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La première transgenre MtF ? pour les lycées.
Tirésias (t 1 : L’outrage ; t 2 : La révélation), de Christian Rossi & Serge Le Tendre
Casterman, 2001, 2 x 50 p, 9,5 €.
vendredi 8 juin 2007
Ces deux albums sont remarquables à plus d’un titre, et figurent parmi les tout premiers en bande dessinée grand public, à proposer une image positive de la bisexualité masculine, et bien sûr de la thématique transgenre, avec cet avantage supplémentaire quand on se plonge dans l’antiquité grecque, que la question de l’homophobie et donc de la culpabilité, en sont absentes. Un pendant artistique aux fades illustrations de manuels d’éducation sexuelle, à faire figurer en bonne place dans les C.D.I. des lycées.
Résumé
Tirésias est un jeune et vaillant guerrier de Thèbes qui fait autant de victimes en amour que sur le champ de bataille. Il séduit tout ce qui croise son chemin, fille ou garçon, et pas pour conter fleurette, mais pour garnir sa couche. L’éphèbe Calypto, qu’il vient de rejeter, a du mal à s’en remettre, et certains Thébains se plaignent des ravages causés par son indélicatesse. Tirésias nargue Glaucon, un miles gloriosus (soldat fanfaron), dont il se fait un fidèle ennemi. Il nargue aussi Calypto, mais c’est pour lui proposer de convoler avec une femme, ou bien de le rejoindre dans sa couche qu’il partage déjà avec quelques autres beautés des deux sexes. Suite à la querelle entre Zeus et sa femme Héra « pour savoir qui de l’homme ou de la femme éprouve le plus de plaisir dans la volupté » (p. 13), Tirésias relève à ses dépens un défi de Glaucon. Il tente de violer une inconnue, qui s’avère être une prêtresse d’Athéna, déesse tutélaire de Thèbes. La vengeance de la déesse ne se fait pas attendre, elle l’entraîne dans un bois sacré, où deux serpents l’attaquent. Il se réveille femme tandis qu’on le croit déserteur. De retour à Thèbes, un subterfuge s’impose : adopter les vêtements et l’identité de Thya, sa sœur récemment décédée. Scènes amusantes où elle se prend les pieds dans les plis de son peplos (p. 36). Tirésias tente de se faire pardonner d’Athéna, mais le verdict est formel : « Tu retrouveras ta forme originale le jour où tu sauras te sacrifier pour sauver l’être qui t’est le plus cher au monde » (p. 43). La guerre est déclarée, et voilà Calypto et Glaucon, nouveaux rivaux auprès de la belle Thya, bientôt face à face. C’est l’objet du tome 2, et il vous faudra le lire pour découvrir comment Tirésias va se sortir de cette situation (à supposer qu’il en ait toujours envie) et répondre à la question d’Héra.
Mon avis
Ces deux albums sont remarquables à plus d’un titre, et figurent parmi les tout premiers à ma connaissance en bande dessinée grand public, à proposer une image positive de la bisexualité masculine, et bien sûr de la thématique transgenre, avec cet avantage supplémentaire quand on se plonge dans l’antiquité grecque, que la question de l’homophobie et donc de la culpabilité, en sont absentes. Si culpabilité il y a, c’est dans la nature du rapport à autrui, qu’il soit homme ou femme, et dans la place accordée à la sexualité. Le scénariste, Serge Le Tendre, a pris quelque liberté avec le mythe de Tirésias, du moins avec les versions connues, mais sa version n’est ni plus ni moins valable. Sa principale source est le court récit des Métamorphoses d’Ovide (III, 316-338), même si on peut trouver artificielle la façon dont les auteurs ont tenté de coller le thème des deux serpents à cette nouvelle version du mythe. J’ai ma petite idée sur la question, c’est d’ailleurs l’objet d’une pièce de théâtre que j’ai écrite il y a dix ans et que je ne désespère pas de faire représenter (avis aux amateurs !).
La question du statut des femmes dans la société thébaine est abordée, par exemple lorsque Thya est punie pour s’être interposée dans une querelle d’hommes (T 2, p. 14). À comparer avec Championne à Olympie, de Claude Pujade-Renaud & Daniel Zimmerman. La vignette la plus osée se trouve dans le tome 1 p. 11. Tirésias partage sa couche avec un homme et deux femmes. Un sein apparaît, et le dessin reste à la limite de l’érotisme, de même que les quelques représentations de nudité féminine ou masculine, avec sexes en érection ou non, tout à fait dans la lignée de la statuaire grecque, c’est-à-dire que le sexe n’est qu’un élément du corps traité à l’égal du nez ou de l’orteil, ce en quoi je recommande fortement l’ouvrage en complément à une éducation à la sexualité bien ordonnée. Voir par exemple l’étonnant dessin de la p. 31 du T 1, ou encore cette excellente planche où Tirésias explore en connaisseur sa nouvelle beauté féminine à l’aide d’un miroir.
D’aucuns la trouveront pornographique, mais nos lycéennes se reconnaîtront, à n’en pas douter, sans parler des transgenre MtF ! À ce sujet, l’évolution des sentiments de Tirésias par rapport à sa transition est intéressante, entre les deux tomes. Voir la très belle planche de la p. 17 du T 2, où Tirésias / Thya est désarçonnée par le désir naïf de Calypto, désir exprimé dans une crudité que je trouve chaste, tour de force du dessinateur, Christian Rossi. Une vignette remarquable aussi p. 19 T 2, de gros plan sur un sexe masculin (illustration ci-dessus). Le dessinateur a trouvé le pendant artistique des fades illustrations de manuels d’éducation sexuelle. Là encore, c’est remarquable, mais attendez-vous à des tartuferies lorsque vous aurez la bonne idée de proposer l’ouvrage dans le C.D.I. de votre lycée. Je ne le conseille pas pour les collèges, à cause de cette représentation d’une scène à plusieurs partenaires dans le T 1, qui ne passera pas auprès de certains adultes, alors même qu’elle constitue l’exact contraire de ce qu’on reproche aux films pornographiques, puisque d’une part les filles n’y sont pas inférorisées, d’autre part la présence de deux femmes n’y est pas prétexte à instrumentaliser le lesbianisme à des fins de jouissance masculine.
– Parallèle intéressant avec Histoire d’Alban Méric (Quintett, deuxième mouvement), de Frank Giroud & Paul Gillon, paru en 2005. L’homosexualité dans le même pays, mais dans un contexte de sexophobie. Comparer également avec Le Banquet de Platon illustré par Joann Sfar, Voir aussi Muchacho, d’Emmanuel Lepage, qui cite nos deux auteurs dans ses remerciements, et ce n’est pas par hasard !
– Voir mon article sur la Grèce.
– Lire l’article de Jean-Yves sur Culture & débats, à propos de l’opéra de Francis Poulenc Les Mamelles de Tirésias, inspiré d’Apollinaire.
– Christian Rossi a collaboré au recueil collectif En mâles de nus, de Virginie Greiner (Attakus éditions, 2006). Il est auteur de Deadline (2013), avec Laurent-Frédéric Bollée.
Voir en ligne : Site de l’éditeur Casterman
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