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« Je revendique pour ce livre-là une fonction éducative »

Entrevue d’Hugues Barthe

Auteur de Dans la peau d’un jeune homo

mercredi 27 juin 2007

Merci beaucoup à Hugues Barthe, le premier auteur de bande dessinée à nous avoir accordé une entrevue. La parution de son ouvrage Dans la peau d’un jeune homo est un moment important dans l’histoire des livres pour les jeunes, et je suis entièrement d’accord avec ce qu’il en dit : « J’ai conçu ce livre de façon à ce qu’il puisse être lu par tout le monde, pas seulement par les gays mais aussi par leurs parents et leurs amis. Je l’ai fait pour essayer de rendre l’homosexualité plus compréhensible à chacun. Je revendique pour ce livre-là une fonction éducative, utile, même si cela n’a rien d’un manuel scolaire, c’est beaucoup plus drôle. »

 Lionel Labosse, pour altersexualite.com : merci d’avoir accepté de répondre à notre entrevue. Présentez-vous en quelques mots. Combien de livres avez-vous publié ?
 J’ai 41 ans, je fais de la bande dessinée depuis que je suis tout petit. Dans la peau d’un jeune homo est mon quatrième livre. Tous les quatre abordent le thème de l’homosexualité.

 À quelle classe d’âge vos livres s’adressent-ils ? S’adressent-ils plutôt aux écoliers, collégiens, lycéens ?
 Mon nouveau livre a été écrit à l’adresse des ados à partir de 14 ans, l’âge de mon personnage. Mais il peut intéresser et faire rire n’importe qui de n’importe quel âge. Mes précédents livres s’adressent à un public adulte.

 Accepteriez-vous qu’on qualifie votre livre de B.D. « gaie » ? ou B.D. « LGBT » ?
 Non, j’ai conçu ce livre de façon à ce qu’il puisse être lu par tout le monde, pas seulement par les gays mais aussi par leurs parents et leurs amis. Je l’ai fait pour essayer de rendre l’homosexualité plus compréhensible à chacun. Je revendique pour ce livre-là une fonction éducative, utile, même si cela n’a rien d’un manuel scolaire, c’est beaucoup plus drôle. Je n’aime pas beaucoup le terme de BD gaie parce que c’est réducteur. J’ai écrit et dessiné plusieurs livres sur l’homosexualité, j’en ferai d’autres, mais je ne me cantonne pas à cela. J’écris également des bandes dessinées pour les enfants et travaille actuellement sur d’autres projets pour les adultes mais où il n’est pas question d’homosexualité.

 S’agissant particulièrement du domaine de la bande dessinée, pensez-vous qu’il y ait eu dans le passé des réticences et de la censure par rapport aux thèmes altersexuels ? Pourquoi ?
 Je m’exprime naturellement par le biais de la bande dessinée. Cela surprend encore car nous sommes très peu d’auteurs homos à aborder le sujet de front par ce moyen d’expression. Ralf König, Fabrice Neaud et quelques rares autres auteurs ont contribué à « déblayer le terrain ». Sans eux, je n’aurais peut-être pas osé le faire. Je pense qu’il est plus facile d’aborder ce genre de thème aujourd’hui qu’il y a dix ans, notamment grâce à la nouvelle vague de la bande dessinée et des auteurs issus des labels dits indépendants tels que l’Association ou Ego Comme X qui ont présenté au public une bande dessinée adulte, avec des formats et des tons différents. Il a fallu plus de temps pour la bande dessinée que pour la littérature et le cinéma avant de s’affranchir parce que le milieu de la BD est très macho. Il y a à peine 10 ans, les auteurs femmes se comptaient sur les doigts d’une main ; aujourd’hui, il y en a beaucoup plus.

 Votre position d’auteur est-elle militante ? Vous inscrivez-vous dans la perspective de faire évoluer les mentalités, de banaliser l’homosexualité ? Préférez-vous raconter des histoires qui vous touchent et toucheront vos lecteurs ?
 Ma première vocation est de raconter des histoires et d’expérimenter des nouvelles manières de raconter. Mais mes livres parlant d’homosexualité, on fait de moi un militant. Les journalistes ont parlé de mon précédent livre, Le petit Lulu, comme d’un acte militant, parfois même en le réduisant à ça, ça m’a surpris, je ne l’avais pas conçu comme tel. Cette bande dessinée est le récit d’une relation érotique entre deux hommes, s’il s’était agi d’un homme et d’une femme, je l’aurais écrite dans le même esprit. Tout ce que certains retiennent, c’est qu’il s’agit de deux hommes. Cela montre qu’il y a encore beaucoup de travail pour faire avancer les mentalités. Donc, si mes livres contribuent à banaliser l’homosexualité, tant mieux.

