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Boucs émissaires et populisme.
Vive la République ! Vive la Frinance !
Tribune publiée à l’occasion de l’affaire clearstream
vendredi 30 mars 2007
L’affaire « Sombrecloaque » dont on nous « rabat » les oreilles en ce printemps 2006, est une nouvelle occasion de se rendre compte du fossé qui se creuse entre les préoccupations des citoyens et celles des médias de masse. On nous amuse avec de faux problèmes, on détourne notre colère sur des boucs émissaires, de façon à occuper l’espace qui devrait être consacré à de vraies questions. Y’en a marre !
En ce printemps 2006, les médias de masse nous rebattent les oreilles avec une soi-disant affaire d’État « Sombrecloaque » dont le citoyen lambda n’a pas grand-chose à faire. Quelques observateurs critiques ont fait remarquer que cette affaire est alimentée depuis le début quotidiennement par Le Monde et Le Figaro, organes de presse contrôlés tous deux (en totalité pour Le Figaro ; par la régie publicitaire pour Le Monde) par deux fabricants d’armes dont les liens avec le pouvoir en place et l’UMP sont intimes. Rappelons que trois mois après s’être approprié la Pravda de l’UMP nommée Le Figaro, M. Serge Dassault, a été élu le 26 septembre 2004 sénateur de l’Essonne. Son fils Olivier Dassault, président de Dassault Communication, est quant à lui député U.M.P. de l’Oise. MM. Lagardère et Dassault sont réputés compter parmi la tripotée d’« amis de trente ans » du Président de la République. Dès lors, il importe peu pour le citoyen de savoir lequel, parmi ces Atrides, a décidé de tuer qui. Cette « affaire » est du niveau de la fellation d’un ex-président des États-Unis, ce qui au moins avait le mérite d’être amusant, mais c’est un bien mauvais signe pour la démocratie qu’on se mette à divertir les Français de cette façon. Halte à la berlusconisation de la France ! Ce qui importe est de savoir que ce linge sale ne se lave sur la place publique que pour détourner l’attention du peuple de ce qui se passe dans les rues adjacentes. C’est-à-dire que plutôt que « rebattre » les oreilles, il faudrait dire « rabattre », car le but est bien de nous empêcher d’entendre autre chose.
Les boucs émissaires
L’affaire en question est loin d’être la seule diversion offerte à l’ennui du citoyen, car la grande préoccupation du ministère occulte de la pensée qui dirige notre pays sans aucun dictateur, mais par le seul effet grégaire des directeurs de rédactions, est de nous trouver des boucs émissaires. Chaque une de chaque journal doit être occupée par un faux problème, de façon à reléguer au second plan de vraies questions. Cette pratique est facilitée par la constitution anti-démocratique de groupes de médias (voir la récente captation d’un réseau de la Presse quotidienne régionale du sud de la France par le groupe Le Monde-Hachette). Voici la liste des principaux boucs émissaires : Les immigrés. Les noirs ou Arabes qui commettent le crime de penser de façon non-conformistes. Les prostituées, de préférence au féminin. Les « pédophiles », ou plutôt tout ce qu’on fourre sous ce vocable conjuratoire. Qui tire les marrons de ce feu nourri de diffamations gratuites ? Sarkozy, le Tzar de tous les populismes, mais aussi Ségolène Royal, la Sainte-Nitouche qui touche la gauche sans faire bouger la droite, et tous les démagogues politiques ou médiatiques qui savent quel extraordinaire profit on peut tirer à flatter l’éternel ressort pétainiste du Français moyen.
