était demandé. D’autre part, utiliser un traitement de texte facilitera la mise en commun. Voyez en cours de technologie l’aspect pratique (comment transmettre le fichier). Il faudra peut-être créer une adresse de courriel spéciale, pour le cas où le travail ne sera pas fini en classe. Vous pouvez aussi travailler au CDI pendant une heure de permanence.
Vous allez donc reprendre ces travaux, soit en corrigeant les erreurs soulignées pour ceux qui avaient bien traité un seul sujet, soit en recommençant tout pour ceux qui n’avaient pas compris les consignes ou n’ont rien rendu. Pour que votre travail soit le meilleur possible, et pour éliminer un maximum de fautes, relisez-vous à plusieurs. Travailler en groupe ce n’est pas désigner un seul élève (une fille, bien sûr !) pour faire le travail des autres, mais coopérer, se répartir le travail, et se relire ensemble.
À ce stade, il vaut mieux rendre un document très simple, en prévoyant juste des titres et sous-titres clairs. La présentation globale ne sera faite qu’à la fin. Par contre, il faut absolument utiliser les documents qui vous ont été remis, pour préciser les interventions orales de Claude et Stéphane. Un élève aurait pu choisir comme sujet de présenter la chronique d’Amnesty, de façon à encourager les jeunes à qui vous allez vous adresser de s’y abonner, ou de demander à leur collège de s’y abonner… »
Les élèves, très déconcentrés quand ils sont à 17, découvrent alors les documents d’Amnesty, qu’ils n’avaient quasiment pas ouverts depuis ! À suivre… comme je serai absent pour cause de stage lundi prochain, je leur distribue un deuxième travail écrit, pour entamer une réflexion sur les origines du sexisme et de l’homophobie dans les textes anciens. (Je suis avant tout prof de français, et la base du travail, ce sont les textes !)
La situation des femmes et des minorités sexuelles dans les religions anciennes
Texte n° 1 : Le Bouddhisme
Document : Deux extraits du « Que sais-je ? » d’Henri Arvon, Le Bouddhisme. (P 52/53 et p. 79)
1. Faites une recherche pour présenter en quelques lignes le Bouddhisme, en disant notamment sa date d’apparition, son aire d’influence (les pays où il est pratiqué), et s’il a des adeptes en France. (2 pt)
2. Vocabulaire : expliquer le sens dans ce texte des mots suivants : nonne ; subordination ; à contrecœur ; réciproque. (2 pt)
3. Pour quelles raisons Bouddha refuse-t-il d’ « admettre les femmes dans l’Ordre » ? (2 pt)
4. Pour quelle raison Bouddha se laisse-t-il convaincre d’accepter les femmes dans l’ordre ? (1 pt)
5. Relevez et commentez dans ce texte trois propos qui révèlent du sexisme au sein du Bouddhisme des origines. (3 pt)
Avertissement
Quand nous étudierons des textes sur les religions, il n’est pas question de culpabiliser les croyants actuels. Il s’agit d’étudier, dans des textes vieux de 1000 ou 2500 ans, à quel point le sexisme était répandu. Les choses ont bien sûr évolué depuis !
Mardi 23 novembre 2004
C’est avec mes élèves de troisième que je vis aujourd’hui un moment mémorable de ma vie de prof. Je souhaitais, avant d’inviter l’écrivain Jimmy Sueur, recueillir l’avis d’élèves sur son livre Ne m’appelez plus Julien. Dans le cadre d’un « débat littéraire », cinq élèves avaient choisi ce livre. Les autres élèves ont présenté Le gone du Châaba, le Journal d’Anne Frank, L’ami retrouvé, Escadrille 80 et Paroles de Poilus. Ils avaient le choix parmi 27 livres ; je m’entoure toujours de ce genre de précautions, et j’avais clairement expliqué de quoi il était question dans ce livre. Comme la principale adjointe, qui s’investit beaucoup dans le projet, avait également lu le livre, je lui ai proposé de participer au débat. J’avais en effet eu soin d’avertir que certains passages tirés de leur contexte pouvaient être pointés par certains parents d’élèves. Ai-je déjà dit que pour ce projet sensible — et c’est une recommandation pour les collègues — je mets systématiquement mes responsables hiérarchiques au courant de tout, de façon que s’ils avaient la moindre remarque d’un parent d’élève, ils sachent de quoi il retourne ?
