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Archéologie du féminisme, à partir de la 3e

Aline-Ali, d’André Léo

Cahiers du pays chauvinois n° 41, 2011 (1869), 188 p., 20 €

samedi 15 septembre 2012

André Léo (1824-1900) est une romancière prolifique aussi importante qu’oubliée de la fin du XIXe siècle. Son pseudonyme est constitué du prénom de ses deux enfants jumeaux. En 1869, elle publie Aline-Ali, qui comme son titre l’indique, est un roman de travestissement. Le genre est bien balisé aujourd’hui, mais il était relativement nouveau à l’époque, surtout quand l’auteure se saisissait du motif pour dénoncer l’état d’esclavage dans lequel le mariage installait les femmes, sans oublier la dénonciation des autres injustices sociales. D’une composition fort réussie [1], l’œuvre associe plusieurs genres : roman de mœurs, roman d’aventures, roman épistolaire, roman utopique, roman historique, roman engagé socialiste. On ne sait par quel bout le prendre. Réaliste et romantique à la fois, ou plutôt roman expérimental et romantique, peut-être souffrit-il de ce mélange des genres, alors que Zola s’apprêtait à entamer sa série des Rougon-Macquart. Il souffrit surtout de l’audace de la thèse qu’il défendait. À l’instar de Charles Fourier, André Léo n’était pas vraiment d’accord avec Pierre-Joseph Proudhon ou Jules Michelet, qui entendaient cantonner les femmes à la maternité. Un mot sur l’édition : le format inhabituel est celui de la collection de « cahiers du pays chauvinois » qui a accueilli cette réédition. Le texte est en deux colonnes, et ce format n’est guère propice à une exploitation scolaire, ce qui est dommage, car réédité dans une collection parascolaire, ce roman pourrait être un best-seller posthume, tant il rejoint des préoccupations actuelles, comme l’expliquent les trois préfacières / éditrices, Cecilia Beach, Caroline Granier & Alice Primi (qui n’y va pas par quatre chemins, et voit en Aline-Ali un « drag-king avant l’heure » (p. 173) !)

Les révélations de Suzanne

Plus heureux que le Père Goriot, M. de Maurignan a deux filles, Aline & Suzanne. Il s’apprête à marier la cadette, qu’il adore, quand un billet de l’aînée Suzanne les appelle. Celle-ci se sent mal, et trouve un prétexte pour congédier son père et se confier à sa sœur au cours d’une longue discussion testamentaire au terme de laquelle elle se suicidera. Son mariage est un fiasco cuisant, et elle veut mettre en garde sa jeune sœur contre les hommes : « le mariage est un antre que voile un rideau de théâtre peint de guirlandes et d’amours, mais derrière lequel est une chute immense » (p. 28) ; « Au rebours des contes de fées, ce n’est pas la bête, spirituelle et bonne, qui se change en un beau prince… Hélas, non ! c’est le beau prince qui se change en bête » (il s’agit de la nuit de noces, p. 29). Elle avait constaté que son mari avait des maîtresses, et s’était réfugiée dans l’éducation de leur enfant ; hélas, son mari lui impose, aux termes de la loi, un précepteur qui la méprise : « Les femmes ont reçu de la loi qui nous régit le droit de faire des enfants, mais non celui d’être mères !… » (p. 32). Elle-même a fini par prendre un amant qui vient de se défiler lâchement quand elle a été enceinte. Pour détromper sa sœur, elle lui apprend que son fiancé, Germain Larrey, vient d’abandonner sa maîtresse pour se fiancer : « Car, lui aussi, sans doute, après avoir séduit et possédé cette femme, l’a abandonnée par respect pour ses devoirs. Il aura joint, lui aussi, l’hypocrisie à l’inconstance, et se sera retiré en lui jetant une leçon pour adieu, drapé dans l’inaltérable supériorité qui leur fait traverser le crime et la fange sans en garder de souillure. » (p. 37). Suzanne établit un parallèle avec l’abolition de l’esclavage, puis ironise : « les femmes n’ont encore pour elles qu’une loi Grammont, qui, pour coups et sévices, les ôte à leur maître, mais sans couper la laisse, dont le bout reste en sa main. » (p. 38). Quand il est question de la gouvernante de la maison Maurignan, Miss Dream : « Comme elle était bonne, et sincèrement attachée qu’elle était près d’Aline depuis dix ans, on ne songeait pas à s’en séparer. » (p. 45), on se demande un moment si l’auteure n’aurait pas oublié un moment qu’elle ne parle que des femmes d’un milieu social élevé. Mais ce roman très pédagogique est loin d’être fini…

Aline éprouve Germain

Après la mort de Suzanne, Aline profite du deuil pour éprouver Germain. Elle le sonde franchement sur son opinion sur les femmes et le mariage, et n’est pas déçue ! Voici un extrait dans lequel on peut puiser une lecture en classe :

