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Amour et trahison, pour les 4e / 3e

Les Roses de cendre, d’Érik Poulet-Reney

Syros, Les uns les autres, 2005, 120 p., 7,5 €.

samedi 28 avril 2007

Un des premiers romans à évoquer les persécutions nazies contre les homosexuels, sous la forme significative de la mémoire douloureuse d’une vieille femme dont le frère a été déporté pour homosexualité. Ce thème est entrelacé avec une autre histoire de trahison et d’amour, vécue par une jeune fille, façon de dire que si la vie continue, on ne peut pas nier la mémoire de ces faits tabous.

Résumé

Citons pour commencer l’épigraphe du poète André Sarq : « Chaque assassinat d’un homosexuel par un nazi s’est doublé d’un assassinat (occultation, négation) de sa mémoire par les familles, les politiques, l’histoire officielle ». Armande, 77 ans, surnommée Mady par sa petite-fille Suzelle, 19 ans, a des problèmes de mémoire et de vieillesse. Elle s’apprête à recevoir Suzelle pour l’été, après le succès de celle-ci dans une représentation de Petrouchka et Le Spectre de la rose. Suzelle est attristée par le départ subit de son petit-ami Mathis pour Berlin, où une opportunité lui a été proposée par une chorégraphe réputée. À la gare d’Avallon, où elle doit prendre la navette pour retrouver sa grand-mère à Vézelay, elle retrouve un copain, Romain, qui lui présente son ami grec, qu’il va présenter à ses parents et avec qui il a l’intention de se pacser. Suzelle organise un repas avec sa grand-mère et ses deux amis, sans se douter que ce couple gai va rappeler à Mady-Armande de terribles souvenirs. En effet Armande n’est pas une Vézelienne de souche, elle est devenue Icaunaise d’adoption après avoir quitté l’Alsace, dont elle est originaire, pour fuir la mémoire d’une tragédie, la mort de son frère Clément et de l’amant de celui-ci, Hans, arrêtés par la Gestapo sur dénonciation pour homosexualité. Mady n’a jamais voulu évoquer ses origines alsaciennes, et c’est un mystère pour Suzelle. Voilà qu’en faisant du rangement, elle tombe sur une photo de Mady auprès d’un jeune homme blond, son frère, et une autre photo avec deux têtes d’hommes découpées. Qui a découpé ces photos et pourquoi ?

Mon avis

Les Roses de cendre est un des premiers romans, avec Différents, de Maryvonne Rippert, à évoquer les persécutions nazies contre les homosexuels. Ce roman, qui est une incontestable réussite au niveau de la composition et de l’écriture, est donc le bienvenu, dans un contexte de véritable négationnisme en la matière entretenu par de nombreux manuels d’histoire, quand ce n’est pas l’Éducation nationale (lire notre Tribune libre). L’auteur a accompli un travail de documentation rigoureux. Il va jusqu’à citer un certain nombre de camps de concentration situés sans doute en Alsace, et un extrait (p. 87) du discours d’Himmler sur l’homosexualité du 18 février 1937. [1]. Ce discours est daté du 16 novembre 40, avec une phrase qui ne figure pas dans la version ci-dessus. S’agit-il d’une autre version du même discours prononcé à une autre occasion ? Compte-tenu de l’absence d’informations disponibles dans les établissements scolaires, un appendice documentaire ou quelques notes sur le sujet auraient été appréciées, avec notamment des précisions sur le fait que les soldats qu’étaient Hans et Clément, en toute logique, combattaient dans les rangs allemands, l’Alsace étant annexée. [2]

