Accueil > Classiques > XIXe siècle > Monsieur Vénus, de Rachilde

Altersexuel avant la lettre, pour lycéens et adultes

Monsieur Vénus, de Rachilde

Flammarion, 1884 (1977), 230 p., épuisé

lundi 20 février 2017

Honte à moi, je ne découvre qu’en 2016 Rachilde, alias Marguerite Eymery, ci-devant Madame Alfred Vallette (1860-1953), cette auteure majeure de la littérature française, dont si peu d’ouvrages sont disponibles en librairie (étant morte en 1953, son œuvre n’est malheureusement pas tombée dans le domaine public). Il y a vraiment des éditeurs qui méritent des coups de pied où je pense, surtout vu le nombre si réduit des femmes de lettres dans les siècles passés. Écrit alors qu’elle n’avait que 20 ans et publié en 1884 (à 24 ans), en Belgique pour échapper à la censure en France, Monsieur Vénus, ce livre au titre d’oxymore est un un pavé altersexuel avant la lettre dans la mare des convenances. En effet, son sujet n’est ni le lesbianisme ni l’homosexualité masculine, mais la féminisation d’un homme dans le cadre d’une relation sado-masochiste, sujet sulfureux s’il en est, dont Maurice Barrès dans sa préface fournit un étonnant éloge. Rachilde ente son œuvre sur les études naturalistes de Zola (La Curée, 1871) et de Maupassant (La Maison Tellier, 1881), qui avaient touché du doigt ce genre de perversion sexuelle. Attention, l’édition Flammarion que j’ai utilisée pour les citations présente de légères variantes par rapport aux versions en ligne.

Rachilde, homme de lettres

Si les éditeurs ne publient plus Rachilde, ce n’est pas qu’elle soit oubliée des lecteurs et des chercheurs, au contraire ! Qu’on lise par exemple l’article savant de Martine Reid sur le site de Cairn.info, avec son iconographie remarquable. On y apprend (ainsi que dans l’article de Wikipédia) que Rachilde fut une des femmes à avoir bénéficié de la permission de travestissement, elle qui prétendait détester les féministes (en 1928, elle publie Pourquoi je ne suis pas féministe), ce qui explique peut-être son bannissement par ses éditeurs, alors que ses textes sont adulés par les chercheurs des « gender studies ». Lisons aussi un article anonyme en anglais sur un site consacré à « Oscar Wilde and the French Decadents » avec entre autres des dessins tirés de l’édition illustrée par Leonor Fini (1972).

Préface de Maurice Barrès

Citons d’abord le début de la préface de Maurice Barrès, lui-même très jeune à cette époque. L’édition Flammarion contient le fac-similé d’une lettre de Barrès à Rachilde lui demandant de préfacer une réédition de ce livre.
« Ce livre ci est assez abominable, pourtant je ne puis dire qu’il me choque. Des gens très graves n’en furent pas scandalisés davantage, mais amusés, étonnés, intéressés ; il ont placé Monsieur Vénus dans l’enfer de leur bibliothèque, avec quelques livres du siècle dernier qui effrayent le goût et font songer. Monsieur Vénus décrit l’âme d’une jeune fille très singulière. Je prie qu’on regarde cet ouvrage comme une anatomie. Ceux qui se piquent uniquement des nuances élégantes du bien dire n’ont que faire de feuilleter ici ; mais les livres où ils se plaisent auront peut être disparu depuis longtemps qu’on cherchera encore dans celui ci l’émotion violente que donne toujours à des esprits curieux et réfléchis le spectacle d’une rare perversité. Ce qui est tout à fait délicat dans la perversité de ce livre, c’est qu’il a été écrit par une jeune fille de vingt ans. Le merveilleux chef d’œuvre ! Ce volume estampillé de Belgique, qui d’abord révolta l’opinion, et ne fut lu que par un vilain public et quelques esprits très réfléchis, toute cette frénésie tendre et méchante, et ces formes d’amour qui sentent la mort, sont l’œuvre d’une enfant, de l’enfant la plus douce et la plus retirée ! Voilà qui est d’un charme extrême pour les véritables dandys. Ce vice savant éclatant dans le rêve d’une vierge, c’est un des problèmes les plus mystérieux que je sache, mystérieux comme le crime, le génie ou la folie d’un enfant, et tenant de tous les trois. »