« Chère mademoiselle, dit-il, j’étais loin de m’attendre de votre part à de telles… inquiétudes. Quelles sont donc les révélations étranges qui vous les ont inspirées ? Seriez-vous tombée par hasard sur quelque Manuel des droits de la femme ? Ou sur quelque apôtre de ces droits ? Oubliez-vous que vous êtes adorée, et que loin d’obéir vous n’avez qu’à commander ?
— Répondez-moi sérieusement, je vous en supplie, reprit-elle avec souffrance. Tout ceci est bien grave : il s’agit de tout mon avenir, et du vôtre aussi, bien qu’en apparence vos risques soient moindres. Mettez-vous à ma place, monsieur Germain, et demandez-vous si, au moment de remettre à un autre que vous-même votre destinée, votre volonté, votre vie entière, vous n’hésiteriez pas ?
— C’est une question de confiance, répondit-il froidement. Et puis, je ne suis pas une femme, et mon sexe, en effet, s’accommoderait fort mal d’une pareille abdication, mais…
— Me jugez-vous de nature esclave ? interrompit-elle avec fierté.
— Assurément non. Cependant… nos natures étant différentes, nos devoirs le sont aussi. La femme n’est point née pour commander. Sa faiblesse lui rend la soumission non seulement nécessaire, mais agréable et douce, et croyez-moi, chère mademoiselle, de vaines questions de préséance ne sont point à leur place entre un homme plein d’amour et sa charmante fiancée.
— Questions de préséance ! répéta doucement la jeune fille. Non, ce n’est pas cela, ce n’est point de vanité qu’il s’agit, bien que dans cette vanité dût se trouver une grande part d’orgueil légitime. Il s’agit d’être ou de ne pas être. Par le fait de son mariage, une femme ne perd-elle pas le droit de disposer à son gré de sa liberté, de sa fortune, de ses enfants, de ses amitiés même ? Quel pouvoir plus despotique et plus complet que celui qui désormais règne sur elle ? Lui est-il permis, comme il doit l’être à toute personne majeure et intelligente, d’appliquer ses idées, de suivre ses croyances, de se réaliser elle-même enfin dans sa vie ? Car, sans le passage nécessaire de la pensée à l’action, la vie n’est autre chose qu’un rêve, rêve aussi incomplet, aussi misérable que l’existence d’un prisonnier derrière ses barreaux.
— En vérité, dit Germain en se levant sous l’aiguillon d’une impatience qu’il ne put contenir plus longtemps, j’ignorais que Mlle de Maurignan eût l’imagination aussi riche ! Ce n’est pas à coup sûr l’existence d’une prisonnière que mon amour lui réserve, et j’espère bien plutôt la voir reine de tous les cercles par son élégance et par son esprit…, espérant toutefois qu’elle n’irait pas jusqu’à se faire le champion de… réclamations fâcheuses et mal portées !…
« Croyez-moi bien, chère… chère Aline, dit-il en se rasseyant près d’elle et en lui prenant la main, ce rêve de l’égalité des sexes est impossible. Il entraînerait dans sa réalisation des conséquences que votre chaste pensée ne soupçonne pas. Aussi ne le voit-on soutenu dans le monde que par des rêveurs à l’esprit faux, ou par quelques viragos fort peu respectables. Un tel système saperait les bases de la famille, où, pour que l’ordre existe, il faut nécessairement un chef. Et cependant l’égalité, sachez-le bien, se rétablit d’elle-même dans le mariage par la distribution des rôles et des aptitudes. Si l’homme, en toute question, a droit au dernier mot, le plus souvent c’est la femme qui le lui souffle. Elle domine par la persuasion, par le sentiment, par son obéissance même, par la force toute puissante de sa faiblesse. Elle fait bien plus que de commander, elle charme, elle séduit. Et si l’homme est pour elle un guide et un protecteur dans la vie, elle est son inspiratrice et son idéal.
— S’il en est ainsi, dit Aline en levant sur son fiancé un regard sincère, un peu surpris, pourquoi nier ce droit que la nature donne à la femme — et ne peut manquer de lui donner en effet — d’intervenir puissamment dans la vie humaine ? Pourquoi instituer un ordre factice à côté de l’ordre réel ?
— Je vous l’ai dit : la nécessité d’un chef pour une direction commune. »
La jeune fille sourit :
« Je vous croyais libéral, monsieur Larrey ?
— Certainement… Je ne suis pas de ces esprits qui réagissent follement contre les aspirations et les besoins de leur époque. L’autonomie naturelle de l’individu exige la liberté dans l’État. Seulement…
— Les femmes ne seraient-elles point des individus ? »
(p. 48-49).