Le débat a été d’un haut niveau, qui a valu aux élèves les félicitations de la principale adjointe, et je n’en croyais pas mes oreilles. Tous les passages importants ont été repérés, cités ou lus par ces cinq jeunes filles [1]. Elles ont dit absolument tout ce que je n’osais pas espérer qu’elles disent ; notamment qu’il fallait leur proposer à leur âge ce genre de textes, que cela aide à réfléchir sur toutes les discriminations, etc. Dans la suite du débat, avec les autres livres, cette remarque a pris tout son sens. Pour ne pas déformer leurs propos, je vais leur demander de réaliser un texte critique commun, que j’intégrerai dans ce journal de bord, ou sur le site du Collectif HomoEdu. J’en avais les larmes aux yeux, et je me suis contenté de dire que j’aurais beaucoup aimé, à leur âge, entendre ce genre de débat au collège… Je pense d’ores et déjà, à la façon d’organiser la venue de Jimmy Sueur, pour lui donner un grand retentissement. Ces élèves, bien sûr, sont très curieuses de savoir qui est cet auteur, car il n’y a aucun renseignement sur lui ni aucune photo sur le livre. Quelle est la part d’autobiographie ? Est-ce un psychologue qui a écrit l’histoire d’un(e) patient(e) ? Dans la suite de l’année, pourquoi ne pas proposer aux élèves volontaires de rédiger des fiches critiques sur tous les livres pour les jeunes traitant les sujets LGBT ? Les jeunes parleraient aux jeunes, pour lutter contre la frilosité des adultes… Quelle révolution ! Et puis au-delà de tout cela, qu’il est flatteur pour un prof de français d’un collège de 93 d’entendre ces mots prononcés par des élèves : « On veut lire ».
Le soir, c’est gonflé de ces souvenirs porteurs que je file participer à l’enregistrement de l’émission « Élevons le débat » sur le thème « Est-il normal d’être homophobe ? » pour la chaîne Pink TV. Première apparition à la télévision depuis que mon roman est paru, en mars 2003. Les journalistes organisateurs du débat sont tout simplement tombés sur les documents publiés sur Homoedu et m’ont convié. J’avais beaucoup d’appréhension, mais ça s’est bien passé, globalement. J’ai pu, dans le peu de temps qui m’était imparti, exprimer quelques idées, sans trop bafouiller. J’ai cité quelques personnes qui m’aident, mais j’en ai oublié beaucoup, qu’ils me pardonnent. L’important pour moi était de parler du livre de Jimmy Sueur. Aider les plus faibles, ceux qui souffrent le plus, les « transgenre » (ce mot est invariable). Ce sont aussi ceux qui nous donnent le plus à réfléchir, je dis cela pour les adolescents avant tout. Je suis bouleversé par ma rencontre avec Sébastien Nouchet, cet homme qui a été brûlé par des voyous, et son ami Patrice. Tellement que je commets un lapsus en citant le verset de l’Ancien Testament qui appelle à assassiner les homosexuels. Au lieu de « ils doivent mourir », je dis : « ils doivent brûler »… Je pense aussi à l’ouvrage de référence de Maurice Lever, Les bûchers de Sodome, et à tous ces « sodomites » brûlés au fil des siècles, au nom de ce verset. J’espère que ce débat contribuera à faire bouger les choses. Le reste est à voir le lundi 6 décembre 2004 à 20h45.
Samedi 27 novembre 2004
Parution de l’article d’Hortense-Marie Bologna dans la partie « Seine-Saint-Denis » du Parisien :
Éducation
À Tremblay, des profs en lutte contre l’homophobie
« C’est choquant ! » lancent plusieurs élèves d’une classe de 4e du collège Romain-Rolland à Tremblay-en-France. Garçons et filles âgés de 13 ou 14 ans réagissent à un documentaire sur le sexisme qu’Amnesty International leur a présenté début novembre. Dans le cadre des itinéraires de découverte, leurs professeurs de français et de technologie ont, en effet, décidé de les éduquer contre toutes formes de violence sexiste. À commencer par l’homophobie. Les séances, d’abord houleuses, sur ce sujet, se déroulent désormais dans le calme. Ce lundi, personne ne pouffe de rire à la simple évocation des mots « sexualité » ou « homosexualité ». Les élèves analysent un fait divers à travers un article de presse : le meurtre d’un homosexuel âgé de 29 ans par trois skinheads à Reims (Marne) jugés en octobre dernier. L’un des meurtriers avait moins de 16 ans au moment des faits.
Message de tolérance
Après la relecture de l’article que les élèves ont déjà étudié, le professeur de français Laurent Labosse, lance le débat. « Est-ce important de lutter contre les idées homophobes dès le collège ? » demande l’enseignant, lui-même auteur d’un livre sur l’homophobie intitulé L’Année de l’orientation. Les doigts se lèvent. « Oui, parce que c’est à ce moment-là que les jeunes sont attirés par le sexe et qu’ils vont choisir s’ils veulent être homosexuels ou hétérosexuels », lance timidement une fille fluette. « Je trouve que c’est important, renchérit une autre adolescente. Car il y a des jeunes du collège qui ne comprennent pas qu’une personne est libre de choisir son conjoint et qu’on n’a pas le droit d’obliger quelqu’un à vivre avec une personne qu’elle ne souhaite pas. » Le message de tolérance semble être passé dans ses grandes lignes. « Ça aide les gens à vivre mieux, quelle que soit leur sexualité, sans le regard accusateur et mauvais des autres », enchaîne une autre jeune fille.