La tonalité du récit est tragique, avec une note tenue de la première à la dernière ligne, sans le moindre moment de répit. Tout est tragique, tout est douloureux, tout est tendu, du secret de Mady à celui de Suzelle, de l’attitude « ça passe ou ça casse » de Romain aux discussions des jeunes gens, jusqu’à un simple gâteau raté par Mady (p. 47). Pourtant la notice liminaire indique que l’auteur « aime passer du rire aux larmes » ! Le crescendo est soigneusement entretenu tout au long du texte jusqu’à la révélation finale. Par exemple, la déportation du frère d’Armande, qui est pourtant annoncée en 4e de couverture, n’est formulée clairement qu’à la page 76 du récit, après un certain nombre d’amorces (que l’on peut faire relever aux élèves, comme celles concernant le secret de Suzelle). L’auteur semble affectionner les grands sentiments tous azimuts, car l’emportement romantique sensible dans les évocations de chorégraphies est aussi à l’œuvre dans les deux récits de rencontres amoureuses (Suzelle / Mathis et Romain / Takis), qui feront rêver les ados en mal d’idylle. Quand les parents de Romain découvrent l’homosexualité de leur fils en même temps que son petit ami, on guette la caméra de télé-réalité par derrière, qui leur fait sortir pour toute réaction : « On parle beaucoup de ces choses-là dans la presse et à la télé » (p. 55). Rappelons aux jeunes qu’une telle attitude n’est pas vraiment à conseiller, et qu’il y a plus de chances qu’elle aboutisse à un psychodrame ! (Voir par exemple le Petit manuel de Gayrilla à l’usage des jeunes). On retrouve quelques motifs déjà rencontrés dans Jusqu’au Tibet, du même auteur : la Bourgogne, le goût d’un garçon pour les robes, et un père qui abandonne son enfant. On retrouve aussi le même style relevé, je dirai même aussi précieux que les personnages, mais c’est une histoire de goût…

 Découvrir un autre roman qui situe son action dans le Morvan : Délits secrets, de Catherine Bourassin.

 Septembre 2006 : Les Roses de cendre : un « Isidor » aux Incorruptibles.
Le roman d’Érik Poulet-Reney fait partie des six romans sélectionnés pour le prix des Incorruptibles 2006-2007, niveau troisièmes / secondes. Cette sélection d’un roman couronné d’un Isidor est une excellente nouvelle, car de cette manière un oubli historique va être réparé, et ce sont des milliers d’élèves qui vont enfin entendre parler dans le cadre scolaire de la déportation des homosexuels pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit d’une sorte de première, car jamais jusque-là à ma connaissance un thème altersexuel n’avait été retenu pour une initiative pédagogique nationale de cette ampleur. Voilà qui va faire heureusement mentir notre ami Philippe Castel, qui se plaignait dans un article paru dans Libération le 5 septembre 2006, de l’inaction de l’Éducation nationale. Certes il s’agit d’une initiative privée, mais quand on sait que les organisateurs de Collège au cinéma se refusent à aborder ce genre de thèmes dans leurs sélections (voir mon Journal de bord à la date du 10 décembre 2004), on peut mesurer le courage qu’il a fallu aux organisateurs de ce prix pour imposer un tel choix. Restera à savoir quel roman sera couronné par les élèves, mais l’essentiel est que ce livre soit lu massivement. Pour plus d’information, voir la bio de l’auteur.
Terminons par cette citation du poète André Sarcq, placée en épigraphe de l’ouvrage : « Chaque assassinat d’un homosexuel par un nazi s’est doublé d’un assassinat (occultation, négation) de sa mémoire par les familles, les politiques, l’histoire officielle. Il y a bien eu pour chaque homme deux meurtres. Et je suis incapable de distinguer lequel l’emporte sur l’ignoble. »
Lire, sur « Culture et Débats » le point de vue de Jean-Yves. Voir aussi La Mort est mon métier, de Robert Merle et Triangle rose, de Michel Dufranne et Milorad Vicanovic-Maza.

Lionel Labosse


© altersexualite.com 2007
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[1Disponible aussi dans l’ouvrage de Jean Boisson : Le triangle rose, la déportation des homosexuels (1933/ 1945), Robert Lafont, 1988)

[2Sur la question des « Malgré-nous », voir Je marchais MALGRÉ MOI dans les pas du diable, de Dorothée Piatek.