Résumé

Le roman assez court contient seize chapitres. Dans le premier, Mlle de Vénérande, une jeune aristocrate fortunée, se rend en personne chez une fleuriste dans un « taudis mal famé », chez « Marie Silvert, fleuriste, dessinateur ». Or elle y découvre un jeune ouvrier occupé à confectionner des fleurs artificielles : « — Est-ce que je me trompe, monsieur ? interrogea la visiteuse, désagréablement impressionnée ; Marie Silvert, je vous prie. — C’est bien ici, madame, et, pour le moment, Marie Silvert, c’est moi. » Comme un vulgaire gay du XXIe siècle, Raoule kiffe le jeune mâle aguichant : « — Quel âge avez-vous ? interrogea-t-elle sans détacher les yeux de cette peau transparente, plus satinée que les roses de la guirlande. — J’ai vingt-quatre ans, madame […] Une sensualité folle l’étreignit au poignet… Son bras se détendit, elle passa la main sur la poitrine de l’ouvrier, comme elle l’eût passée sur une bête blonde, un monstre dont la réalité ne lui semblait pas prouvée. » Raoule jauge les qualités artistiques nulles de l’ouvrier en contemplant une peinture au sujet révélateur : « D’un coup d’œil rapide, Raoule embrassa un paysage sans air, où rageusement cinq ou six moutons ankylosés paissaient du vert tendre, avec un tel respect des lois de la perspective, que, par voie d’emprunt, deux d’entre eux paraissaient posséder cinq pattes. » On se demande si le mouton à 5 pattes est une allusion à la virilité du jeune homme… Rentrée chez elle, Raoule gamberge et donjuanise : « ce souvenir de mâle frais et rose comme une fille la hantait cruellement » […] « folle admiration pour le bel instrument de plaisir qu’elle désirait. Déjà elle jouissait de cet homme, déjà elle en faisait une proie, déjà peut-être elle l’arrachait à son misérable milieu pour l’idéaliser dans les spasmes d’une possession absolue. » Raoule est indépendante, élevée par sa « tante Élisabeth [qui] n’était pas sans savoir que son neveu, comme elle appelait souvent Raoule quand elle lui voyait prendre des leçons d’escrime ou de peinture […] ». La tante est une vieille dévote compréhensive. Marie, la sœur malade de Jacques, a été prostituée, et voit tout de suite le parti qu’elle peut tirer de cette femme de la haute kiffant son frère, ce qu’elle formule en termes poissards : « il paraît que le poisson a mordu… Ça va filer comme sur des roulettes, N. de D. ! » Raoule mène les choses bon train. Elle offre à son protégé — et à sa sœur — une garçonnière, sans s’illusionner sur son talent : « J’ai un an de plus que vous, je brosse une académie présentable dans l’espace de temps qu’il vous faut pour tortiller une pivoine. Je peux donc me permettre une virulente critique de vos œuvres » Petit à petit, elle présente sa perversion transgenre, en la faisant d’abord passer pour un caprice : « Mais souvenez-vous donc que je suis un garçon, moi, disait-elle, un artiste que ma tante appelle son neveu… et que j’agis pour Jacques Silvert comme un camarade d’enfance… » Raoule est courtisée par le baron de Raittolbe, qu’elle rebute en bonne camaraderie. Elle lui promet d’aller le retrouver pour devenir son amante, mais au dernier moment change d’avis et rejoint Jacques. Elle le trouve vêtu d’« une chemise de femme » que sa sœur lui a passée. Raoule fait avaler à Jacques un « remède verdâtre, au goût de miel », du haschisch bien sûr, mais le mot sera utilisé quelques pages plus loin, le temps que le personnage et le lecteur comprennent. Parmi ces paradis artificiels figurent aussi « les ouvrages inavouables » qui occupent « les battants d’un bahut incrusté d’ivoire qui [les] recélait, entre ses rayons doublés de velours pourpre ». Raittolbe, faute d’être amant, se fait confident, et s’efforce d’être à la hauteur : « — Baron, dit-elle brusquement, je suis amoureux ! De Raittolbe fit un soubresaut, posa son hanap et riposta d’un ton étranglé : — Sapho !