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Un guide un peu tiède, pour les éducateurs
Le Module d’éducation à la santé et à la sexualité, ouvrage collectif
Éditions éducagri, 2005, 68 p, 10 €.
mardi 5 juin 2007
Cet ouvrage est l’œuvre d’une équipe de l’institut de Genech, établissement sous contrat avec le ministère de l’Education Nationale, le ministère de l’Agriculture et le ministère de la Jeunesse et des Sports, équipe ayant collaboré avec de nombreux intervenants extérieurs à partir de 1996. Les séquences pédagogiques présentées ont été testées, auprès d’élèves de 4e et de 3e technologiques. C’est l’avantage et l’inconvénient de ce guide pour le moins daté, auquel on peut reprocher l’image négative qu’il dresse de la sexualité humaine, et la portion congrue offerte à l’altersexualité.
La démarche est partie d’une demande du Professeur Montagnier liée à la lutte contre le sida, ce qui lui vaut une optique totalement dédiée à « une véritable réflexion en profondeur sur les conduites à risques ». L’approche proposée se veut « non modélisante, non moralisatrice », et ne cherche pas à « s’ériger en modèle ». Heureusement car, malgré une évidente bonne volonté, la démarche est imprégnée en profondeur, n’en déplaise aux auteurs, d’une morale anti-sexuelle basée sur l’ostentation hypertrophiée des risques, de la violence, un véritable prêche qui se veut laïque pour la fidélite et la monogamie, qui ne laisse que fort peu de place au sujet pourtant annoncé en couverture, la sexualité.
Le guide est divisé en trois séquences : « S’aimer à l’adolescence », « Les violences », « La relation ». La présence de ce volet central hors sujet est révélatrice, encore plus quand on découvre que le troisième volet contient à nouveau un chapitre sur « Les violences sexuelles » (p. 55), véritable obsession des éducateurs. Dans le chapitre central, les insultes ou discriminations homophobes ne sont pas explicitement nommées, conformément à la bonne vieille antienne en vigueur en France, selon laquelle on attend qu’un élève ose affronter le groupe et poser la question qui fera rire toute la classe à ses dépens. Il est donc possible, virtuel, avec ce genre de modules, qu’on traite la question qui tarabuste tous les élèves, quand on en aura fini avec la leçon de morale sur le viol, les violences sexistes, le « respect » dû aux filles, etc. La seconde séance sur la violence est particulièrement significative de la perte du sens de la réalité chez les auteurs du manuel : le fait que pas une seule des « paroles d’ado » publiées p. 33/34 ne concerne la sexualité ne semble pas les déranger. La morale est en route, il s’agit comme toujours de terroriser les élèves et de lier indissociablement l’idée de sexualité à celle de violence et de risque ! Quand j’étais élève au moins, on ne nous parlait pas du tout de sexualité, et cela valait sans doute mieux !
Passons à l’information sur la sexualité, qu’on est en droit d’attendre d’un tel guide. Les auteurs critiquent « la mauvaise — et trop abondante — information en matière de pratiques sexuelles » (p. 36), ce qui est se moquer du monde, puisque leur guide, censé fournir cette information, la censure tout en prétendant qu’il y en a trop. Le résultat est simple, les élèves se contenteront, et ils auront bien raison, de l’information donnée sur les radios privées pour jeunes, qu’il faudrait que les éducateurs timorés écoutent de temps en temps pour se rendre compte à quel point ils sont à côté de la plaque ! Les témoignages donnés vont tous dans le même sens, et malgré les protestations de non-jugement, trahissent la leçon de morale républicaine assenée durant toutes les séances : le sexe est banni hors de la construction d’une relation basée sur le respect, etc. (cf p. 39). La seule séance qui aborde « la relation sexuelle » et « le plaisir » (p. 50) précise : « Le sujet peut n’être qu’effleuré si le groupe n’est pas porteur » ! Parole d’ado : « Que si on sort avec une fille rien que pour lui faire l’amour on lui manque de respect » (p. 52) CQFD ! L’ultime séance persiste à seriner l’ordre du jour : « il nous semble nécessaire d’aborder explicitement la notion de risque, dans une volonté de prévention ». Et de préciser dans les objectifs : « Faire réfléchir sur les influences extérieures qui conditionnent, souvent à leur insu, leur manière d’être et d’agir dans leur vie relationnelle et notamment amoureuse » (p. 53) Interdit de rire ! Le mot « homophobie » est cité à nouveau dans les objectifs p. 55 et 56, mais il n’y en a aucune trace dans le traitement pédagogique.
Tout n’est pas à rejeter dans ce guide, bien sûr, et on retiendra les excellents conseils de base sur la gestion des séances et les méthodes pour « créer un climat d’authenticité et de confiance qui favorise la prise de parole », c’est-à-dire le respect de ce qui est dit, et le recul par rapport à certains comportements de façade qui cachent souvent une « implication réelle ». Cependant, là aussi, on remarque que la plupart du temps les auteurs préconisent un travail en petits groupes, or on sait bien que c’est le meilleur moyen d’éviter l’émergence de questions réellement taboues. D’ailleurs si la question de l’orientation sexuelle est à plusieurs reprises mentionnée parmi les objectifs à atteindre — on sent la volonté de respecter les instructions officielles — elle est absente des pages de « paroles d’ados » censées retranscrire la réaction des élèves, à l’’exception des photos de tableaux obtenus (p. 15) par collage, où le mot « homosexuel » et « bisexuel » apparaît. Seule la séance sur la relation, à partir de dessins, propose un travail seul, mais le conseil que j’ajouterais est de permettre une parole libre en assurant les élèves que leur écriture ne sera pas reconnue.
Les modules demandent un travail en équipe et en binôme pendant les interventions, sage conseil, même si le mot « animateur » est gênant. Le guide conseille quand même parfois l’utilisation de supports pédagogiques plus culturels, qui rappellent que même sur la sexualité, le professeur reste un enseignant ! (le côté « animateur » rend possible tous les glissements vers une morale sexuelle, un rôle proche du parent ou du religieux). En dehors des dessins déjà mentionnés, plusieurs pages de documents à reproduire sont proposées, dont plusieurs restent ancrées sur une approche biologique, qu’on aimerait clairement séparée dans un enseignement plus moderne du « fait sexuel » comme le prône l’Antimanuel d’éducation sexuelle, de Marcela Iacub & Patrice Maniglier.
Les aides suggérées en fin de manuel sont typiques d’une époque que l’on voudrait révolue : « comité SIDA […], associations de lutte contre le SIDA ». Heureusement, la ligne azur est citée, ainsi que la brochure L’homophobie : savoir et réagir et l’excellent DVD Qu’en dira-t-on ?,proposé également par Éducagri. Pour conclure, prenez le meilleur de ce guide, suivez les conseils sur la gestion des séances, mais supprimez la partie sur la violence et remplacez-la par une séance basée sur la diffusion de ce DVD. En attendant une révolution culturelle !
– Voir aussi notre article sur la circulaire du 17/02/03 sur l’éducation à la sexualité dans les écoles, les collèges et les lycées.
Voir en ligne : Éditions éducagri
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