Ah il faut les voir, ces chevaliers blancs de la politique, se précipiter sous les projecteurs de l’actualité, se faire porter partie civile pour « avoir accès au dossier » et surtout être cités dans la presse (qui appartient à un « ami », souvent ancien pote de l’E.N.A.) comme innocente victime d’une machination, défendant son honneur injustement souillé. On attend bientôt des protestations jalouses de politiciens injustement oubliés sur les fausses listes de fausses allégations de malversations : « S’il vous plaît, M. le juge, vous êtes sûr que mon nom n’a pas été cité dans c’t’affaire ? Vous pouvez pas m’ajouter au crayon de papier ? » Questions : Le Nouvel Observateur s’apprête-t-il à publier le manifeste des 343 salauds qui s’auto-faussement-accuseront de malversations financières par solidarité citoyenne avec leurs amis politiques injustement (mais si profitablement) traînés devant les tribunaux ? L’Assemblée nationale votera-t-elle en urgence une loi pour que les auditions de ces parties civiles plus blanches que neige soient retransmises en direct, histoire d’ajouter « que d’émotion ! » à une vie politique contemporaine qui manque cruellement de fellations, de cocuage et de bâtardise.
Les Africains polygames
Pourtant ces messieurs et quelques dames qui nous députent et sont censés veiller sur nous sont moins sensibles à l’honneur du citoyen anonyme. Le citoyen immigré, par exemple, n’est guère honorable. Rappelons les propos d’Hélène Carrère d’Encausse, ci-devant nommée (par qui donc ?) « présidente du conseil scientifique de l’Observatoire statistique de l’immigration et de l’intégration », qui déclarait : « Pourquoi les enfants africains sont dans la rue et pas à l’école ? Pourquoi leurs parents ne peuvent pas acheter un appartement ? C’est clair, pourquoi : beaucoup de ces Africains, je vous le dis, sont polygames. Dans un appartement, il y a trois ou quatre femmes et 25 enfants. Ils sont tellement bondés que ce ne sont plus des appartements, mais Dieu sait quoi ! On comprend pourquoi ces enfants courent dans les rues. » (Propos tenus en Russie, repris par Libération, 15 nov. 2005). Ces propos non seulement sont risibles, mais ils devraient sinon tomber sous le coup des nombreuses lois de censure existant dans notre soi-disant démocratie, du moins donner lieu à un des incessants concours d’indignation dont nos politiciens sont si gourmands. Or non, rien. Il faut dire que Mme Carrère d’Encausse s’était en même temps exprimée sur cette censure : « Nous avons des lois qui auraient pu être imaginées par Staline. Vous allez en prison si vous dites qu’il y a cinq juifs ou dix noirs à la télévision. Les gens ne peuvent pas exprimer leur opinion sur les groupes ethniques, sur la Seconde Guerre mondiale et sur beaucoup d’autres choses. On vous juge tout de suite pour infraction. » Bizarrement, cela a suffi à arrêter le flot de l’indignation autorisée. Je m’en félicite car je suis comme Mme Carrère d’Encausse, opposé à toutes les lois de censure, mais je m’étonne que cette magnanimité qui a pardonné ses préjugés à cette académicienne en raison de l’hommage que les Africains — ces dégénérés polygames — rendent à la sénilité, ne soit pas étendue à des gens plus jeunes et qui se permettent un discours critique plus dérangeant pour l’oligarchie politico-économico-médiatique.
Or donc, il est permis de diffamer l’ensemble de la communauté d’origine africaine. Ce sont des polygames, et en plus ils sont pauvres. La polygamie n’est honorable que lorsqu’on est riche, comme François Mitterrand, qui pouvait entretenir deux femmes dans plusieurs maisons, et veiller à la sécurité de sa fille cachée avec l’argent de nos impôts, de façon que celle-ci ne « coure dans les rues ». Ou comme Louis XIV, qui baladait en carrosse ses trois femmes, la légitime Marie-Thérèse, Louise de La Vallière, et Mme de Montespan, en attendant que Mme de Maintenon ne ramène le polygame vieillissant au monothéisme et à la monogamie, qui vont si bien ensemble (cf Une princesse à Versailles, d’Anne-Sophie Silvestre). Et puis ces enfants courent dans les rues. D’ailleurs quand ils n’y courent pas, mais quand ils vont à l’école, on les en arrache si leurs parents sont sans papiers, pour les envoyer en Afrique (ou sur d’autres continents), même s’ils sont nés en France et ne parlent que le français, comme certains de nos élèves menacés par la fin du « moratoire Sarkozy » qui suspend ces expulsions jusqu’à la fin de l’année scolaire, le 30 juin 2006. Voir sur ce sujet l’excellent roman Vive la République !, de Marie-Aude Murail (Pocket 2005).
