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Rejet de l’autre en soi, pour les 3e et le lycée

Amoureux grave, d’Élisabeth Brami & Philippe Lopparelli

Éditions Thierry Magnier, collection « photo roman », 2008, 140 p, 13,5 €

dimanche 13 avril 2008

Un nouveau concept, le « photo roman » : « Une série de photographies dont il ignore tout est confiée à un écrivain ». Voilà donc un générateur aléatoire de livres inédits, alors même que des romans de grande valeur sont refusés par les éditeurs, ou que les meilleurs romans jeunesse publiés en Espagne, au Canada, en Italie, ne seront jamais traduits parce que les éditeurs français pour la jeunesse ont peu de curiosité hors des sentiers battus anglo-saxons [1]. Le concept n’est sans doute pas mauvais, mais pourquoi ne pas bâtir plutôt de vrais projets qui ne soient pas dus à des rencontres fortuites ? L’auteure a honnêtement rempli son contrat, certes, mais ce livre vite fait, bien fait, n’apporte rien de bien neuf à ce qui a déjà été écrit parmi les ouvrages de notre sélection — à part une dose de provocation sur la sexualité en passe de devenir elle-même conformiste. Une chronique scolaire sur le mal être adolescent, comme on en a lu des dizaines… Le point positif est que les courriels du protagoniste prennent le contre-pied du style SMS (alors que le gros de la narration le fait facilement ordurier). Cependant, en le faisant écrire non pas seulement correctement, mais comme un lyrique éthéré planant sur les himalayas claudéliens de la Saint-Taxe et de la pohëtique, on peut se demander si l’auteure n’est pas allée trop loin, et si ce genre de poème en prose guindée peut toucher les jeunes lecteurs à l’époque de Grand Corps Malade… N’hésitez pas à faire part de vos réactions ci-dessous si vous êtes moins sévère…

Résumé

Paul Daveine est pour le moins mal dans sa peau : issu d’une famille de scientifiques, il est affublé d’initiales dures à porter, en hommage à son oncle mort subitement avant sa naissance pour des raisons qu’il se promet d’éclaircir. Qui pis est, il s’inscrit au lycée dans la section L, et pour ses parents, « Lettres = merde » (je cite) ; « Il était donc le super déchet scolaire », « celui qui croupit dans une section pour minables, glandeurs, et surtout… pour pédés ! » [2] Paul se demande s’il est anormal de ne pas ressentir « la moindre palpitation amoureuse » (p. 19), ce qui ne l’empêche pas d’être obsédé sexuel. Il éprouve des pensées lubriques pour la prof de philo : « il la prenait par les épaules, la déshabillait, la retournait, la plaquait au mur […] la pénétrait. Il avait vu faire ça dans des films » (p. 29). Il a un bon copain, Nico, mais préfère rester seul devant son ordinateur. D’ailleurs, Nico écrit en langage SMS, ce qui répugne à Paul ; il trouve cela pathétique, et se rappelle le « génial Doukipudonctan » (p. 38) de Queneau [3]. C’est d’ailleurs Nico qui le traite d’« Amoureux grave » (p. 40), expression paradoxalement donnée au titre alors qu’elle symbolise un langage « djeune » qui horripile le protagoniste, et dont l’auteure n’abuse pas, bien au contraire.

Un beau jour, Paul reçoit un courriel mystérieux : juste une photo. Il se prend au jeu, et répond, en tapant « sans trop y penser, cherchant l’expression de la sensation plutôt que le style » (p. 44). Il reçoit aussitôt une deuxième photo, et le dialogue inégal se poursuit. Paul imagine une fille, et joue sur les participes ou autres accords pour tenter de savoir à qui il a affaire. Hélas, « on » le mène en bateau. Nonobstant, pendant cet échange, il se remémore des fantasmes de son passé, fantasmes plutôt homo ou bisexuels : il se souvient avoir profité d’un week-end chez un copain de primaire dont les parents étaient naturistes ; il avait observé avec jalousie la « gigantesque trompe de Babar » (p. 58) du père ; il prend quasiment son pied en lisant L’Amant de Marguerite Duras, et se rappelle que « son sexe s’était raidi » lorsque son prof de français lui avait commenté le recueil de poèmes qu’il lui avait soumis avec ce commentaire : « Que rien ni personne n’arrête ton écriture » (p. 82). Les photos s’enchaînent, et les poèmes en prose en réponse : « Tu ressembles à un éteignoir triste au fond des oubliettes » (p. 98). Paul croit être victime d’un canular. Il s’avère que la correspondante rêvée est un correspondant. En plus, la mère de Paul surprend le fatal courriel avant lui, et l’agonit d’injures : « Un pauvre pédé, voilà ce que tu es, une chiffe molle. Un menteur. Une merde. Tu me dégoûtes ! » (p. 125). Paul encaisse : « Il n’était plus rien qu’un pauvre type. Familialement, scolairement, socialement et sexuellement fini. Fini. Un pauvre type » (p. 126). Il est troublé, et cela nous vaut une jolie formule : « Un mélange répugnant de haine et de tendresse se révoltait en lui. Que faire de tout cela ? » (p. 131).

Mon avis

L’auteure a la bonne idée de se moquer du style de son personnage — « Quel était ce flot grotesque qui naissait de lui ? » (p. 61) ; « poète bidon » (p. 130) — par contre, elle semble trouver naturel que le fameux prof de français grandiloque à ce point, ou de multiplier les citations latines (il est vrai peu compliquées et faciles à retrouver) non traduites, comme dans ces horripilantes thèses de fac de « lettres / merde ». On ne trouve pas que sous la plume du personnage, malheureusement, ce genre de prose : « Et bien qu’il répugnât d’habitude au plaisir solitaire, sa main avait trouvé seule, force aveugle, le chemin du désir et de son assouvissement. / Il avait joui. Vite. » (P. 94).
Les photos empruntées à la série Electrotopia de Philippe Lopparelli sont disponibles sur ce site, avec 6 des 11 photos publiées dans le livre. Elles proposent des groupes ou des personnages solitaires, même un couple homo qui fournira la révélation finale ; des paysages urbains ou ruraux, avec des couleurs vives qui contrastent avec l’état d’esprit du protagoniste. Ce texte donne surtout l’impression d’avoir été écrit un peu comme les lettres du personnage, par morceaux successifs envoyés à l’éditeur. Cela manque de cohérence, les personnages n’évoluent pas au fil de cette petite semaine, on reste à leur superficie, et jusqu’à la dernière ligne, si Paul ne s’autoflagellait pas, on aurait envie de le faire pour lui.

- Voir, dans la même collection, Un Amour prodigue, de Claudine Galea & Colombe Clier.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Entrevue avec Élisabeth Brami sur le site de Citrouille


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[1Signalons pourtant que cet éditeur est un des rares à traduire des auteurs non anglo-saxons : voir La Fille du squat, de Ragnfrid Trohaug ou Havre de Paix, de Fujino Chiya.

[2A-t-on pensé à l’effet sur l’estime de soi de ce genre d’ironie facile tombant sous les yeux d’un élève de… 1re technologique ?

[3Lequel avait d’ailleurs plutôt écrit « Doukipudonktan ».