Dans la classe, ce n’est cependant pas tout à fait l’unanimité. Un grand gaillard en sweat-shirt blanc tente la provocation. « Il n’y a qu’à tous être hétérosexuels et il n’y aura plus de problème. » Personne ne relève. Pas même le prof, en train d’argumenter avec un autre adolescent au premier rang. « Si on n’est pas d’accord avec les homosexuels, raconte l’ado, c’est une question d’opinion. » « Je crois, moi, tente le prof, un peu en désespoir de cause, que les homosexuels ont d’abord le droit de ne pas se faire assassiner. » [2]
Suivent deux encadrés, l’un sur un ado du département dont la mère découvre la bisexualité, et un sur le travail d’Éric Verdier. Une photo prise du fond de la classe illustre l’article, avec le prof et les élèves de dos. Je ne veux pas alourdir ce journal de bord de commentaires sur des commentaires. L’erreur sur le prénom plus la photo de dos pourraient faire croire que c’est une demande de ma part pour préserver mon anonymat, comme dans les « Dossiers de l’Écran » d’il y a 25 ans ! Pour le reste, les citations de l’article sont presque toutes extraites de ce journal de bord, sans qu’il soit cité pour que les enseignants intéressés puissent s’y reporter. Enfin, ces citations font plutôt référence à l’état d’esprit qui prévalait dans les toutes premières séances, ce que je regrette. Voici un échange de courriels avec la journaliste :
« Quelques erreurs se sont glissées dans l’excellent article d’Hortense-Marie Bologna daté du 27 novembre 2004. L’enseignant est Lionel LABOSSE et non « Laurent ». Il est l’auteur non pas d’un « Livre sur l’homophobie », mais d’un roman de littérature jeunesse dont l’homosexualité est un des sujets principaux, mais dont l’intérêt principal pour vos lecteurs est que son action se passe dans certaines villes de Seine-Saint-Denis. D’autre part, la citation d’Éric Verdier, qui interviendra au collège Romain-Rolland dans le cadre de ce projet, est extraite de l’ouvrage qu’il a co-écrit : (Homosexualités & suicide, Éric Verdier et Jean-Marie Firdion, H&O, 2003), à la page 50. Enfin, Éric Verdier ne saurait usurper le titre de chercheur au CNRS. Il est psychologue et psychothérapeute, et travaille actuellement pour la Ligue des Droits de l’Homme (L.D.H.). En dehors de ces points de détail, il est extrêmement positif qu’un quotidien populaire tel que Le Parisien se fasse l’écho de ce genre de projets. Votre article a eu un grand retentissement dans le collège, et nous aide dans notre action. […] »
Réponse : « J’ai le regret de vous dire qu’il n’y aura pas de "rectificatif". Je reconnais, en effet, vous avoir attribué un prénom qui n’est pas le vôtre et m’en excuse platement et sincèrement. Je pense que cela peut se réparer à l’occasion d’un nouvel article — suite, par exemple, de l’action pédagogique que vous menez dans votre collège. Pour le reste, jusqu’à preuve du contraire, un roman est un livre. Et, donc, je ne pense pas remplacer le groupe de mots que j’ai employé par plusieurs lignes que mes lecteurs, cités, risquent de ne pas lire entièrement. Ensuite, je vous rappelle que l’on s’était mis d’accord pour que votre élève auteur de la dissertation ne soit pas reconnu dans un ensemble de textes où son collège est clairement identifié. Je me suis donc permise, pour préserver l’anonymat de l’adolescent, de citer Éric Verdier et d’intercaler dans ce témoignage ce qu’il m’a par ailleurs longuement commenté au téléphone. Enfin, sur le titre de chercheur au CNRS, c’est Eric Verdier qui me l’a dit. Mais là encore je ne vois aucun inconvénient à faire un nouveau papier sur les actions qu’il mène dans le département. »
Beaucoup de gens m’ont dit : « Tu sais, ce sont les journalistes. » ou « C’est Le Parisien ». À tout prendre, s’il devait y avoir une suite, je préférerais que Le Parisien publie des articles rédigés par nos élèves. Quant à l’histoire de cet élève, je peux avouer maintenant que depuis le début, en accord avec les élèves (que ce jeu de cache-cache médiatique amuse), j’ai brouillé les pistes en changeant, en plus du prénom, le sexe : il s’agissait en fait d’une fille, et un autre élève a joué le rôle de leurre ! Vu l’article de Marie-Ursule Bologna, j’ai eu raison. Imaginez un peu qu’elle se soit encore trompée de prénom, et qu’elle soit retombée sur le vrai !