Par contre M. Sarkozy comme ses prédécesseurs en populisme, remettent sur le tapis chaque année une nouvelle « loi sur l’immigration », avant même que les décrets d’application de la précédente ne soient publiés, sans compter, chaque année également, une nouvelle loi pour durcir la sévérité envers les parents qui ne maîtrisent pas leurs enfants, et bien sûr quelque nouveau gadget contre les fameux « violeurs récidivistes » si payants médiatiquement. Croyez-vous que les journaux dirigés par leurs amis énarques les taxent d’incompétence ? Pourtant, faire une loi sur un sujet déjà abordé un an auparavant par la même assemblée, c’est implicitement reconnaître que la précédente loi était bâclée ! Non, il n’y a pas de place pour ce genre de recul critique, l’affaire Sombrecloaque occupe tout le journal télévisé. Ces lois compulsives sont inapplicables et inefficaces, tout le monde le sait. Même la droite attend impatiemment que la gauche accède au pouvoir pour procéder aux nécessaires régularisations massives qui désengorgeront les préfectures, où la situation est intenable et humiliante pour les immigrés (un an et demi d’attente pour obtenir un premier rendez-vous). Mais on claironne que les arrivants devront s’engager à apprendre le français, ou écouter la Marseillaise, ou je ne sais quels gadgets d’ordre vexatoire. En effet, de nombreux Français de souche méprisent l’hymne national et maîtrisent mal le français ; de nombreux Français installés pour plusieurs années à l’étranger n’apprennent pas la langue locale, ne se fréquentent qu’entre eux et inscrivent leurs enfants dans les établissements français. Qu’importe, l’honneur des communautés immigrées ou d’origine africaine notamment, ne compte pas ; M. Sarkozy et ses sbires peuvent cracher dessus à longueur de journée, puis s’étonner que les enfants français d’immigrés cassent tout, avec leurs compatriotes « gaulois », comme lors des émeutes de novembre 2005 (sans compter les lois ridicules sur les côtés positifs de la colonisation, etc.).
Les nazis de banlieue
C’est le Ministre de l’Intérieur qui a répandu la diffamation selon laquelle les 3 garçons Bouna Traoré, Zyed Benna et Muhittin Altun, dont seul le troisième a survécu, encerclés par la police à Clichy-sous-Bois, étaient poursuivis pour vol, alors qu’ils revenaient d’un match de football. Leurs avocats ont démonté le mécanisme du mensonge dans un ouvrage récent : L’affaire Clichy, Morts pour rien (Jean-Pierre Mignard et Emmanuel Tordjman, Stock, 2006), mais croyez-vous que M. Sarkozy ait démenti ce mensonge pourtant passé par sa bouche ? Son honneur à lui lui fait vibrer la glotte, il appelle à la punition contre qui que ce soit qui aurait menti (alors même que tous les médias ont clamé son innocence, ce qui fait que sa plainte est désormais sans objet) mais l’honneur de jeunes banlieusards, on peut le salir, même après leur mort, d’ailleurs ça paye, puisque cela entraîne des émeutes, et que les émeutes profitent politiquement au chef du parti au pouvoir. La preuve, un intellectuel au-dessus de tout soupçon, un intellectuel dit « de gauche », Alain Finkielkraut, déclarait en novembre 2005 dans le journal israélien Haaretz : « Le problème est que la plupart sont noirs ou arabes, avec une identité musulmane. En France, il y a d’autres émigrants en situation difficile. Ils ne participent pas aux émeutes. Il est clair que nous avons affaire à une révolte à caractère ethnico-religieux ». Là encore, cela est faux et