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« Pass éducation » : un anglicisme qui pass comme une lettre à la post dans le nouveau language du ministère de notre national education.

mercredi 2 novembre 2016

Le « pass éducation » avait été mis en place en 2009, alors que le ministère était dirigé par Xavier Darcos (à moins que ce ne soit par son successeur à partir du 23 juin 2009, Luc Chatel), futur membre de l’Academy française, puis refait en 2012. C’était une carte fort pratique en plastique au format ID-1 (format carte bancaire) remplaçant l’encombrante carte professionnelle qui existait auparavant, et valable pour trois ans. Il était d’ailleurs significatif de remplacer cette carte professionnelle par un « passe » avec ou sans e, corroborant l’idée populiste selon laquelle les enseignants sont des privilégiés, bardés de passe-droits. Les tarifs réduits ou la gratuité dans les musées n’étaient pas du tout une nouveauté, mais un droit reconnaissant une sorte de mission incombant aux enseignants de se cultiver pour transmettre cette culture aux élèves. De même, la carte professionnelle permettait de menus privilège comme par exemple dans certaines librairies une réduction de 5 % sur le prix des livres, réduction sans doute méritée parce que les enseignants, lorsqu’ils achètent des livres, le font souvent en lien avec leur métier, au bénéfice de leurs élèves. Lorsque arriva le moment du renouvellement dudit « pass » en 2015, un message du ministère prolongea la validité du premier « pass », le temps de le « relooker ». Un « staff » de grands « designers » et autres têtes bien pleines ont donc mis un an de « brainstorming » pour nous pondre une carte qui, tout en conservant le même format pratique, n’était plus en plastique, mais en papier plastifié et dépliant pour contenir une photo non plus collée mais agrafée, et deux tampons successifs, permettant de prolonger la validité du « pass » jusqu’en 2021, soit deux fois trois ans. Quelle belle économie ! Voici la numérisation de mes deux derniers « pass ».

Pass éducation, version 2016 (volets intérieurs) & version 2012 ; Libre Pass Cinémathèque
© Lionel Labosse