– Voir deux autres articles du Parisien (Comment lutter contre l’homophobie à l’école) et de Libération parus en juin 2004.
Lettre de la mère de l’élève auteur de la rédaction
La mère d’Ahmed n’a pas apprécié que sa rédaction soit citée dans Le Parisien ; elle téléphone au lycée. Il avait donné son accord, mais bien sûr comment se fier à l’accord d’un mineur. J’ai fait une faute professionnelle. J’écris immédiatement une lettre d’excuses ; voilà la réponse de cette dame :
Monsieur,
J’ai été très touchée que vous preniez le temps pour m’écrire. Il n’y a aucun souci, je vous excuse sans problème, il fallait simplement que j’exprime mon indignation.
J’aurais bien aimé vous rencontrer pour discuter des « problèmes » d’Ahmed. Malheureusement je ne peux pas le faire avant le 16/12, ou bien en janvier, j’ai énormément de tâches à réaliser à mon travail. J’ai dû utiliser deux jours pour Ahmed (journée pour les métiers et cette journée du 8/12 à l’emmener visiter un site informatique pour son stage.)
J’en parlerai avec vous à notre passage du 16/12, mais je tiens à vous rassurer (enfin, j’espère que cela arrangera tous nos problèmes). Ahmed est vraiment suivi chez un psychologue suite à un ensemble de faits vécus en mai dernier. Cela lui fait du bien de discuter et de se confier à quelqu’un d’extérieur. Son souci primordial est de penser : que l’éducation, le respect de valeurs, l’organisation dans son travail, l’hygiène de vie, bref, notre rôle de parents, ne venaient de notre part qu’avec une pensée de trouver tout négatif en lui ; que nous ne voyions pas les bons côtés de sa personnalité. Je pense que ses provocations ne sont que pour exister, se différencier, se faire aimer pour se qu’il est.
Je lui ai dit que se faire remarquer n’apportait rien de positif, que sa sexualité lui était personnelle et qu’il n’avait pas besoin de l’étaler (surtout qu’à cet âge rien n’est établi ; cela, je ne lui ai pas dit.) C’est un garçon très curieux, toujours en avance sur son âge. Ce n’est pas toujours évident pour nous de le suivre. Nous lui avons expliqué que nous l’aimions, que nous désirions qu’il travaille à l’école et que nous ne pouvions pas dire « oui » à toutes ses demandes. Je crois que l’aide apportée par la psy, pour lui expliquer tout ce que nous lui avions toujours dit, ne peut qu’être positive.
Excusez-moi pour ces idées lancées en vrac. En attendant de vous rencontrer, je vous prie de croire à mes salutations respectueuses.
Pour en finir avec ce chapitre, je peux écrire dix ans après la coda de cet épisode ; on ne m’en voudra pas j’espère. J’ai revu régulièrement Ahmed par hasard, que ce soit dans des contextes gays, comme à la Gay pride ou dans le Marais, mais aussi à 5 minutes de chez moi, ou, mieux, il a passé le bac dans le lycée où j’exerçais ! On ne peut pas le rater, dès l’âge de 17 ans, avec un look incroyable, oreilles percées, crâne rasé, et sa belle gueule. Le pompon, je le découvre en 2014 par hasard : depuis plus d’un an, il tourne des films pornos où l’on vante sa nature avantageuse… il est en peu de temps devenu une vedette de ce petit milieu.
Vendredi 2 décembre 2004
Digressions
Il n’y a pas eu d’I.D.D. cette semaine. J’étais en stage le lundi pour l’opération « Collège au cinéma », à laquelle une de mes classes de 3e est inscrite. Au risque de lasser, je ne peux m’empêcher d’établir un rapport avec notre projet. Les films que vont voir les élèves sont choisis au niveau national. C’est la première fois que je participe à ce projet, et je ne peux pas juger sur la durée, mais je me pose des questions sur l’image donnée du monde par ces films. J’en ai déjà vu quatre sur les cinq qui seront projetés. Les trois longs métrages donnent une image caricaturale de l’hétérosexualité, sans la moindre allusion à une autre possibilité. L’intrigue du Cameraman de Buster Keaton est basée sur un coup de foudre improbable d’un photographe pour une passante ; Impitoyable, de Clint Eastwood, sur une hécatombe déclenchée par le fait qu’un cow-boy n’a pas supporté le sourire d’une prostituée à la vue de son pénis de petite taille ; Chat noir, chat blanc, d’Emir Kusturica, est un conte tout entier basé sur la nécessité impérieuse pour un jeune de trouver chaussure à son pied dans le sexe opposé. La question n’est pas d’imposer un quota, bien sûr, mais de mesurer le mal-être que cette univocité peut entraîner sur les 5 à 10 % d’élèves qui, justement à cet âge-là, ressentent autre chose dans leur chair. Cette univocité n’est-elle pas oppressante pour eux ?