Face à l’esprit obtus de Germain, Aline conclut : « Que deviendrai-je ? Car je ne puis ni me disloquer, ni mentir, afin d’entrer dans ce cadre fait pour la vraie femme, celle de la mesure prescrite et de l’étiage officiel. — Quel Procuste vous êtes ! poursuivit-elle en tournant vers Germain un visage où, sous la malice et l’ironie, rayonnait une flamme plus pure. Et de quel droit, bon Dieu ! Nous classer ainsi, comme une flore nouvellement découverte, dans vos tiroirs ? J’ai apporté ma part de libre souffle en ce monde et j’en veux user à mon gré. Vous oubliez, dans votre fureur d’analyse et de dissection, que la simple nature elle-même échappe a des classifications précises, et vous voulez emprisonner dans une boîte, en dépit de Prométhée, deux mille ans après Térence, un être humain progressif ! » (p. 53).
Cette discussion peut être considérée comme une réplique, plus politique et féministe, à la célèbre scène V de l’acte II d’On ne badine pas avec l’amour, d’Alfred de Musset, scène où Perdican tente de démontrer à Camille que l’amour vaut tout de même mieux que le couvent.

Ali, le jeune homme fragile

Le mariage étant dénoncé, on retrouve randonnant en Suisse un frêle jeune homme, Ali, et son père qui n’a plus que lui comme famille. Ils se lient à un groupe de promeneurs, parmi lesquels Paul et Léon. Léon moque gentiment Ali, « en des termes qui eussent indigné tout autre imberbe et l’eussent porté à rejeter, même au péril de sa vie, une telle humiliation. » (p. 68). Mais Ali n’a d’yeux que pour Paul, et ils deviennent amis « À la vie, à la mort ! » (p. 70). Cette amitié commence par des leçons de morale, et Ali expose son puritanisme à Paul : « Car en ce temps où tout le monde, plus ou moins, parle d’égalité, qu’est-ce que ce droit de l’homme aux amours faciles ? » (p. 71). Le père d’Ali meurt brusquement, et confie par une demande muette son fils à Paul, qui s’exclame : « Ali, nous sommes frères ! » (p. 75). C’est une relation égalitaire de ce type qu’espère effectivement Aline-Ali. Après une courte séparation, Ali retourne auprès de Paul à Florence, et le retrouve amouraché d’une actrice-courtisane, Rosina. Il commence par s’opposer à Léon, qui en tant que directeur de journal, refuse un article de réflexion à une jeune femme, à cause de ses préjugés sur les « bas-bleu[s] » (p. 77). Ali refile le même article en changeant le titre, et l’article est accepté avec éloges ! Il sert de prête-nom à cette Metella, qu’on retrouvera plus tard dans le roman. Les retrouvailles avec Paul sont tendres, celui-ci a autant besoin d’amitié que d’amour : « Tu viens compléter l’harmonie » Les corps sont on ne peut plus proches, en des scènes récurrentes de ce style : « s’asseyant près de lui, l’entourant d’un de ses bras et le regardant avec tendresse, il continua d’épancher la joie qu’il éprouvait de revoir son jeune ami. » (p. 79). Ali exprime avec verve son puritanisme lors d’une soirée arrosée entre jeunes gens de bonne famille. L’un d’eux porte un toast : « pas de joug, pas d’hypocrisie ! et vive l’amour libre à côté de l’amour légal ! » Ali rétorque : « — Pourquoi ne pas porter un toast à l’adultère ? » (p. 86). Puis il se fait le champion des femmes, dans ce 2e extrait que je vous propose pour une lecture en classe :