risible, mais qui s’indigne ? Mon expérience de prof dans un lycée public de Seine-Saint-Denis m’a prouvé que les Antillais ou Africains chrétiens partageaient le même ressentiment anti-Sarkozy et anti-police, sans compter les nombreux jeunes Maghrébins athées qu’on affuble par commodité de l’étiquette de « musulmans ». Jetez de l’huile sur le feu, avec un peu de chance, les jeunes sur lesquels cet ex-gauchiste vomit ses propos, comme ils sont jeunes et maîtrisent moins la langue de bois que lui, vont répondre à ses injures par des propos de colère empreints d’un léger antisémitisme. Il ne restera plus qu’à en filmer un ou deux en gros plan à la télévision, et lancer les chiens de garde de l’indignation médiatique dessus, et la boucle sera bouclée : « La LICRA estime : « Les nazis de banlieue défient la France » » (sic, Le Figaro, 12 juillet 2004).
Nous voici donc arrivés à notre seconde catégorie de boucs émissaires, sur lesquels d’ailleurs, les premiers se sentent parfois obligés de cracher. Dieudonné en est l’exemple type. Si les propos de Carrère d’Encausse et de Finkielkraut n’ont donné lieu à aucune indignation officielle et aucune demande d’enquête de M. Sarkozy, puisqu’ils ne diffamaient que des noirs ou des Arabes, et qu’après tout Montesquieu l’a bien dit, « Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé, qu’il est presque impossible de les plaindre » (De l’esprit des lois, XV, V) ; en revanche, les accusations qu’il porte contre Dieudonné sont reprises et amplifiées par la clique de l’indignation : « C’est Louis Farrakhan en Amérique qui le premier a dit que les Juifs ont joué un rôle central dans l’esclavagisme. Et le principal porte parole de cette théologie en France aujourd’hui c’est Dieudonné, c’est lui qui est aujourd’hui le vrai patron de l’antisémitisme en France, et non le Front National ». Ah ! que voilà un parfait bouc émissaire ! Comment faire un bouc émissaire médiatique ? Vous prenez un humoriste — un de nos rares humoristes qui hausse l’humour au-delà du pet et du rot — qui présente un sketch ridiculisant un rabbin extrémiste comme on pourrait ridiculiser un Le Pen. Vous lui jetez l’anathème d’antisémitisme. Il nie. Un procès l’innocente. Mais vous lui envoyez chaque jour un ou deux journalistes, et ces journalistes ne lui parlent plus jamais de son travail d’artiste, mais seulement de la prétendue affaire d’antisémitisme. L’humoriste, pour peu que lui aussi maîtrise moins la langue de bois qu’une académicienne, s’énerve au bout de la dixième entrevue sur le même moule, et vous arrivez à lui faire tenir des propos d’agacement contre certains juifs. Vous en faites la première page d’un journal, avec un bon gros titre bien gras, repris par toutes les télévisions, puis vous allez interroger l’auteur des propos de cette explication maladroite à la sortie d’un spectacle, en sueur, pour s’expliquer sur l’explication de ses explications. À ce régime, vous avez de bonnes chances d’obtenir ce que vous cherchez, et c’est d’autant plus pratique que la diabolisation de Dieudonné a pour conséquence ce qu’on cherche à lui imputer comme cause de sa diabolisation, c’est-à-dire qu’à force de le taxer d’antisémitisme, on risque de pousser ses admirateurs dans le même sens, ce qui permettra le moment venu de ranger les noirs et les Antillais, même non-musulmans, dans le même panier. Tout cela à partir d’un simple sketch savamment monté en neige par les professionnels de l’indignation à géométrie variable.
