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Essai sur le lobby gay, pour les éducateurs

Le Gay Pouvoir, Enquête sur la République bleu blanc rose, d’Yves Derai

Ramsay, 2003, 210 p., 19 €

mercredi 5 octobre 2011

Mon attention a été attirée sur ce livre parce qu’il est cité dans Homopoliticus, de Jean-Luc Romero. Ce n’est pas une enquête très approfondie, mais on y apprend de petites choses sur le microcosme discret du lobby gay. L’auteur, habilement, a préféré un autre terme que « lobby » en titre, alors qu’il déclare en avant-propos : « Le Gay Pouvoir ose démontrer que les homosexuels se sont organisés en lobby » (p. 14) ; il n’osera reprendre ce terme qu’à l’extrême pointe de sa conclusion (p. 179). Spécialiste de la politique, Yves Derai n’est pas le genre de journaliste à courir après le prix Albert Londres. Il était à l’époque journaliste politique à BFM, ce qui lui a permis de recueillir les propos cités dans l’ouvrage. Depuis la parution de ce livre, il a animé une éphémère émission de la Télévision française juive, et sa collaboration fréquente à des médias communautaires juifs nous vaut sans doute de fréquents parallèles intéressants entre les communautés gay et juive, sans oublier plusieurs portraits de militants qui font partie des deux communautés.

Le succès de Bertrand Delanoë et l’inénarrable citoyen Bergé

Le livre procède en remontant dans le temps à partir du succès municipal de Bertrand Delanoë, et des années qui l’ont suivi. Il commence par rappeler que les homos ont toujours été en force aux ministères de la Culture et des Affaires étrangères (ce que Marcel Proust disait déjà), mais que ce n’est qu’un « réseau d’entraide » parmi d’autres. Sur les débuts de l’ère Delanoë, on apprend des petites affaires de coulisses. Ainsi de la guéguerre entre Pierre Bergé (qui apparaît souvent, et pour cause, dans l’essai) et Christophe Girard, son ancien employé accusé par Bergé de traîtrise. Ce phare de l’Occident ironise lors de la nomination de Girard comme adjoint au maire à la Culture à Paris : « C’est comme si on nommait Rika Zaraï ministre de la Santé » (p. 42). Toujours est-il que selon Yves Derai, Bergé a bel et bien utilisé ses deux danseuses, Act Up-Paris et Têtu, pour mener un combat personnel contre Lionel Jospin, et lui faire perdre les présidentielles 2002, en faisant coller aux très naïfs militants d’Act Up-Paris des affiches anti-Jospin (à supposer que cette manipulation ait été suffisante à faire basculer le scrutin), et en faisant réaliser par Têtu une double entrevue de Chirac et Jospin avant le scrutin. Didier Lestrade, membre fondateur de l’association, aurait lui-même été impuissant à réclamer qu’au moins l’association équilibre ses prétendus griefs contre Jospin par d’autres contre Chirac, mais il n’a rien pu faire contre « cette campagne d’affichage décidée au niveau des instances dirigeantes » (p. 53). Quant à Thomas Doustaly, fidèle chien de chasse de Bergé à Têtu, il fera tout pour valoriser Chirac et dévaloriser Jospin, allant jusqu’à oublier la gaffe de Chirac, lequel déclara en le recevant qu’il venait d’écouter les doléances des handicapés (p. 66). Yves Derai cite Pierre Bergé : « Sans une certaine violence, on n’arrivera à rien. On doit descendre dans la rue, injurier les politiques récalcitrants, menacer de outing les homos honteux. À travers Act Up, je reviens à l’anarchisme de mes vingt ans » (p. 55). Sur Jospin, il avait même osé écrire dans Globe : « ancien trotskiste d’origine protestante, pourvu d’un menton à la Mussolini » (p. 56), mêlant sans vergogne la religion d’un homme à des reproches politiques ! Huit ans après, ce grossier manipulateur, octogénaire, sévit toujours ; on ne l’a toujours pas viré à coups de pompes dans le cul, on ne l’a toujours pas injurié comme il le mérite bien plus que ceux, comme Jospin, qu’il a fait injurier par les militants sans cervelle à sa solde. Peut-on seulement espérer que l’affaire DSK nous permettre de libérer la France d’un certain nombre de vieilles badernes de cet acabit !