« Oui, la femme est la joie de l’homme, son nectar, son ambroisie. Les Grecs, nos maîtres en tout, n’estimaient point un jeune homme qui n’avait pas passé par les mains des courtisanes ; entendez-vous cela, monsieur de Maurion ? Les femmes achèvent l’homme après l’avoir fait. Socrate fut l’ami d’Aspasie. Et c’est de cette femme célèbre, aussi bien que des Laïs et des Phryné, qu’Athènes reçut le don qui l’a rendue par le monde un éternel flambeau de goût, d’atticisme, d’art, de vie supérieure, tandis que Sparte, d’où la courtisane était proscrite, nourrissait un peuple dur, sans grâce, haïssable et malheureux. Cessez donc, ô triste jeune homme ! de sacrifier à l’absurde, et portez avec nous un toast à Vénus.
— Ainsi, répondit Ali, à vos yeux la courtisane remplit une fonction utile dans l’ordre social ?
— Incontestablement.
— Pourquoi feignez-vous alors de les mépriser, et honorez-vous faussement les femmes honnêtes ?
— Question d’enfant ! Ne faut-il pas à celles-ci quelques compensations ? Quand cette pauvre vertu veut bien se contenter de couronnes, il serait trop cruel de les lui refuser ?
— Supprimer partout la chasteté, si elle est une erreur, serait plus juste et plus simple, dit Ali.
— Pas du tout ! s’écria l’un des hommes mariés qui se trouvaient là. Pas du tout ! Il nous faut chez nos femmes de la vertu. Elles sont les prêtresses du devoir, et les courtisanes celles du plaisir.
— Dans le temple de l’athéisme moral, dit avec mépris le jeune de Maurion. L’arrangement à coup sûr est admirable, puisqu’il vous fait recueillir à la fois les jouissances du vice et les avantages de la vertu ; mais il a un grand défaut.
— Lequel ? demanda-t-on.
— De n’être qu’un joujou de fantaisie, un château de cartes, bâti sur une pointe d’aiguille, et qui va crouler le jour où les femmes s’apercevront que votre intérêt n’est pas le leur.
— Bah ! Les femmes sont aveugles, s’écria-t-on en riant.
— Oui, jusqu’ici. Mais le jour n’est pas loin où va tomber la taie qui couvre leurs yeux. La foi aux vieux dogmes, vous le savez bien, se meurt, et si les habitudes d’illogisme qu’elle a imprimées à leur esprit durent encore, elles ne sauraient durer bien longtemps. Eh quoi ! Vous êtes viveurs, égoïstes, débauchés, et, contre toute loi de nature, vous prétendez procréer des anges épris d’abnégation, de dévouement et de duperie ? C’est insensé. Vos filles vous ressemblent. Ne voyez-vous pas que chez elles aussi bien que chez vous la boîte crânienne s’aplatit, s’épate ? Calculatrices contre calculateurs, égoïstes contre égoïstes, elles répondront demain à vos ingénieux systèmes d’inégale répartition des devoirs que la plaisanterie a trop duré, et que les contes bleus ont fait leur temps. Alors il faudra choisir, quoi que vous fassiez, entre la courtisane et la femme honnête, entre l’ordre véritable dans la justice, avec la pudeur et la licence universelle et sans frein. »
(p. 86-87). Et un peu plus loin dans la discussion : « La liberté grecque est une des outres enflées de l’histoire. Couronné de fleurs, l’éloquence aux lèvres, mais un pied posé sur la poitrine de l’esclave, elle tient la clé du gynécée dans sa main. Or, partout où la femme n’est pas libre, l’amour ne peut être que licencieux. » (p. 88) ; puis « Car, il faut le reconnaître, le christianisme n’a rien détrôné, et Mars et Vénus s’entendent comme au temps du vieil Homère. Union pleine d’affinités de la violence et de la débauche. Dans un ordre social basé sur la guerre, la courtisane répond au soldat. » (p. 90 ; la critique du christianisme sera développée p. 136).

Suite à cette joute oratoire, Ali se fait des ennemis parmi les hommes, il va même jusqu’à donner un coup de dague à l’un d’entre eux, et des amies chez les femmes, pour avoir défendu leur vertu, qu’elles veulent toutes lui sacrifier ! C’est notamment Rosina, l’amante de Paul, qui s’entiche de lui et le veut tout le temps en « tiers intime » (p. 91) ; ce pourrait être un trouple à un détail près ! Paul est en veine de confidence : « Sais-tu quel étrange rêve je faisais tout à l’heure, en marchant, l’esprit troublé des chagrins que me cause cette fantasque et chère créature ? Cherchant en moi-même le type de l’amour vrai, de l’amour heureux, je le composais de cette entente secrète et de cet accord facile, de cette confiance calme, sans limites, sans doutes, de cette tendresse intime, à la fois vive et profonde… enfin de tous les traits de notre amitié. Il y manquait une chose, la passion, c’est-à-dire la femme. Mais c’était en vain que je m’efforçais d’incarner ce rêve en une figure féminine, en vain que j’évoquais les traits de Rosina ; tout cela me fuyait : ta figure seule se présentait à ma vue obstinément. Est-ce étrange ? » (p. 95). On aura rarement touché d’aussi près la naissance d’une passion homosexuelle, mais jusqu’à la fin, ressassant ce même dilemme, Paul ne franchira jamais le Rubicon !
C’est maintenant le psychodrame Rosina, qui entend forcer Ali à l’aimer, en abandonnant Paul (nous, on aurait gardé les deux !). Elle défend son honneur de courtisane : « Tu as été élevé par des femmes, cela se voit, par des femmes honnêtes, et celles-là sont implacables pour nous. Et pourtant, réfléchis, sont-elles bien différentes ? Va, nos amants sont les mêmes. La plupart sont adultères au lieu d’être courtisanes ; d’autres sont plus souillées par le mariage que ne l’est une femme libre par ses amours. » (p. 97). À son corps défendant, Rosina fait une déclaration quasi-lesbienne : « Accepte-moi seulement pour ta sœur la plus chérie. Parle-moi, enseigne-moi, fais de moi ce que tu voudras qui te plaise. Repétris-moi une âme à ton image ; sois mon Dieu. » (p. 98). Finalement, Rosina échoue à brouiller les deux amis, et les voilà repartis dans les montagnes suisses, pour contempler la débâcle.