 Pensez-vous que l’on puisse aborder tous les thèmes en littérature jeunesse ? Qu’est-ce qui est selon vous tabou ?
 Je pense que l’on peut aborder tous les thèmes. Il faut simplement être attentif à la manière de l’aborder. Il ne faut pas être brutal, mais il ne faut pas non plus être mièvre.

 Si l’on parle d’amour doit-on aussi parler de sexualité et de passage à l’acte sexuel selon l’âge auquel on s’adresse ? Vous imposez-vous des limites ? Lesquelles ?
 Cette question est particulièrement d’actualité pour moi, car j’aimerais faire une suite à Dans la peau d’un jeune homo qui serait consacrée à la prévention contre le sida. Il va donc falloir aborder la sexualité de front. J’avoue que je ne sais pas jusqu’où je pourrai aller. Mais la question la plus importante pour moi, c’est quelle histoire raconter pour dédramatiser, « désangoisser » la question du préservatif.

 Vous inspirez-vous d’autres auteurs ou de grandes figures du panthéon homosexuel ?
 Les livres d’Hervé Guibert m’ont beaucoup impressionné. Comme lui, je me mets parfois en scène. Je lis et relis Proust à qui j’ai volé des métaphores que j’ai traduites graphiquement, surtout dans le livre sur lequel je travaille actuellement...

 Quelles sont vos références en littérature générale, en littérature jeunesse, ou dans votre domaine artistique ?
 En bande dessinée, j’aime la ligne claire, c’est-à-dire un style très clair et précis aussi bien au niveau du dessin que celui de l’écriture. Hergé, bien sûr, Bretécher, Régis Franc, Marjane Satrapi, Lewis Trondheim mais aussi Joann Sfar. La nouvelle génération d’auteurs américains est enthousiasmante : Adrian Tomine, Alex Robinson et surtout Chris Ware, ils nous parlent d’aujourd’hui d’une manière très intelligente et sensible. Un auteur de bandes dessinées homo m’a beaucoup influencé : Copi, qui publiait des planches dans Gai Pied, entre autres. Injustement, ses bandes ne sont quasiment plus rééditées alors que ses pièces de théâtre sont constamment reprises. Cela montre à quel point la bande dessinée est encore aujourd’hui méprisée par l’intelligentsia.

 Quelles difficultés particulières avez-vous rencontrées dans l’écriture de vos livres ? Comment ont-il été accueillis par les éditeurs, auprès de la presse (générale, spécialisée jeunesse, gaie et lesbienne), auprès du milieu scolaire ?
 Les éditeurs ont répondu très favorablement à mes différents projets concernant l’homosexualité. La presse gaie ou pas a bien accueilli mes livres, même si beaucoup de journalistes ne savent pas encore très bien comment parler d’une bande dessinée.

 Comment vos lecteurs ont-ils accueilli ce livre en particulier ? Lors de rencontres avec vos jeunes lecteurs, quelles sont leurs réactions relativement à ce livre, notamment par rapport à la thématique homosexuelle ?
 Des parents m’ont dit que le livre leur avait fait réfléchir sur leurs relations avec leurs enfants ados ou pré-ados ; un jeune homme hétéro m’a dit que cela l’avait questionné sur sa propre sexualité... je n’ai pas encore eu de réactions d’ados. Je pense qu’ils n’oseront pas facilement parler de sexualité à un adulte.

 Quels sont vos projets ?
 Je suis sur la suite du Petit Lulu qui devrait sortir en 2008. J’ai plein d’autres projets, mais il est encore un peu tôt pour en parler.

 Avez-vous un site ? Comment faire, qui contacter si l’on souhaite que vous interveniez dans une classe ?
 Je viens de lancer mon site-blog. J’y raconte mon voyage à San Francisco en bande dessinée. C’est drôle (enfin j’espère) mais aussi politique pour ne pas dire... militant ! Il y aura trois ou quatre nouvelles pages par mois. On peut m’écrire depuis ce site.

 Voir une autre entrevue d’Hugues Barthe pour Ligne Azur, ainsi qu’un court reportage vidéo. Voir Bienvenue dans le Marais, paru en 2008.

Propos recueillis par Lionel Labosse en juin 2007. Interview reprise et actualisée sur le site de l’auteur.


Voir en ligne : Le site-blog d’Hugues Barthe


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