… Allons, ajouta-t-il avec un geste ironique, je m’en doutais. Continuez, monsieur de Vénérande, continuez, mon cher ami ! » Le coming out est inédit : « Je suis amoureux d’un homme et non pas d’une femme ! » La discussion libre permet de préciser le calibre altersexuel de l’aventure : « — Un homme de ce calibre peut-il exister ? balbutia le baron abasourdi, entraîné dans une région inconnue où l’inversion semblait être le seul régime admis. — Il existe, mon ami, et ce n’est pas même un hermaphrodite, pas même un impuissant, c’est un beau mâle de vingt et un ans, dont l’âme aux instincts féminins s’est trompée d’enveloppe. » Raoule est désemparée face à ses propres désirs. Quand sa tante lui suggère de s’en remettre à la Vierge, elle répond : « Lui a-t-on jamais demandé la grâce de changer de sexe ? » Introduit dans la garçonnière, le baron éprouve des sentiments troubles, ou plutôt la romancière introduit dans son roman un chassé-croisé d’éléments altersexuels en touts genres : « le baron finissait par ressentir une compassion immense pour cette p… travestie. » Mais il entame aussi une relation avec la sœur, qui le trouve « bel homme ». Raoule précise sa pensée face à son Jacques : « je n’ai pas, comme toi, des mains de fleuriste et […] de nous deux, le plus homme c’est toujours moi » Elle est jalouse de Raittolbe, et prévient Jacques : « Je voudrais t’avoir à moi seule, et tu parles, tu ris, tu écoutes, tu réponds devant les autres avec l’aplomb d’un être ordinaire ! Ne devines-tu pas que ta beauté, presque surhumaine, déprave l’esprit de tous ceux qui t’approchent ? Hier, je voulais t’aimer à ma guise sans t’expliquer mes souffrances ; aujourd’hui, je suis toute hors de moi-même parce qu’un de mes amis s’est assis à côté de toi !… » Jacques se rebelle d’abord : « Raoule, supplia-t-il, ne m’appelle plus femme, cela m’humilie… et tu vois bien que je ne puis être que ton amant… », mais se soumet vite à la lubie de son amant(e) : « Jacques Silvert, lui cédant sa puissance d’homme amoureux, devint sa chose, une sorte d’être inerte qui se laissait aimer parce qu’il aimait lui-même d’une façon impuissante. Car Jacques aimait Raoule avec un vrai cœur de femme. Il l’aimait par reconnaissance, par soumission, par un besoin latent de voluptés inconnues. Il avait cette passion d’elle comme on a la passion du haschisch, et maintenant il la préférait de beaucoup à la confiture verte. Il se faisait une nécessité naturelle des habitudes dégradantes qu’elle lui donnait. […] Il menait, lui, l’existence oisive des orientales murées dans leur sérail, qui ne savent rien en dehors de l’amour et rapportent tout à l’amour. […] Plus il oubliait son sexe, plus elle multipliait autour de lui les occasions de se féminiser, et, pour ne pas trop effrayer le mâle qu’elle désirait étouffer en lui, elle traitait d’abord de plaisanterie, quitte à la lui faire ensuite accepter sérieusement, une idée avilissante. » Elle l’habitue à le couvrir de fleurs blanches, et la chose devient sérieuse : « Ils riaient tous les deux, mais ils s’unissaient de plus en plus dans une pensée commune : la destruction de leur sexe. » Un jour Jacques surprend son amant(e) travestie en jeune homme, et il ne la reconnaît pas : « Raoule !… Est-il possible ? Tu te feras arrêter !… » Raittolbe s’y trompe également, et manque provoquer un duel avec l’impertinent qu’il croise devant chez Raoule, ignorant que c’est elle-même ! Jacques poursuit sa féminisation, et Raoule masculinisée parle de lui au féminin, et Jacques se prend au jeu : « — Tu es divine !… ; fit Raoule. Je ne t’ai jamais vue si jolie ? — C’est que je t’ai fait la surprise complète… Nous souperons !… J’ai ordonné du champagne et j’ai résolu de te paraître agaçante ! » La présence de Marie, qui traite Raoule comme une prostituée, l’importune : « Tous les souvenirs des grandeurs grecques, dont elle entourait son idole moderne, s’écartèrent soudain » […] « Sans vêtement, plus de distances, il n’y a que la différence de beauté corporelle ; alors, quelquefois, c’est la prostituée qui l’emporte. » Suit une allusion mythologique à l’histoire de Sapho et Phaon : « Cependant, la nouvelle Sapho ne pouvait encore faire le saut de Leucade. » [1] Raoule cherche des raisons d’idolâtrer Jacques : « tout dans ses traits respirait plutôt la candeur d’un vierge pensant à la prêtrise. » Quand elle lui propose de faire de lui son mari, Jacques refuse : « — Parce que je vous aime, comme vous m’avez appris à vous aimer… que je veux être lâche, que je veux être vil et que la torture dont vous parlez, c’est ma vie, maintenant. […] je serai encore votre esclave, celui que vous appelez : ma femme ! […] — Oh ! je t’aime, cria-t-elle, dans un voluptueux transport, oui ! je suis folle, je crois même que je viens de te demander une chose contre nature… » En signe de soumission, Jacques se livre à une évocation de ce qu’on appellerait « trampling » : « Il se coucha à ses pieds, qu’il baisa avec une humilité passionnée… puis soupira : — J’ai sommeil — en mettant au-dessus de son front les talons pointus des chaussures de Raoule ».