Le couple d’amis Ali / Paul

Ali ne perd pas son goût pour la controverse. Il prend la défense des femmes, dans ce troisième extrait que je vous recommande :

« Quand j’étais enfant, dit-il enfin, j’entendais souvent parler des défauts et des vices du peuple, et ce mot représentait pour moi un être particulier, d’essence abjecte et brutale, qu’il m’eût paru alors impossible d’aimer. Plus tard seulement je compris que le nom de peuple désigne non une espèce, ni même une race, mais une condition : celle de l’homme soumis aux influences particulières du travail manuel, de la misère et de l’ignorance. Il devrait donc, ce nom, arrêter sur les lèvres de qui le prononce tout blâme, et saisir toute conscience du remords d’une flagrante iniquité. Cela n’empêche pas la plupart des hommes d’en faire un terme de mépris, et les vices même attachés à cette condition leur servent d’arguments pour l’éterniser ! Car on réfléchit peu en ce monde, Paul ; on agit de même vis-à-vis des femmes. Soumises à une éducation différente, à des préjugés différents, à une extrême différence de sort, on leur reproche, comme inhérents à leur nature, les défauts qui résultent de ces causes, et, pour comble d’inconséquence, tout en les accusant d’une infériorité qu’on s’attache à entretenir, on leur demande une vertu supérieure à celle des hommes.
— Tu es un grand avocat des femmes, dit Paul en souriant. Et tes arguments sont bons, je l’avoue ; mais on voit que nulle fâcheuse expérience n’a ébranlé tes jeunes convictions.
— J’ai aussi mon expérience, murmura le jeune homme, et plus intime… car je les ai connues… en frère. L’amour, qui devrait être l’expression la plus haute de la vie morale, n’est jusqu’ici que le terrain où l’homme et la femme forcément se rencontrent, mais en adversaires. Ce n’est point une union, mais une bataille où il s’agit d’être le plus fort, et où le plus fort est toujours celui qui aime le moins. Or il est difficile de juger équitablement ses adversaires. Et puis nous avons le défaut de généraliser à propos de tout incident personnel. Rosina n’est point le modèle sur lequel tu peux juger toutes les femmes.
— Que sont-elles donc à tes yeux ? demanda Paul.
— Des êtres humains, tout simplement, doués des mêmes facultés et des mêmes passions… que nous ; très semblables à l’homme et peu différentes, si ce n’est par ces différences artificielles que créent à l’envi leur éducation, leur condition sociale, la volonté des hommes et les fantaisies de l’opinion.
— Peut-être dis-tu vrai, répondit Paul en soupirant ; mais je souffre encore trop pour être juste ; et, s’il m’arrive de penser aux femmes, c’est pour me croire certain de ne plus aimer. Je me sens atteint, vois-tu, d’une incurable défiance, et l’amour, qui me semblait autrefois le vrai soleil de ce monde, me parait maintenant bien inférieur à l’amitié. Quelle femme pourrait me donner les joies de cette entente si vraie, si profonde, que je goûte avec toi ? »
(p. 109).

Les deux amis, officiellement garçons, sont comme un couple, avec quelque clin d’œil involontaire : « Maintenant, unis pour la seconde fois dans l’épreuve, de nouveau le seul appui l’un de l’autre, et leur seul objet de vive affection, ils se pénétraient profondément. » (p. 109) ; « Jamais, en effet, Paolo n’avait éprouvé un sentiment si pur tout ensemble et si profond, il se sentait attiré vers ce jeune et beau compagnon avec une ardeur dont la violence l’étonnait parfois lui-même. » (p. 110). Il faudra une avalanche et la peur de mourir pour que l’on passe non pas le Rubicon, mais une barrière : « Toutes ces paroles, entrecoupées de soupirs, d’étreintes, de sourires divins, de gestes doux ou puissants, et ces longs regards qui brillaient au travers des larmes, plongeaient Paolo dans un trouble où sa raison flottait éperdue, hésitante, rejetant d’étranges idées qui passaient. Il contemplait, fasciné, ces yeux magnifiques, ces joues pâles ; l’haleine brûlante de ces lèvres vives l’enivrait comme le souffle d’une pythie ; le battement précipité de ce cœur sur le sien le faisait défaillir… et tout en murmurant : « Quel délire ! ô mon frère adoré ! ô mon cher enfant ! », il se sentait lui-même brûlé d’une fièvre qui l’hallucinait ; et, pressant Ali dans ses bras, en lui répondant : « Je t’aime !… », il couvrait de baisers brûlants son front pâle et ses doux cheveux épars. » (p. 115). Bizarrement, l’auteur apparente alors cet amour non plus à l’amour fraternel, mais à « l’amour maternel » (p. 118) ! Il semble qu’il y ait pour André Léo quelque chose d’impensable dans ce qui est sorti de son imagination ! C’est alors, au gré d’une entorse, la révélation du travestissement d’Ali/ne. Paul ne se sent plus de joie, mais là encore, on sent le soulagement de l’auteure, qui rassure son lecteur sur l’orthodoxie des sentiments de ses personnages : « À présent, même encore, l’être qu’il aimait avant tout, c’était bien assurément ce frère, cet ami, dont il avait éprouvé la noblesse, le dévouement, les qualités charmantes et sublimes ; seulement, ce qui le rendait heureux jusqu’au délire, c’était de pouvoir la chérir, l’idolâtrer, dans toute la plénitude des forces humaines, de faire de cet amour le seul but, la raison d’être de son existence, de se perdre et de s’absorber en lui tout entier !… » (p. 123). Mais Paul ne peut s’empêcher de modifier son comportement, de tomber dans « cette abjecte phraséologie, instrument du secret dédain de l’homme pour la femme » (p. 125) ; Aline ne peut s’y faire : « J’ai ressenti la honte et le dégoût de ces faux respects dont l’homme nous accable et nous joue. J’ai vu que tant d’honneurs n’étaient que des ruses pour nous soumettre ; qu’on ne nous mettait à part que pour nous limiter mieux, et toute ma fierté est devenue de la haine contre ces choses. L’estime réciproque de deux êtres qui se connaissent bien… Qu’est-il de plus haut ? » (p. 144). Paul ose enfin parler d’amour sans avalanche, mais il regrette peut-être de n’avoir pas osé plus tôt ! « Je t’aime d’amour… tu le sais… Ton regard fier et doux arrêtait les paroles sur mes lèvres, mais tu le sais… » (p. 133).