Malgré ce délai pour refaire en moins bien une simple carte qu’un graphiste stagiaire aurait torchée en une heure, toutes ces têtes pensantes n’en ont pas profité pour rectifier l’anglicisme ridicule du nom de la carte adopté en 2009 : « pass éducation », au lieu de « passe éducation », ou bien alors, si l’on veut assumer l’anglicisme : « pass education » sans accent, avec prononciation à l’anglaise en bon language ; encore mieux en respectant la syntaxe : « education pass » ! Le très officiel site éduscol a d’ailleurs franchi ce pas dans cet article. Une recherche Internet signale un autre problème, c’est que la préfecture des Bouches du Rhône a enregistré en date du 28 janvier 2013 une association loi 1901, indépendante du ministère de l’Éducation nationale, appelée « Pass éducation+ », dont le site propose des ressources pédagogiques. On ne s’attendrait pas à une telle négligence de la part d’un ministère censé encourager le bon emploi de la langue française (et le bon emploi de la langue anglaise, mais surtout pas le mélange des deux !)
Au contraire, lorsqu’elle a créé un passe multimodal, la région Île de France — laquelle compte sans doute moins d’agrégés & autres énarques au mètre carré — l’a bel et bien intitulé Passe Navigo avec un e, devenu officiellement en 2014 « carte Navigo ». La plupart des correcteurs de presse veillent sur cet e muet si franchouillard comme sur la prunelle de leurs yeux, même s’il arrive que des journaux réputés laissent passer l’angliciste fatale coquille, comme par exemple dans ce titre du Figaro du 31 août 2015 « Désormais, tout le monde paiera son pass Navigo 70 euros par mois ». Est-ce un signe du ministère aux enseignants comme quoi ils doivent dorénavant accepter les graphies « language », « music » ou autre « dance » ? Pourtant le TLF et le CNTRL, les dictionnaires du CNRS, ne présentent aucune entrée « pass », mais « passe », ainsi que le dictionnaire de l’Academy française. On s’amuse de la concomitance de cette émasculation d’un nom masculin, avec la vogue de l’excroissance de suffixes prétendument appelés à féminiser des noms de métiers, qui dans certains cas sont conformes à l’esprit de la langue (une actrice, une vendeuse), parfois constituent des barbarismes, ou introduisent des ambiguïtés fâcheuses (une médecin(e), une cuisinière, une professeure). [1] Et puis au pluriel, faut-il dire « des pass éducation », ou bien « des passes éducation » (prononcé [pasiz]), -es étant la marque du pluriel en anglais pour les noms terminés pas s ? Faut-il souhaiter que d’ici 2022, notre ministère racle les fonds de tiroir pour trouver les fonds nécessaires au financement de l’encre permettant d’imprimer ce « e » superfétatoire et coûteux ? Au lieu de « La professeure présente son pass éducation », nous reviendrions alors à « Professeur, cette femme présente son passe éducation ».
Pour terminer, une recherche Internet a de quoi décourager le francophone en herbe : la Cinémathèque propose sans vergogne un « Libre pass » ; la Métropole de Lyon propose de même un « Libre pass » pour l’usage de son « Périphérique nord » [2] ; le département du Var, proposait en 2015 pour les collèges, un « Pass’temps Libre », j’en pass, et des meilleures. Et ce sont toutes des collectivités ou des institutions publiques et subventionnées… Il est vrai que le ministère de la francophonie qui existait dans le temps a rétréci en un, prenez votre souffle : « Secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères et du Développement international, chargé du Développement et de la Francophonie »… Il est loin le temps où des Alain Decaux, Catherine Tasca, Jacques Toubon, s’auréolaient du titre de « Ministre délégué chargé de la Francophonie », ou de « Ministre de la Culture et de la Francophonie »… Et la ville de Paris nous a inventé un « PassLib’ », néologisme en gloubiboulga franglais qui doit beaucoup parler aux touristes ! Heureusement, Valérie Pécresse propose en 2016 de créer un « City Pass » pour la région Île de France. C’est le seul cas où l’usage de la langue anglaise est, d’une part correct, d’autre part pertinent, s’agissant d’attirer des touristes… enfin une note positive !

 Faites circuler cet article auprès de vos amis enseignants. Make turn !
 Savez-vous que l’Académie française veille au grain : elle vient de faire rebaptiser le village de Busy (25) en Occupé !
 En mai 2018, la ministresse de la culture (sic) Françoise Nyssen signe l’arrêt de mort de la langue française avec la promotion du, je cite, « Pass culture ». Les journalistes continuent à s’en branler.
 En 2020 dans mon lycée, est installé un ENT (espace numérique de travail) dont toute l’interface est en anglais. Il est censé être utilisé par enseignants, élèves et parents, tous parfaitement à l’aise avec la langue de Shakespeare. En fait il s’agit d’un complot : je me rends compte qu’on a le choix entre 5 ou 6 langues et que par « hasard », mon compte a été paramétré en anglais ; un collègue m’explique comment revenir au français. Je m’interroge quand même sur l’opportunité de ces traductions pour l’éducation secondaire en France. Le site de correction des copies en ligne communique également en anglais. Après m’y être connecté en septembre 2020, je reçois le message suivant : « The present message has been sent to you following your connection to the Viatique platform. The link below will allow you to confirm your email address, in case you forget your password. To validate your email address, please click on the following link (or copy and paste it directly into your web browser) : »
 En septembre 2020 également, sur le site de la MGEN, je clique sur un bouton permettant d’adapter la plate-forme si j’ai un handicap. Le message qui s’affiche est… en anglais ! C’est bien connu les handicapés français sont tous à l’aise avec l’anglais. Kafka était-il anglophone ?
 En 2021 lors de la dictature sanitaire, le gouvernement McRond-McKinsey nous impose un « pass sanitaire » en utilisant le franglais dans les textes officiels. Voir cet article.

Lionel Theboss


Voir en ligne : Site de la ministre de l’Éducation nationale


[1Lire à ce sujet la sage mise au point de l’Academy française (en 2014).

[2Comment ? Une trouvaille aussi géniale que « Libre pass » n’a pas été déposée, et on se laisse plagier ?