Archéologie du mouvement gay des années 70 à nos jours

Yves Derai explique comment chaque politicien a recruté son « monsieur gay », chargé de vendre le produit au bon peuple. Philippe Meynard jouera ce rôle pour François Bayrou, Sébastien Chenu pour Alain Madelin. Sébastien Chenu est d’ailleurs à l’origine de la mise à pied d’un sénateur PRG, mort depuis, François Abadie, qui lui avait envoyé une lettre sur papier à en-tête du Sénat ainsi rédigée : « Triste sire, allez vous faire enculer, mais de grâce, n’en faites pas un fonds de commerce » ! (p. 81). En mai 2011, on rêve que le Parti Socialiste indique de même aux grabataires Robert Badinter ou Jack Lang, la porte du Parlement français, suite à leurs propos déplacés sur l’affaire DSK… autant que par simple nécessité de renouveler les cadres. En 2015, on apprend que ledit Sébastien Chenu émarge dorénavant au FN.
Yves Derai remonte encore plus loin, jusqu’aux mouvements des années 1970, les origines du FHAR, et ses déclarations tonitruantes telles que « Nous nous sommes fait enculer par des Arabes […]. Nous en sommes fiers et nous recommencerons » (p. 103). Il évoque les débuts de Mitterrand au pouvoir, et cette époque où il n’y eut pas besoin de lobby pour que Mitterrand et l’admirable Badinter (avant qu’il ne vieillisse mal) passent la balayette sur le code pénal homophobe de l’époque. Les années sida sont bien analysées, et l’auteur montre comment, à l’arrivée des « multithérapies », « les gays libérés du joug de la médicalisation reprennent petit à petit leur quête identitaire » (p. 111). Nous est confirmée l’attitude intolérante d’Alain Piriou, porte-parole de l’inter-LGBT, qui « s’est livré à un violent réquisitoire contre les formations de la droite parlementaire et a sévèrement tancé ses hôtes médusés » (p. 118), alors qu’il était invité par les adhérents de « Gay Lib ». Ce genre d’attitude nous a valu ces « Marches » honteuses où les homos qui n’étaient pas de gauche se sont fait huer par une bande de crétins hystériques soutenus par Alain Piriou et sa clique intolérante (je me permets de prolonger les propos de l’auteur, qui n’ose pas aller au bout de ses démonstrations, car c’est quand même en mon nom, que ces prétendus « porte-parole » ont mené ce genre de combats honteux contre des homos qui n’avaient pas l’heur de penser comme la majorité). Quand p. 135, Yves Derai évoque « des mots d’ordre [de la marche annuelle] débattus démocratiquement », cela fait doucement marrer, car en moins de 20 pages il a déjà oublié la notion stalinienne de la démocratie de notre ex-porte-parole, le fameux Alain Piriou, dont il omettait de signaler l’appartenance, en plus des nombreuses associations gays dont il noyauta les bureaux, à un parti politique, en l’occurrence Les Verts, appartenance souvent omise quand les médias relataient les paroles de ce monsieur qui parlait en mon nom !
Plus intéressant est le rappel d’un épisode fort oublié aujourd’hui, l’éclipse de la marche annuelle parisienne alors appelée « gay pride », au cours des années 1980. De rares intellectuels comme Didier Éribon tentèrent de concilier la fête à la revendication, mais c’est le regretté David Girard qui tenta, en vain, de la faire revivre en mettant l’accent sur la fête, ce qui lui valut le boycott des militants, et la fête toucha le fond absolu en 1988, avant de rebondir ! Près de 25 ans après, même si le succès ne se dément pas, le dilemme parade festive / défilé cégétiste instrumentalisé par des « porte-paroles » qui oublient de préciser à quel parti politique ils émargent, n’a toujours pas été résolu… Mais la séparation entre la « Technoparade » et la marche altersexuelle a contribué à clarifier les choses.
Yves Derai se trompe parfois, comme quand il prétend que « Cgay devient la première association gay professionnelle » (p. 124) : c’est oublier l’association d’enseignants, certes éphémère, AGLAE, dont votre serviteur fit partie, et qui exista en 1997 ! Par contre, je crie bravo quand il rapporte les propos intelligents de… Olivier Besancenot, qui s’opposait en ces termes à la pénalisation des propos homophobes : « Une loi situerait le problème sur le terrain des relations entre personnes et introduirait du mercantilisme. Je préfèrerais qu’on subventionne plus les associations anti-discriminations dans les lycées ou en entreprise » (p. 157). Quel dommage que cette idée de bon sens ne l’ait pas emporté, quand on voit, six ans plus tard, l’échec total de cette loi inapplicable à empêcher les propos homophobes. Cela n’empêche pas l’auteur de se déclarer favorable à cette pénalisation (p. 178). Il évoque aussi rapidement, mais justement, l’oubli des transgenres par les homos, du moins jusqu’en 2002, où la marche annuelle parisienne a intégré le mot « trans » (p. 172).