L’utopie sociale

Foin du happy end, André Léo se veut écrivaine socialiste, et propose à Paul, plutôt qu’une idylle tant retardée, d’assister Aline dans sa tentative de réformer les mœurs quasi-féodale de la riche propriété dont elle a hérité. Cela n’empêche pas Aline de remuer la moissonneuse-batteuse dans le sillon : « Crois-tu, mon Paolo, qu’il puisse exister un bonheur plus vif que celui que nous goûtions dans notre chalet, au coin de l’âtre, quand après de longs épanchements tu m’attirais dans tes bras, ou quand ta tête chérie se reposait sur mon sein ? Alors je penchais aussi ma tête sur la tienne ; j’appuyais mes lèvres sur ton front ; nos cheveux se mêlaient ; mon sein, en se soulevant sous ton poids, se sentait avec délices pressé par toi ; je recevais chaque battement de ton cœur. Tu étais ainsi plus que mon frère, tu étais bien mon amant ; tu étais plus encore peut-être, et m’inspirant de toutes les tendresses de ce monde pour les verser sur toi, je t’aimais encore de la plus haute et la plus profonde, l’amour maternel. » (p. 137). Mais c’est bien sûr ! Paul essaie bien de répliquer, mais n’arrive pas à la cheville de Perdican dans On ne badine pas avec l’amour de Musset : « Je veux te dire seulement que cela est impie, insensé, de vouloir séparer la rose de son parfum, et tes lèvres de ton âme. D’où viennent ton charme et ta beauté, si ce n’est de toi, de toi tout entière ? » (p. 138). André Léo trouve des accents pré-butlériens dans la façon avec laquelle elle pointe le rôle de la parure dans la séduction féminine : « Sans doute la femme a non seulement une autre beauté, mais plus de beauté que l’homme. Toutefois, l’opinion générale, très affirmative sur ce point, ne tient pas compte en ceci de ce que l’art ajoute à la nature. Idolâtre de la beauté féminine, l’homme lui a cédé tout ce qui la peut rehausser : grâce des formes, éclat et variété des parures ; et l’on peut remarquer dans le travestissement en femme d’un adolescent l’effet de tels avantages. » (p. 141). La révélation du sexe d’Ali/ne a creusé entre les deux amis une frontière infranchissable, informée par les rôles sociaux assignés aux deux sexes : « — Pardonne-moi, dit-il, j’ai besoin de t’adorer. — Et moi, reprit-elle vivement, j’ai besoin de ne pas être adorée !… » (p. 144). Au moins Paul et Aline s’entendent-ils provisoirement dans la réalisation de cette utopie sociale sinon socialiste. Aline fait venir Metella pour créer un jardin-école dans la lignée du pédagogue allemand Friedrich Fröbel (p. 146). Face aux premiers échecs de ses bons sentiments, Paul rassure Aline : « Tu oublies qu’on ne peut demander la fierté ni la justice à l’être nourri dans l’esclavage. Tout despotisme a toujours eu pour premiers soutiens ses propres victimes. » (p. 147 ; il s’agissait en fait des amours malheureuses de Miss Dream avec M. Rongeat, un intendant cupide qui s’amusait à engrosser la veuve et l’orpheline, et la pauvre gouvernante soutenait son Strauss-Kahn envers et contre tout. Voici un dernier extrait, une scène sociale dans laquelle Aline tente naïvement de régler le problème de l’inégalité des salaires :