Séduction homophile

C’est là que le roman aborde un thème encore plus audacieux, la séduction opérée par Jacques féminisé sur Raittolbe. Celui-ci a une histoire avec Marie, mais semble fasciné par Jacques. Il entre par surprise dans sa chambre, et ne peut s’empêcher d’admirer : « un frisson suivi d’une sueur moite lui courut sur toute la peau. Il eut presque peur. — Mille millions de tonnerres, grommela-t-il, si ce n’est pas Éros lui-même […]. » En réveillant cette beauté, il obtient un bel effet : « il se révéla gracieux dans sa stupeur ; ses bras se détendirent, sa taille se cambra, il demeura superbe dans son impudeur de marbre antique. » Raittolbe demande à Jacques de quitter Raoule pour mettre fin à sa folie et au scandale. Mais Jacques le retourne comme un gant en lui faisant remarquer que lui-même s’est entiché de sa sœur : « Est-ce que, par hasard, il dirait vrai, ce garçon de joie ? » (expression intéressante !) Quand Raoule apprend la scène, elle en est jalouse, et cette jalousie comble la réticence du récit : « mes sens me disent trop ce que peuvent éprouver les sens d’un homme, fût-il honnête, en se trouvant face à face avec Jacques Silvert… » On comprend donc indirectement que Raittolbe désire Jacques. Sa jalousie se tourne en une violence sadique : « D’un geste violent, elle arracha les bandes de batiste qu’elle avait roulées autour du corps sacré de son éphèbe, elle mordit ses chairs marbrées, les pressa à pleines mains, les égratigna de ses ongles affilés. Ce fut une défloration complète de ces beautés merveilleuses qui l’avaient, jadis, fait s’extasier dans un bonheur mystique. Jacques se tordait, perdant son sang par de véritables entailles que Raoule ouvrait davantage avec un raffinement de sadique plaisir. » Raoule finit par obtenir l’accord de Jacques, et annonce ainsi leur mariage à Raittolbe : « — Mlle Silvert épouse M. Raoule de Vénérande, cela vous étonne ? » Elle accuse clairement Raittolbe d’être pincé de Jacques, comme si le fait qu’il l’ait touché en était la preuve. En prévision de ce mariage, elle présente Jacques à la société aristocratique : « Des femmes se rapprochèrent de Jacques, la duchesse d’Armonville, contemplant les traits merveilleux de ce roux que la blancheur sidérale de l’illumination rendait blond comme une Vénus du Titien » Les hommes ressentent face à cet homme si féminin, « une commotion bizarre », « un frisson inexplicable ». Raoule annonce ce mariage à sa tante : « Mésalliez-vous, ma nièce. Il me reste encore assez de larmes pour effacer votre crime… J’entrerai au couvent le lendemain de votre mariage !… » Marie pour se venger, n’a qu’un mot : « votre future belle-sœur vient vous faire part de son entrée au b… ! » Le mariage est un beau scandale. Raoule s’est coupé les cheveux : « Cette pauvre Raoule, à force de se masculiniser, finirait par compromettre son mari ! » remarque Mme d’Armonville. Au moment de quitter la maison pour un couvent, la tante maudit sa nièce : « souvenez-vous bien, fille de Satan ! que les désirs contre nature ne sont jamais assouvis. » Cela amplifie le scandale, mais Raoule entend l’affronter : « je ne veux pas fuir l’impitoyable société dont je sens grandir la haine pour nous. Il faut lui montrer que nous sommes les plus forts, puisque nous nous aimons ». La nuit de noces se déroule selon un simulacre d’inversion. Jacques se prend vraiment pour une femme, est déçu que Raoule ne puisse aller au bout du jeu : « Raoule, s’écria Jacques, la face convulsée, les dents crispées sur la lèvre, les bras étendus comme s’il venait d’être crucifié dans un spasme