Une loi à géométrie variable
Mais il n’y a pas que Dieudonné, non, il y a aussi les rappeurs, comme le groupe d’Aubervilliers Sniper, que M. Sarkozy, encore lui, avait accusé de tenir des propos « antisémites et racistes » (Cf Libération, 13 novembre 2003, article d’Anthony Pecqueux). Le groupe avait porté plainte pour diffamation, mais bien sûr les médias de masse, qui avaient repris les accusations, se sont bien gardés de questionner notre Grand Diffamateur sur la justification de ses propos. Non, j’y ai regardé de près, les propos de Sniper ne sont pas le moins du monde antisémites ni racistes. Je les trouve par contre passablement sexistes et homophobes, mais cela ne me semble pas relever d’une affaire d’État, du moins n’encouragent-ils pas leurs spectateurs, pas plus que Dieudonné, à la haine raciale ou homophobe. Ils se contentent d’exprimer une opinion, comme une académicienne ou un ex-philosophe soixante-huitard, mais cette opinion n’est pas la même, en plus ils ont l’oreille des jeunes, alors il faut d’urgence répandre sur eux l’accusation terrible et définitive d’antisémitisme. De plus, comme Coluche il y a vingt-cinq ans, Dieudonné a eu la mauvaise idée de toucher à la politique, et il était urgent de le disqualifier sous le prétexte le plus irrémédiable. Disons-le tout net, et halte à la langue de bois : Sniper et Dieudonné sont carrément des sales nazis et ce sont eux plus qu’Hitler les véritables responsables des camps de la mort, et il faut les pendre par les couilles, comme tous leurs coreligionnaires qui traînent dans les rues ou qui sucent les seins flétris par la malnutrition de leurs quatre mères dans des appartements surpeuplés à 25 enfants pour 12 mètres carrés.
Ce qui me désole, c’est que certains antiracistes propres sur eux croient devoir jouer ce mauvais jeu-là et acheter leur droit de passer à la télévision par un crachat sur Sniper ou Dieudonné. Ce faisant, ils contribuent à l’élargissement du fossé qui se creuse entre la jeunesse et l’ectoplasme médiatique. Comme le disent les auteurs de Antisémitisme : l’intolérable chantage (La Découverte, 2003), si tout propos plus ou moins critique sur un juif est antisémite, alors plus rien n’est réellement antisémite. En 2000, l’écrivain gay Renaud Camus avait été victime d’un lynchage médiatique parce qu’il avait fait remarquer que plusieurs chroniqueurs de je ne sais plus quelle émission de France Culture étaient juifs. Aujourd’hui, Alain Finkielkraut, mais que peuvent les intellectuels face à la démagogie de nos Berlusconi à nous ? « Quand une femme est obligée de se défendre, elle n’a pas le droit d’avoir la puissance paternelle, c’est la prostitution qui veut ça. Alors elle a peur d’être déchue et elle cache son môme pour ne pas le voir confié » (Folio, p. 19). Encore une diffamation dont on ne parle pas dans les médias de masse, tout occupés qu’ils sont à cracher sur nos nazis de voisins qui autorisent la prostitution et traitent dignement les filles qui s’y livrent, alors que quand même, l’Arabie Saoudite et l’Iran, eux, condamnent fermement la prostitution. Donc il est bon de se défouler de ses frustrations en lançant la pierre non sur la femme adultère (fût-elle femme de ministre), mais sur les prostituées immigrées. Pas trop sur les gigolos, qui eux restent des hommes, ni sur les maquereaux, du moment qu’ils reversent un pourcentage de leurs profits sur des comptes plus discrets que ceux de Sombrecloaque. D’ailleurs ça tombe bien, tant que la prostitution sera « fermement réprimée » pour immoralité, ses immenses profits seront toujours en espèces, c’est quand même plus discret, et ça évite les affaires de marchés de lycées parisiens ou Urba Graco et compagnie, qui sont un peu diffamantes pour nos amis les politiciens honnêtes.