Les films vus ce jour sont un montage fort intéressant de six courts-métrages. Deux présentent des caricatures de l’hétérosexualité, mais l’ensemble se prête à une libre interprétation. Le débat pose la question de l’émotion et des sentiments des élèves, et de la possible censure. Des collègues disent qu’il ne faut pas censurer les représentations des élèves, mais je trouve pour ma part que les réactions des adultes dans ce stage, le sont déjà pas mal ! L’un des films pose problème, un film d’animation tchèque des années 80. Les possibilités du dialogue, de Jan Svankmajer. On nous annonce que sur les trois séquences du film, seule la première sera montrée aux élèves. Je m’insurge contre le fait qu’en France en 2004, on censure un film qui avait échappé à la censure d’une dictature communiste vingt ans auparavant. Je fais remarquer aux collègues que ce film procède métaphoriquement : à l’évidence, son titre suggère un sens caché. Il ne faut pas être grand clerc pour interpréter des allusions banales à la sexualité entre hommes. La dernière séquence, par exemple, présente deux têtes d’hommes face à face ; ils ouvrent la bouche tour à tour ; ils s’échangent des objets avec divers jeux de langues. L’un des deux sort un tube de dentifrice, l’autre dégaine une brosse à dents ; la pâte jaillit et l’autre la rentre dans sa bouche. Après, c’est du fromage qu’on étale sur une tartine, un crayon que l’on taille, puis les possibilités se mélangent, on taille la brosse à dents, etc. Nul rapport, bien sûr, avec la censure absolue qui régnait à cette époque sur une représentation de l’homosexualité à l’écran. Cette dernière séquence, bien entendu, sera supprimée. Les élèves en seront privés. Pas de question ? Passez, il n’y a rien à voir !
Qu’on comprenne bien mon point de vue : à aucun moment je ne présenterai d’emblée ma vision des choses à des élèves de troisième. En revanche, je laisserai la possibilité à ceux d’entre eux qui auront ressenti cela, de l’écrire, voire de le dire, dans le respect des textes réglementaires concernant l’éducation à la sexualité. On nous a dit que si censure il y avait, elle était due au fait que, contrairement aux autres films du programme, les courts-métrages sont les mêmes de la sixième à la troisième. Et alors ? De quoi a-t-on peur à l’Éducation nationale ? De la réaction de quelques associations extrémistes religieuses chrétiennes, juives ou musulmanes ? Tous les jours, ces enfants entendent et voient des images et des propos dix fois plus violents, et sans aucune métaphore, et sans aucun adulte, la plupart du temps, à qui en parler. Pour une fois qu’on pourrait leur permettre d’exprimer ce qu’ils ressentent de façon poétique… Je suis d’ailleurs persuadé que des élèves de sixième verraient dans cette séquence bien autre chose que ce que j’y ai vu. Pourquoi censurer ?
Un autre de ces courts-métrages attire mon attention critique : La Vieille dame et les pigeons, de Sylvain Chomet. Un gardien de square jaloux de pigeons qu’engraisse une vieille dame, se déguise en pigeon et se fait nourrir par ladite vieille. Chaque jour, il salue hypocritement la concierge dans l’escalier. La vieille contemple un album photo de ses pigeons qui ont tous en légende un nom humain. Noël arrive ; le gardien est devenu tellement gros qu’il ne peut plus retirer son déguisement. Mal lui en prend, car la vieille dame réveillonne en tête à tête avec la fameuse concierge déguisée en chat, et s’apprête à lui sacrifier en guise de dindonneau de la farce, le pigeon gras. Elle s’avance, un énorme sécateur en main, et veut découper cet oiseau qui avait cru abuser d’elle. Mes collègues n’y ont-ils vu que du feu, ou est-ce moi qui suis obsédé ? Je vérifierai avec mes élèves. J’ai préparé un questionnaire pour les mettre sur la piste sans rien dire. Quoi qu’il en sorte, ces courts-métrages me semblent ouvrir de nombreuses « possibilités de dialogue ».
Les 14 propositions pour l’école.