Parallèle entre communautés juive et homo

En sa qualité de journaliste communautaire juif, Yves Derai nous permet d’accéder à certaines informations sans doute confidentielles, comme ce dîner où un militant gay et juif, un certain Norbert W. [1], qu’on retrouve au Beit Haverim, au comité organisateur de la Marche des Fiertés, puis à l’association « Gare ! », se casse les dents en tentant de présenter son association (Beit Haverim) au grand rabbin de France, lors du dîner annuel du CRIF : pour celui-ci, « la sodomie est un crime et l’homosexuel un pécheur impénitent » (p. 117). Par contre, quand il prétend que « À l’instar des chrétiens, des juifs ou des musulmans, les homos ont leurs journaux, leur radio, leurs centres culturels », etc. (p. 122), on se demande bien où l’auteur a vu une radio gay. Cette absence est au contraire un scandale national dont on eût apprécié qu’il ait eu le courage de le dénoncer. Yves Derai rapporte une sentence particulièrement naïve de Didier Lestrade, à propos de la tentation d’Act Up-Paris d’outer des parlementaires ayant participé aux manifs anti-Pacs : « C’est comme si un juif participait à une manifestation du Front national ». Comme si ce parti ne draguait pas le vote juif (comme le vote homo) depuis belle lurette ! Yves Derai, que ça semble tarabuster, reprend d’ailleurs cette histoire de radio dans le dernier paragraphe de sa conclusion : « Quand un homme ou une femme ne fréquente plus que des « comme lui », ne lit que « ses » journaux, écoute continuellement « sa » radio […] il construit « sa » prison pour s’y réfugier […]. C’est ghettoïsé, coupé du monde extérieur que le communautarisme gay peut enfanter des lobbies agressifs » Et de conclure sur cette phrase sibylline : « Il n’est d’ailleurs pas le seul concerné par cet avertissement. À vrai dire, il n’arrive même pas en tête de liste » (p. 180). On se demande bien à quel « communautarisme » et à quel « lobby » pense ce journaliste, qui reconnaît avoir souvent travaillé pour des médias juifs [2], pour cette « tête de liste » ! Il semble décidément difficile de porter, en France, un regard critique, même sur la communauté dont on fait partie…

 La même année paraissait un autre essai intéressant (seulement pour ceux qui, comme votre serviteur, considèrent que la liberté d’expression est un bien démocratique, et que la communauté dont ils font partie peut être critiquée) : Les Khmers roses, essai sur l’idéologie homosexuelle, de François Devoucoux du Buysson.
 Ce livre fait partie des nombreux ouvrages que j’ai lus pour écrire mon essai Le Contrat universel : au-delà du « mariage gay ». Et si vous l’achetiez ?

Lionel Labosse


© altersexualite.com, 2011
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[1Je supprime le nom complet de ce monsieur qui m’a gratifié en 2014 d’un mail pour le moins maladroit, me menaçant de terribles procédures si je ne supprimais pas son nom, sous prétexte que cela, je cite, lui « cause un préjudice professionnel ». Or j’avais tout à fait le droit de citer son nom, puisqu’il figure dans un livre publié et jamais interdit, mais je le retire volontiers, n’ayant pas vocation de nuire à quiconque. Il est sans doute rageant quand on a milité à la Marche des – je cite – Fiertés ! de devoir se renier, car ce que ce monsieur avait fait en tant que militant était plutôt à son honneur. Puissé-je n’avoir jamais à me renier à cause de l’évolution politique de notre beau pays…

[2Il évoque « [s]on parcours dans la presse juive au cours duquel [il a] appris ce qu’était vraiment la vie d’une communauté » (p. 175).