Séduire l’électeur en crachant sur les prostituées, sur les immigrés, sur la jeunesse banlieusarde ou sur les rappeurs, ce n’est pas du racolage passif, ça ne vaut pas 3750 € d’amende, pas plus que de poser avec son épouse ou son amante pour Paris-Match après avoir occupé la France entière avec ses déboires conjugaux. Citons la réponse de Bertrand Delanoë à M. Sarkozy, qui lui avait fait le reproche d’étaler sa vie privée (encore une diffamation dont il n’a pas cru devoir s’excuser et sur laquelle les médias amis ne lui demandent jamais de comptes) : « Me suis-je affiché dans la presse people avec un compagnon ? Je suis en réalité d’une grande pudeur dès qu’il s’agit de ma vie personnelle. Peut-on en dire autant de Nicolas Sarkozy ? […] Comment interpréter cette étonnante formulation : « dois-je confesser mon hétérosexualité » ? Nicolas Sarkozy, vous passez votre temps non à « confesser », mais à afficher votre hétérosexualité — nul ne peut vous en contester le droit — au long des multiples reportages sur votre vie familiale complaisamment exposée aux médias. » (Bertrand Delanoë, La vie, passionnément, Robert Laffont, 2004). Et quand un quidam lui fait un bras d’honneur sans savoir que c’est lui, parce qu’il roule à une vitesse excessive dans une voiture aux vitres teintées, il fait encore condamner le quidam pour « outrage envers un représentant de l’Etat » (dépêche AFP, 6 mai 2004). Voici au moins de quoi donner envie de lui faire, à lui et à ses clones de gauche ou de droite, un immense bras d’honneur aux futures élections !
Enfin tout cela n’est pas si grave, et quand on leur crache dessus, les prostituées peuvent se défendre : au moins, elles, ne sont pas des ignobles pédophiles, quelle horreur ! On en arrive au bas de l’échelle des boucs émissaires contemporains (maintenant qu’on ne peut plus se faire une bonne réputation morale en crachant sur les homosexuels comme cela se pratiquait encore avant 1981). Le « pédophile » est un grand pourvoyeur d’articles vendeurs. On ne s’embarrasse pas de nuances, là aussi : on englobe sous ce même vocable le criminel assassin d’enfants à la Dutroux, et le professeur ou le curé soupçonné d’avoir caressé la cuisse d’un « enfant », avec toutes les étapes intermédiaires, sans s’interroger jamais sur l’âge de consentement qui est de 15 ans en France alors qu’il était de 13 ans en 1945 et de 12 ans dans plusieurs pays européens. Une loi réactionnaire vient de le faire repasser de 14 à 16 ans au Canada, bien sûr « contre les violeurs d’enfants ». D’un côté d’une frontière européenne à l’autre, un dangereux criminel peut ainsi devenir un innocent citoyen, et le chansonnier gauchiste Patrick Font, dans un autre pays, aurait pu continuer à pourfendre les politiciens tout en ayant des attouchements sexuels avec des adolescents consentants. S’agissant d’un éducateur, donc, le mot « enfant » vaut de la naissance à 17 ans et 364 jours, même au cas où l’« enfant » aurait harcelé ledit éducateur pour coucher avec lui, comme Alcibiade le fit à Socrate chez ces gros enculés de Grecs méprisables qui n’ont rien à voir avec le fondement de notre civilisation, contrairement à la Bible et le Coran homophobes. Jetons donc tout ça en prison et encourageons le bas peuple à s’exciter dessus, et à demander, fidèle à sa tendance pétainiste, toujours plus de peines incompressibles de 30 ans de prison, ou carrément le rétablissement de la peine de mort (par lapidation ?) comme l’inénarrable Pasqua n’a pas honte de le réclamer à chaque affaire médiatisée, ce qui lui permet d’occuper les colonnes des journaux avec autre chose que les casseroles qui lui pendent quelque part (Libération, 12 mai 2006, p. 15). Que le viol soit actuellement plus durement puni que l’assassinat n’empêchera pas la vindicte populaire et populiste. Je vous le dis, futurs violeurs et pédophiles : la prochaine fois que vous violerez quelqu’un, tuez-le après consommation, et coupez-le en morceaux : vous aurez moins de prison (Cf à ce sujet l’Antimanuel d’éducation sexuelle, de Marcela Iacub & Patrice Maniglier, Éditions Bréal, 2005).