de plaisir, Raoule, tu n’es donc pas un homme ? tu ne peux donc pas être un homme ? […] — Non ! non ! n’ôte pas cet habit, hurla-t-il, au paroxysme de la folie. » Il est horrifiée parce qu’« elle avait appuyé l’un de ses seins nus sur sa peau ». Jacques va voir Raittolbe qui, troublé, lui suggère de fréquenter la maison de sa sœur. Mais Jacques agit en femme, et trouble le baron, qui le traite de « fille manquée ». Jacques « se leva et vint joindre ses mains sur l’épaule de de Raittolbe. Un moment, son souffle parfumé effleura le cou du baron. Celui-ci frémit jusqu’aux moelles et se détourna, regardant la fenêtre qu’il eût bien voulu ouvrir. — Jacques, mon petit, pas de séduction ou j’appelle la police des mœurs. » Mais Jacques découche pour tenter la médecine du baron : « — Je viens de chez ma sœur, dit-il d’une voix saccadée… de chez ma sœur la prostituée… et pas une de ces filles, tu m’entends ? pas une n’a pu faire revivre ce que tu as tué, sacrilège !… » Raoule est jalouse, et lorsque Jacques retourne habillée en femme, voir le baron, elle y va en homme, inverse les rôles, et provoque un duel de vaudeville. Elle fait croire à Jacques qu’il s’agit d’un duel au premier sang, mais elle glisse à Raittolbe « À mort ! » Celui-ci joue son rôle, mais son épée s’enfonce dans la poitrine trop facilement offerte de Jacques, et lui arrache ce cri du cœur : « Il se précipita sur le corps étendu. — Jacques ! supplia-t-il, regarde-moi ! parle-moi ! Jacques, pourquoi as-tu voulu cela, aussi ? ne savais-tu pas que tu étais condamné d’avance ? Ah ! c’est une atrocité, je ne peux pas, moi qui l’aime, l’avoir tué ! » L’épilogue est dans la veine fantastique de l’époque : Raoule fait du cadavre de Jacques un fétiche, en prélevant elle-même les organes : « Le soir de ce jour funèbre, Mme Silvert se penchait sur le lit du temple de l’Amour et, armée d’une pince en vermeil, d’un marteau recouvert de velours et d’un ciseau en argent massif, se livrait à un travail très minutieux… Par instants, elle essuyait ses doigts effilés avec un mouchoir de dentelle. » Mieux, les deux amoureux de Jacques se livrent à un rituel macabre : « La nuit, une femme vêtue de deuil, quelquefois un jeune homme en habit noir [2], ouvrent cette porte. Ils viennent s’agenouiller près du lit, et, lorsqu’ils ont longtemps contemplé les formes merveilleuses de la statue de cire, ils l’enlacent, la baisent aux lèvres. Un ressort, disposé à l’intérieur des flancs, correspond à la bouche et l’anime. Ce mannequin, chef-d’œuvre d’anatomie, a été fabriqué par un Allemand. »

Juliette a chanté « Monsieur Vénus » sur des paroles de Pierre Philippe.


 Cette fin fantastique nous rappelle un des romans de Gudule rassemblés dans Les Filles mortes se ramassent au scalpel.
Sur Internet, lire une critique ici ; une autre là.
 Lire la chronique de Jean-Yves Alt sur Culture et débats.
 En novembre 2022, une émission de Radio Courtoisie évoque Rachilde, homme de lettres, livre de Cécile Chabaud.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le texte du roman en ligne


© altersexualite.com 2016
Retrouvez l’ensemble des critiques littéraires jeunesse & des critiques littéraires et cinéma adultes d’altersexualite.com. Voir aussi Déontologie critique.


[1Le « saut de Leucade » consistait à se jeter du haut d’une falaise haute de 72 mètres située au sud de l’île de Leucade pour se guérir d’un mal d’amour. Si on ne mourait pas, on était guéri de son amour.

[2Il s’agit évidemment de Raoule en femme et en homme, mais on pourrait s’imaginer que Raittolbe aussi se livre à cette nécrophilie.