« Les moissonneuses s’arrêtant, souriantes, essuyèrent leurs fronts. Une seule, malgré la présence de la jeune maîtresse, continua de brandir d’un bras fiévreux sa faucille et de couper son sillon ; des seins gonflés soulevaient sa rude chemise, et à l’autre bout du champ, sous la haie, retentissaient des cris d’enfant.
« Eh quoi ! dit Mlle de Maurignan, une nourrice ! Ici !
— Dame, répondit l’une des femmes, elle n’a pas de mari qui lui gagne son pain ni le lait du petit gars. C’en est une qui s’est laissée tromper par un homme. »
Aline versa le premier verre et le porta elle-même à la pauvre mère, qui le but d’un trait, puis revint aux autres moissonneuses ; mais la première à qui elle s’adressa, montrant les travailleurs mâles, dit timidement :
« Après eux, mam’zelle, si vous voulez.
— Après eux ! Pourquoi ? dit la jeune fille, commencez. »
La femme obéit, et tout en remplissant les verres Aline s’informa du salaire que chacune gagnait ainsi à travailler de trois heures du matin jusqu’à la nuit, sauf l’heure de la méridienne.
« C’est vingt-cinq sous, mam’zelle », dirent-elles simplement, comprenant si peu le mouvement de la jeune maîtresse à cette réponse qu’elles ajoutèrent :
« C’est de la dure ouvrage, voyez-vous.
— Et combien gagnent les hommes ? dit Aline, qui ne s’en était point encore inquiétée.
— Eux, c’est trois francs.
— Avancent-ils beaucoup plus que vous ?
— Dame ! Faut ben que nous arrivions en même temps qu’eux au bout du sillon, et ça nous donne rudement de peine ; mais ensuite c’est eux qui chargent les gerbes sur les charrettes et qui engrangent le soir. C’est pas que nous nous reposions pendant ce temps-là, dit une autre, qui semblait n’avoir point la langue épaisse ; il nous faut alors courir vitement chez nous, emportant seulement un morceau de pain pour notre souper, afin de faire la soupe aux enfants, les faire manger, les coucher, laver quelquefois leurs vêtements, la vaisselle, mettre tout en ordre. Il y a longtemps que l’homme ronfle quand nous nous mettons au lit, et c’est pour nous lever encore une demi-heure plus tôt que lui, à l’aubette.
— Assurément, dit Mlle de Maurignan, la fatigue est grande ; le travail me semble pareil, vous supportez également la chaleur du jour : votre salaire doit, par conséquent, être le même. »
Elle passa, laissant les femmes ébahies. « As-tu compris, toi, ce qu’elle a dit ?
— Dame, elle a dit que nous devions gagner autant que les hommes.
— C’est bon à dire, ça ; mais crois-tu point qu’elle va nous donner plus cher qu’elle n’est obligée ? Ça n’est pas comme ça que les choses se font.
— Vous vous trompez, dit en riant Paul, resté par derrière, tout ce que dit Mlle de Maurignan, elle le fait. »
Et il rejoignit Aline, qu’il voyait engagée dans un colloque avec un des moissonneurs. C’était un homme de haute taille, de ce type gaulois, énergique et fier, qui s’est conservé surtout dans le centre de la France. Les premiers mots qu’il avait adressés à la jeune châtelaine, quand elle lui avait tendu le verre, plein jusqu’aux bords du rouge liquide, avaient été ceux-ci :
« Pas vrai, mam’zelle, quand le maître est une femme, c’est par les femmes qu’on doit commencer ?
— Peu importe que l’on commence par les femmes ou par les hommes, dit la jeune fille ; quand le travail des uns vaut celui des autres, il faut que la récompense soit égale.
— Mam’zelle veut rire : le travail d’une femme ne vaut pas celui d’un homme.
— Pas toujours sans doute, mais ici… Probablement c’est au prix de plus de fatigue, mais elles font leur sillon comme vous. Aussi je veux leur donner un prix égal, car il serait injuste que, faisant le même travail, elles fussent payées près de deux fois moins.
— S… ! s’écria-t-il, si c’était vrai, je f… ma faucille sur mon épaule, et je m’en irais chez nous.
— Le bien des autres vous ferait-il mal ? demanda Paul, qui, voyant le ton colère et arrogant de cet homme, intervint.
— Ça serait trop fort, que les femmes seraient payées comme nous », répéta le paysan. […]
— Comme ça, dit l’homme en se croisant les bras, je vas me laisser nourrir par ma femme, alors ?
— Vous ne seriez pas le premier, objecta Paul en souriant. Mais, dites-moi, toutes ces femmes qui sont là sont-elles mariées ?
— Non ; il y en a une veuve, une autre vieille fille, et une autre qui n’est ni veuve ni fille, et qui a un petiot à nourrir, pas moins.
— Vous voyez que celles-là ne peuvent compter sur l’homme pour en recevoir aucun bien, et puis…
— Tout ça, monsieur, ça ne me regarde pas. Je dis que les femmes sont les femmes, et les hommes les hommes, et que, si elles étaient payées comme nous, ça serait la fin du monde, quoi… et comme ça, ça ne se peut pas. »
Il n’y eut pas moyen d’en tirer davantage ; évidemment, il y allait pour lui de l’honneur. Ses compagnons, prêchés par lui, n’eurent pas de peine à partager le même sentiment, et le soir, le régisseur, grave, mais triomphant en dessous, vint dire à Mlle de Maurignan que tous les hommes faisaient menace de se retirer si l’on ne conservait pas entre leur salaire et celui des femmes la même différence.
« Je porterai leur journée à quatre francs, dit la jeune maîtresse, à cause de la peine qu’ils ont d’engranger ; mais la journée des femmes sera de trois francs cinquante centimes.
— Je doute qu’une différence aussi faible satisfasse l’amour-propre des travailleurs mâles, dit M. Rongeat, et que mademoiselle me permette de lui observer qu’il ne nous resterait, en ce cas, que des moissonneuses. Elles se présenteront en grand nombre, cela est certain ; mais, n’étant plus forcées au travail par l’exemple des hommes, elles travailleront peu et mal, et le prix de façon sera doublé. En outre, si les hommes refusent leurs services, nous manquerons bientôt de laboureurs. Il ne faut pas croire, ajouta-t-il d’un ton fin, qu’il soit aisé de changer le train ordinaire des choses. A mesure qu’on pénètre les difficultés… »
(p. 152-154).