Que la France soit déjà le pays d’Europe comptant de très loin le plus de détenus pour agression sexuelle (23 % contre une moyenne de 5 % ! Chiffres tirés de Le sexe et ses juges, Syndicat de la Magistrature, Syllepse 2006, p. 18) ; qu’en plus les détenus pour agressions sexuelles soient exclus des amnisties du 14 juillet, que dans le surpeuplement des prisons ils soient soumis à des sévices bien plus graves que ceux qu’on leur reproche, cela n’émeut personne. Pourtant dans la marge entre ces 23 % de détenus et les 5 % normaux chez nos voisins européens, n’y aurait-il pas de quoi faire de substantielles économies qu’on pourrait investir dans des postes de travailleurs sociaux qui lutteraient plus intelligemment contre la délinquance en s’occupant de ces fameux enfants qui traînent dans les rues où les académiciennes ont peur de mettre les escarpins. Et laisser la police et la justice se consacrer à des dossiers plus importants de malversations financières dans des ventes d’armes. Pardon, je dérape, c’est beaucoup moins important de vendre des armes à Haïti ou au Zimbabwe que de caresser la joue d’un petit garçon, et la justice doit concentrer ses forces sur l’urgence « républicaine » : violeurs, rappeurs, humoristes, prostituées, pédophiles…
Quant aux diffamations dans ce domaine, si vous voulez en connaître l’ampleur, lisez les 300 pages de l’étude remarquable de Marie-Monique Robin, L’école du soupçon, les dérives de la lutte contre la pédophilie (La Découverte, 2006). Rien que dans l’Éducation nationale, suite à la circulaire de Ségolène Royal n° 97-175 du 26 août 1997, Marie-Monique Robin a relevé un nombre incalculable de fausses allégations d’attouchements, ayant donné lieu à quantité de drames familiaux, du divorce au suicide des personnes injustement accusées, en passant par la déstabilisation des enfants des victimes de ces diffamations, ou celle des enfants manipulés pour dénoncer et qui comprennent a posteriori qu’ils sont involontairement responsables d’un drame ou d’un suicide. Ces personnes sont dissuadées de porter plainte, car leurs accusateurs sont des enfants. On est très loin de l’indignation spectaculaire de M. Sarkozy. Mais ceux qui ont organisé cette ignoble « pédofolie » ne se sentiront jamais ni responsables ni coupables, et s’indigneront hautement qu’on les mette en cause, car eux, n’écoutant que leur courage, ont osé dire tout haut ce qui ne se disait pas, que la pédophilie généralisée s’apprêtait à mettre à bas la République, la France et les chances de devenir président d’un certain nombre de requins populistes.
Vous avez donc là, au gré de l’actualité, de quoi remplir allègrement votre journal de vingt heures avec des indignations toutes plus médiatiques les unes que les autres, et sans jamais traiter des questions qui fâchent. Si jamais il vous reste de la place dans vos journaux, éventuellement, vous pourrez rendre compte en page économie des brillants succès du groupe Dassault ou du groupe Lagardère. Vive la République ! Vive la Frinance !
– Un article de Lionel Labosse, 2006.
– Voir sur le site Les mots sont importants un article de Pierre Tévanian présentant de brillantes analyses sur le même thème.
Voir en ligne : La gauche.org / Réchauffer la Banquise
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