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Nouvelles orphiques, pour les 4e / 3e et le lycée.

Les Petites déesses, de Francesca Lia Block

L’École des loisirs, Médium, 1996, 178 p., 8,8 €.

vendredi 6 avril 2007

On aime le style poétique et onirique. On aime l’excentricité des personnages, leur anti-conformisme, qui s’exprime dans leur goût pour les vêtements, les chaussures, la nourriture, etc. On aime leurs interrogations sur le bonheur, sur l’amitié, sur la différence des sexes, et l’esprit à rebrousse-poil qui peut heurter même certains esprits obtus dans la communauté LGBT.

Résumé

« Je vais écrire un recueil d’histoires à propos de filles qui deviennent des déesses et de déesses qui deviennent des filles » (p. 178). Voilà ce que déclare la narratrice de la dernière nouvelle de ce recueil, intitulée Orphée. Une autre phrase donne le ton : « Quand il jouait, j’avais l’impression d’être un arbre qui se déracinait pour danser » (p. 173). Les musiques populaires américaines et la danse, les personnages déjantés aux vêtements originaux qu’ils confectionnent parfois eux-mêmes, sont le lien de ces nouvelles, ainsi que le questionnement à la fois sur le genre et l’orientation sexuelle. Ainsi, La, la jeune héroïne de Bleu, n’est pas sûre d’aimer les garçons. Après le suicide de sa mère, elle se confie à Bleu, un lutin habitant l’armoire de sa mère. Un jour elle le déshabille, et en baissant son pantalon, fait une découverte : « Bleu n’était pas qu’une fille. Bleu était les deux » (p. 29). Dans Winnie et Cubby, ce dernier « portait les plus belles chaussures rondes et grosses, et pas ces chaussures fines de belette que certains garçons affectionnent » (p. 156). Les deux ados de 17 ans font une virée à San Francisco. Ils sont l’un pour l’autre à la fois le père qu’ils ont tous deux perdu, et l’enfant. « Ils furent élus le « couple le plus mignon » dans l’annuaire du lycée » (p. 159). C’est pourtant au cours de cette virée que Cubby se révélera à lui-même. Dans un bar de drag-queens, il remarque : « Les gens les plus beaux sont ceux qui n’ont pas l’air d’être d’une seule race, ou même d’un seul sexe » (p. 162). Puis il avoue à sa petite amie qu’il aime les garçons. Winnie est d’abord blessée : « Elle avait l’impression que si elle bougeait, son cœur se détacherait et glisserait pour flotter et errer dans la caverne de son corps, et se dégonfler petit à petit comme un ballon crevé » (p. 168), puis Cubby la rassure : « Je ne te quitterai jamais. Ce sera juste un truc différent » (p. 170).

La plus longue nouvelle, Des dragons à Manhattan, peut être lue et étudiée à part. Elle constitue à elle seule un texte plus long et intéressant que bien des nouvelles gonflées par la typographie à l’étendue d’un « roman » dans certaines collections jeunesse. C’est un des rares textes de notre sélection à traiter de l’identité de genre. Tuck a deux mères, Anastasia et Izzy, vêtues de façon on ne peut plus excentrique. Suite à une remarque qui la vexe à l’école, elle se met à la recherche de son père, ce qui la mène de Manhattan à [San Francisco>896] puis Los Angeles. Elle découvre d’abord que sa « vraie mère » est Anastasia, puis le nom de son père, puis ses grands-parents, qui lui confient la seule photo de ce garçon disparu peu de temps après son mariage. Et sur la photo, devinez qui découvre Tuck ? Elle apprend le sens du nom de sa mère-père, « Izzy », et déclare à ses deux mères qu’elle les aime, « Même si j’aurais préféré que vous ressembliez plus à des parents normaux » (p. 93). Le retour à Manhattan est comme un nouveau départ chez ces trois dragons qui marchent dans la ville « À la recherche des anges, des licornes, des sirènes, des chevaux ailés » : « Parce que je trouve qu’elles sont belles, et même si elles n’ont pas été créées par la nature, [ces choses] existent quand même » (p. 94).

Mon avis

Voici un livre fort original dans notre sélection. Comme d’habitude, l’éditeur ne nous dit pas un mot sur l’auteur, et la typographie nous interdit de savoir si son nom de famille est « Lia Block » ou « Block » tout court. Cela serait quand même plus pratique, chers éditeurs, pour savoir à quelle place trouver le livre dans les rayons des librairies ! (C’est a priori plutôt « Block »). On aime le style dont les citations ci-dessus donnent le ton. On aime l’excentricité des personnages, leur anti-conformisme, qui s’exprime dans leur goût pour les vêtements, les chaussures, la nourriture souvent végétarienne, la végétation, la danse… On aime leurs interrogations sur le bonheur, sur l’amitié, sur la différence des sexes. J’aime encore que cet esprit à rebrousse-poil titille jusqu’au monde LGBT. En effet, à rebours de l’anti-conformisme de ses mères, Tuck exprime avec douceur dans la nouvelle principale, son désir de parents plus normaux. En France, de tels propos encourraient les foudres de certaines associations qui confondent révolution et agitation. En effet, il n’y a aucun juste milieu entre les réactionnaires grincements d’Antier et les prétentions idylliques de militants de mauvaise foi pour lesquels le fait d’avoir deux parents du même sexe se vit forcément pour l’enfant dans un bonheur absolu, comme dans Je ne suis pas une fille à papa, de Christophe Honoré par exemple. La réalité est souvent autre, comme dans les familles traditionnelles, nous en avons tous l’expérience, mais il ne faut surtout pas en parler devant les journalistes. Francesca Lia Block l’exprime avec beaucoup de tact. On se demande quelles seront les réactions quand un roman racontera des histoires de parentalité moins idylliques… En tout cas sur altersexualite.com, on préfère les bons livres aux trop beaux livres, et on ne fait pas dans le communautarisme…

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 Pour en savoir plus sur les transgenre.

 Lire, sur « Culture et Débats » le point de vue de Jean-Yves.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Site de l’auteure (en anglais)


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