Paul fait de notables efforts pour épouser, à défaut d’Aline, ses idées sur le mariage : « Le mariage actuel est un joug aussi humiliant qu’injuste. Il est en contradiction flagrante avec le droit nouveau, avec les idées nouvelles, et, bien que la force même des choses en adoucisse la sauvage brutalité, cependant, nul être humain soucieux de sa dignité ne peut accepter ni prononcer sans honte le serment qu’il exige. » Aline renchérit : « Le vrai contrat, le seul, est celui de deux consciences qui s’entendent. » (p. 154). Elle s’en prend au mariage civil : « Qu’est-ce pourtant que le mariage civil, sinon l’esprit et la formule du mariage religieux, transportés de la bouche du prêtre dans celle de l’officier public ? Ne voient-ils pas, ou ne veulent-ils pas voir, que l’autorité du prêtre, celle du roi et celle du mâle, — comme disent si noblement les éloquents de ce siècle, — ont une seule et même origine, et dérivent toutes également de cette invention sublime, qui se perd dans la nuit des théocraties : la délégation faite par le ciel à certains élus d’ici-bas, institués ses représentants nécessaires. » (p. 155). Bigre ! En voilà une qui eût préféré un contrat au « mariage gay » ! Pour finir sur une note révolutionnaire, Aline rembarre un prêtre venu lui proposer une institutrice : « — Vous confondez, monsieur, reprit Mlle de Maurignan, la tolérance avec l’éclectisme. Comment pourrais-je accepter une institutrice de votre main ? Vous prêchez la résignation, j’estime la lutte nécessaire ; vous imposez l’obéissance, je recommande la révolte contre l’oppression ; vous enseignez l’humilité, moi — surtout à ces femmes que vous avez tant méprisées et avilies, — j’enseigne l’orgueil ! » […] Oui, c’est par l’orgueil, par le sentiment de la dignité personnelle, que je cherche à relever ces âmes écrasées par le dédain de l’Église, d’où procèdent plus qu’on ne pense les injustices actuelles de la loi et de l’opinion. […] « La sujétion de la femme est la racine la plus profonde et la plus vivace du despotisme dans la société […]. J’enseigne donc à nos femmes, à nos jeunes filles, le respect d’elles-mêmes, leurs droits, et cette belle énergie vraiment divine, — source de toutes les grandes protestations et de toutes les vraies conquêtes, — qui d’un être attaqué dans sa liberté, dans son honneur, fait un lion ou un martyr. » (p. 167).

Sur ce, je vous laisse lire la fin, en espérant que ce livre soit bientôt disponible dans une version de poche bon marché pour devenir un classique.

 L’opposition entre le puritanisme d’Aline-Ali et l’esprit jouisseur des amis de Paul fait songer aux pièces de jeunesse de Musset, notamment Les Caprices de Marianne ou On ne badine pas avec l’amour, parfois considérées comme des pièces féministes, et pourtant à mille lieues du féminisme d’André Léo !
 L’ambiguïté de la relation entre une femme travestie en homme et son compagnon qui l’aime sans comprendre pourquoi se retrouve dans le chef-d’œuvre de João Guimarães Rosa, Diadorim (oubliez ce que je viens de vous dire, tout l’intérêt du roman est de ne le savoir qu’à la fin !).
 En même temps qu’André Léo écrivait ce roman, Herculine Barbin finissait tristement sa vie, mais évidemment l’auteure ne pouvait pas connaître ce cas, dont les pièces ont été publiées bien avant. Parmi les précurseurs, est-il licite de mentionner les Mémoires de l’abbé de Choisy habillé en femme, même si les choses n’y sont, et pour cause, pas vues sous l’angle politique ?

 À propos de l’interdiction du travestissement de femmes en hommes, lire un article de Christine BARD, « Le « DB58 » aux Archives de la Préfecture de Police », sur le site de la revue CLIO.
 En 2018, Caroline Granier publie À armes égales. Les femmes armées dans les romans policiers contemporains. (Ressouvenances, 2018), 258 p., 25 €.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Association André Léo


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[1Je parlerai peu du style, un tantinet ampoulé dans le genre romantique (« Ah ! Vous pensez ? dit-elle avec une inflexion de voix stridente, méprisante, amère », p. 27), mais globalement d’une grande qualité, comme le montreront les extraits ci-dessous.