J’ai lu les 14 propositions de François Fillon pour la future loi d’orientation sur l’école, issues du fameux rapport Thélot. Aucune allusion à la psychologie des élèves ; nulle proposition pour renforcer l’écoute, le nombre de psychologues disponibles. « Pour faire face aux défis de l’avenir, les Français doivent être mieux instruits, plus mobiles et plus respectueux de l’autre. » J’adore ce blabla ministériel. « Plus respectueux de l’autre », bien sûr, à condition qu’il taise son mal-être, et qu’il joue la comédie : s’il est en échec scolaire, c’est parce qu’il est nul scolairement. Sortir de cette tautologie serait mettre le doigt dans la reconnaissance de l’échec de la famille. Or il est bien connu que dans famille, il y a « électeur », et que famille ne saurait faillir. L’échec ne peut donc être que scolaire, fermez le ban. En 1993, au collège d’Othis en Seine-et-Marne, un élève de cinquième se tuait en cours d’anglais en se tirant une balle. Émoi national relatif (pas au point d’en faire la une des journaux : un élève qui se tue ne saurait être aussi porteur qu’un instituteur pédophile ou un graffiti antisémite). Le rectorat diligente un ou deux psychologues pendant trois semaines. La consigne est : tout le monde au boulot, et que ça cesse. Les psychologues règlent la question et rentrent au rectorat. Quelques jours après, un autre élève se tire une balle, et se rate. Aux dernières nouvelles, il était devenu aveugle. Je ne sais pas ce qu’il est advenu de lui dix ans après. J’exerçais à l’époque dans le collège le plus voisin, à Dammartin-en-Goële, et j’étais ami avec le prof de français du premier suicidé. Les dégâts parmi les adultes avaient été terribles, mais les psys n’étaient pas là pour eux, ils avaient déjà trop à faire pour rater leur intervention auprès des jeunes. Pas d’argent pour la psychologie des adolescents. Quand ils seront devenus adultes, il y aura beaucoup d’argent pour traiter en psychiatrie ce qu’on n’aura pas étouffé dans l’œuf [3].
Nous-mêmes, cette année-là, avions eu fort à faire avec nos élèves, qui avaient entendu parler de ces drames. Nous nous étions fait papas et mamans. Ce n’était pas réglementaire, mais nous avons évité l’effet tâche d’huile, et je peux vous dire que ça n’a pas été de main morte. J’en dirai peut-être plus un de ces jours, car le hasard m’a fait retrouver récemment deux élèves témoins de cette année cruciale. Ces deux jeunes suicidés sont donc, là où ils sont 10 ans après, mieux instruits, plus mobiles, et nous sans doute plus respectueux de l’autre. Sauf qu’en l’occurrence, l’autre, c’était eux, et que l’institution scolaire, à mon sens, ne respecte pas l’autre qui est en chaque élève, je veux dire l’être humain et non la machine à apprendre. Plus ça va, moins les élèves ont peur de parler d’eux. Rapport, sans doute, aux nombreuses émissions de télévision dites de réalité, où des quidams livrent leur intimité.
Les « propositions pour l’école » m’ont toujours semblé de l’ordre du cautère sur jambe de bois. L’élève qui travaillerait pour préparer son avenir, c’est du bidon. À quatorze ans, on travaille parce qu’on aime ses parents ou ses profs, et qu’on désire leur faire plaisir. Aimer, désir, plaisir, psychologie, mots absents de tout débat sur l’école. Les choses ont toujours marché à cloche-pied parce que la majorité des élèves vont heureusement bien, et ça cache la minorité qui va mal. Parce que la moitié de ceux qui vont mal cachent leur mal être sous une apparence d’élève sérieux, et ne font jamais parler d’eux jusqu’au jour où ils craquent. Parce que dans les collèges, il y a toujours une secrétaire, une infirmière, et quelques profs qui s’improvisent psychologues et qui aident ces élèves à évacuer leurs souffrances, en prenant de gros risques en cas de dérapage.
Pour ma part, plus le temps passe, et plus je tâche de donner la possibilité aux élèves d’exprimer cette part d’ombre dans le travail scolaire. Ça passe par le conte, par la poésie, par la danse. L’idéal est d’inviter des intervenants extérieurs, qui désinhibent les élèves. Le prof alors se transforme en chasseur de subvention. Permettez-moi de vous renvoyer à un bilan d’action pédagogique que j’ai commis naguère pour le compte d’Innovalo, une mission officielle de l’Éducation nationale.
De l’argent à l’école il y en a tant qu’on veut pour acheter des tonnes de manuels scolaires, même si certains ne servent que quatre fois dans l’année. L’argent tombe dans les caisses du groupe Hachette ou de ses concurrents ; et sur les radios et télévisions appartenant à ces groupes, on flatte les ministres qui engagent des réformes pour changer les programmes, du moment que le changement de programmes accélère la rotation des manuels gracieusement offerts aux familles par les Conseils Généraux et Régionaux. Mais gratter au fond des caisses pour trouver 200 ou 300 € pour un poète, un conteur, un danseur, un écrivain qui vient rencontrer les élèves, ça, c’est une autre paire de manches. Vous voulez parler des intermittents du spectacle ? C’est la porte à côté, un autre ministère.
De grands écrivains grassement payés, cela existe, bien sûr, mais c’est pour des travaux bien plus utiles à la société. Par exemple, plusieurs syndicats de journalistes s’indignaient récemment à propos d’une somme excessive touchée par le philosophe et millionnaire mondain Bernard-Henri Lévy pour produire un téléfilm sur une chaîne publique au sujet de la rénovation d’une villa appartenant à son épouse. La part versée par la chaîne publique était de 150 000 €, alors que d’habitude pour ce genre de production elle s’élève à 70 000 €. 80 000 € de différence, cela fait 266 interventions d’artistes à 300 € pièce, dont les élèves se souviendraient toute leur vie. L’État considère sans doute qu’il est plus formateur pour notre jeunesse d’assister à la télévision à la chronique de la construction d’un nid d’amour hétérosexuel… Pardonnez ces propos hétérophobes.
Hier jeudi, le poète Robert Vigneau est venu rencontrer mes élèves de sixième, qui travaillaient depuis un mois sur ses textes. J’avais construit un dossier de « Projet PAC », déposé en bonne et due forme en juin dernier auprès de l’Inspection académique. Pas de réponse à ce jour . Pourtant selon les instructions officielles nous devons présenter aux élèves en début d’année une progression rigoureuse. Dans ma progression cette année, il y avait ce travail. J’ai aussi, indépendamment, déposé un dossier auprès de la prestigieuse « Maison des Écrivains », ainsi qu’à la bibliothèque municipale de la ville où est situé le collège au sein duquel j’ai l’honneur d’enseigner. Pas plus de réponse que de psychologie dans l’enseignement. « Plus respectueux de l’autre », avez-vous dit ? Robert Vigneau est un grand poète, mais il n’a pas encore eu la bonne idée de mourir, et ça ne le fait pas, en France, d’être à la fois poète et vivant. Je me permets de vous renvoyer à son site.
Alors Robert Vigneau est venu quand même, gratuitement, comme moi-même, l’an dernier, je suis allé en tant qu’auteur, rencontrer gratuitement les élèves du collège Jean-Moulin d’Aubervilliers. Voir l’article sur HomoEdu.
Ça marche comme ça. À quand les manuels scolaires offerts gratuitement par Hachette, Vivendi, et leurs amis du MEDEF ? Les jaloux vont me dire : « Mais c’est un copain à vous ! » Oui, figurez-vous que je suis un prof-écrivain qui compte pas mal d’artistes et écrivains parmi mes amis. Et ça joue dans les deux sens. Certes, le danseur et le conteur que j’ai fait intervenir jadis dans ce collège sont devenus par la suite des amis, alors que je ne les connaissais pas. Au contraire, j’ai fait profiter mes élèves de contributions d’amis artistes, de même que BHL fait profiter les téléspectateurs et ses comptes en banque de ses amis architectes. Restons-en là, ne soyons pas amer. J’ai invité le poète au restaurant, et j’ai récolté les deux tickets de train qu’il a payés pour venir à nous. J’ai l’intention de présenter cette « note de frais » à qui de droit… Heureusement que pour le projet principal dont il est question dans ce journal de bord, et dont je vous prie de m’excuser de m’être écarté ce jour, nous avons l’appui et le financement du Conseil Général. Quand je pense à tout ce que j’aimerais faire pour ces élèves, toutes ces idées que je suis obligé d’étouffer parce qu’on ne trouverait jamais de quoi je ne dis pas rétribuer, simplement dédommager les intervenants… [4]
La rédaction de Coralie
Pour terminer, je voudrais donner la parole à une élève de troisième, Coralie, qui a fait cette rédaction « autobiographique » devant moi, en cours. Juste pour donner un aperçu de ce que les profs de français peuvent recevoir dans les rédactions. De toutes ces histoires, je suis le dépositaire. Cette année, j’ai aussi dans ma besace, deux garçons qui commencent à réagir sur le décès de leur père, des récits d’immigration, etc., et je ne parle que de ceux qui s’expriment. Il y a aussi ceux qui refusent encore de s’exprimer. Un que j’apprivoise depuis deux ans, et qui finira par cracher ce qu’il a dans le ventre, je le sais. Pour ce « travail », le prof doit être assez fort, et ne pas s’arrêter à une première réaction violente de l’élève, ni aux interventions des collègues qui lui font comprendre sur un ton paternaliste ou condescendant, qu’il n’a pas la compétence pour gérer la psychologie des élèves, et qu’il faut confier ça aux spécialistes. (Depuis quelques années dans ce collège, plus personne n’ose utiliser à mon sujet l’argument « Tu n’as pas d’enfant, tu ne peux pas comprendre. ») Quels spécialistes ? En sixième, devant le poète, un élève a raconté de façon métaphorique toute l’histoire de ses parents, séparés dans des conditions assez dures. Ses camarades ont cru qu’il parlait de sa petite amie… J’attends la suite de l’année pour savoir si cette séance l’aura remis sur les rails (c’est un élève a priori excellent d’après les tests, mais qui gâche tout son travail, et nous savons très bien pourquoi). Un autre élève, en grande difficulté, avait violemment refusé d’écrire un poème « à la manière de », parce qu’il refusait catégoriquement la consigne (se comparer à un animal) : « Non, je ne me compare pas à d’autres animaux, car moi je suis moi, et personne ne pourrait remplacer la personnalité de qui que ce soit. » « Je suis aucun d’eux, moi, je suis un humain », disait un autre. Travail en cours…
Si je publie cette rédaction faite en classe en une heure trente, et à peine rectifiée, c’est aussi pour clouer le bec à certaines personnes qui reprochent à mon roman L’année de l’orientation, d’être écrit de façon bien trop soignée pour les élèves de 15 ans que sont censés être les deux épistoliers. Ces lecteurs adultes ont une image des adolescents de Seine-Saint-Denis conforme à la caricature qui en est présentée dans les médias de masse. De mon côté, je n’ai passé que quatorze ans à enseigner dans les collèges d’Île-de-France, mais voilà, je ne peux pas prétendre connaître aussi bien la réalité que quelqu’un qui connaît les ados du 93 par l’intercession de TF1… Merci à Coralie d’avoir permis la publication de son beau texte.
« Je me souviens très bien de cette année-là. Ma grand-mère qui venait me chercher chaque soir après l’école et puis ma sœur aussi, on restait chez ma grand-mère jusqu’à ce que ma mère vienne nous chercher. Parfois, quand ma mère finissait tard, on dormait là-bas, trop fatiguées pour attendre son arrivée. En fait, je préférais dormir chez elle, car on esquivait les disputes de nos parents, c’était chaque soir, pour des broutilles en plus. Mes parents ne se supportaient plus.
Un soir, après que mes parents s’étaient encore disputés, ma mère est montée dans notre chambre en larmes, elle nous a expliqué que cela ne pouvait plus durer, qu’elle ne supportait plus tout ça. Je ne comprenais pas tout ce qu’elle m’expliquait, j’étais si jeune, pourquoi moi, pourquoi c’était mes parents à moi qui ne s’aimaient plus ?
Quelques jours plus tard, pendant une grosse dispute, mon père s’est emporté et il lui a dit de partir dès le lendemain matin, il avait mis toutes les affaires dehors, et aussi quelques meubles qu’elle voulait garder. Comme prévu, le lendemain, elle est venue nous réveiller en nous disant qu’elle reviendrait vite, qu’elle trouverait un appartement et qu’elle reviendrait nous chercher. Mon père était désolé, il était triste pour nous.
Environ deux mois plus tard, ma mère nous a enfin donné signe de vie, elle s’était trouvé un petit trois pièces tout près de Paris avec son nouveau conjoint. Elle voulait venir nous chercher la semaine suivante, soi-disant pour nous montrer son appartement. La semaine qui a suivi, elle est venue, avec des gens que je ne connaissais pas, ils m’ont emmenée dans leur voiture, j’avais peur, on m’enlevait de mon père. Je voyais tout à travers la vitre. Ma tante paternelle qui se battait avec ma mère, la chienne qui n’arrêtait pas d’aboyer, le ton qui montait.
Nous avons vécu huit ans avec ma mère à Boulogne, et j’en avais assez de voir mon père tous les quinze jours. J’ai fait le nécessaire pour aller vivre chez mon père. À présent je vis chez lui à Tremblay. »
Coralie, Octobre 2004.
Voir en ligne : Présentation du projet
© altersexualite.com 2007.
La vignette vient d’un programme canadien : « L’homophobie, pas dans ma cour » initié par le G.R.I.S..
[1] À partir de l’année scolaire suivante, j’ai enseigné au lycée, mais dans ce lycée, mes élèves de seconde n’ont jamais atteint ce niveau-là ; et pourtant, ce collège était un établissement public de Seine-Saint-Denis !
[2] Vous pouvez charger l’article en pièce-jointe ci-dessous.
[3] « Mais à trop valoriser la spontanéité, à trop avoir peur de contraindre la personnalité, à ne plus voir l’éducation qu’à travers le prisme de la psychologie, on est tombé dans un excès contraire. On ne s’est plus assez appliqué à transmettre » Voilà les propos de Nicolas Sarkozy dans sa « Lettre aux éducateurs » (p. 5), datée du 4 septembre 2007. Où a-t-il vu des psychologues dans les établissements scolaires, c’est ce que la lettre ne dit pas…
[4] « Il faut que nos enfants rencontrent des écrivains, des artistes, des chercheurs, des artisans, des ingénieurs, des entrepreneurs qui leur feront partager leur amour de la beauté, de la vérité, de la découverte, de la création », écrit Nicolas Sarkozy dans sa « Lettre aux éducateurs » (p. 21), le 4 septembre 2007. Rien de nouveau, mais quid du financement ? Quelle proposition de statut pour les intermittents du spectacle intervenant en milieu scolaire ?