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Un article de Laurence Le Fur publié à l’occasion de la gay pride 2004

Comment lutter contre l’homophobie à l’école

Le Parisien / Aujourd’hui, 26/06/2004

mardi 1er mai 2007

Un témoignage sur l’utilisation pédagogique d’un livre pour les jeunes : « Mes cours de français ont soutenu une action citoyenne mais, d’un autre côté, mes élèves en ont bénéficié en termes scolaires, ils ont fait des efforts pour lire, pour progresser. » Une interview encourageante d’une prof qui n’a pas froid aux yeux, parue dans le quotidien le plus lu de France à l’occasion de la Gay Pride 2004.

C’EST L’UN DES MOTS D’ORDRE de la Gay Pride 2004 qui se déroule cet après-midi à Paris : la dénonciation de l’homophobie à l’école. Selon les associations homosexuelles, les cas de suicide des jeunes trouvent souvent leur explication dans l’homophobie. De l’avis des enseignants et des élèves, ce thème reste largement tabou en classe. Quelques rares expériences sont tentées. Comme celle du collège Jean-Moulin à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) où 22 élèves de 3e ont étudié en français un livre qui parle d’homosexualité. Les conseils de classe sont terminés, les livres rendus et les élèves désertent les bancs du collège. Mais, en 3e F, ils sont encore une petite dizaine à suivre leurs cours de français. Marie-Laure Sultan, qui enseigne depuis trois ans dans cet établissement difficile, qui rassemble 47 nationalités, en est toute « fière ».

« C’est vrai qu’ils m’ont épatée cette année », raconte-t-elle, le sourire aux lèvres. Son idée, imaginée lors d’un stage de formation : faire un travail de longue haleine sur le respect des différences. « Mon but était de les faire réfléchir sur toutes les formes de discrimination, poursuit la jeune prof. Pas seulement sur le racisme ou l’antisémitisme, mais également sur les problèmes des femmes, des blessés de guerre qui n’ont plus droit à la parole quand le conflit est terminé. » Sans oublier l’homophobie. « Alors que trois fois par jour, on entend les élèves s’insulter entre eux en se traitant de pédé, on en parle peu, confie Marie-Laure. J’avais envie de mettre les pieds dans le plat. Ce n’est pas un acte militant, surtout une possibilité pour mes élèves de comprendre ce phénomène qui leur est étranger. » Quelques collègues ne se privent pas de la mettre en garde : « Attention, les parents ne vont pas apprécier (...), pourquoi parler d’un tel sujet ? »... Mais elle tient bon et poursuit son projet. Découverte de textes de Voltaire sur la tolérance, projection du film « Johnny s’en va-t-en guerre », étude de L’année de l’orientation, un livre pour les 12-15 ans écrit l’an dernier par Lionel Labosse, toujours enseignant de lettres en banlieue et victime dans sa jeunesse de discrimination. Le sujet : Julien vient de quitter Vaujours et sa mère remariée pour rejoindre son père à Bordeaux, il entame une correspondance avec son meilleur ami d’origine algérienne, Karim. Au fil de leurs 19 lettres, ils vont évoquer le racisme, les difficultés familiales, mais aussi l’homosexualité naissante de l’un d’eux.

« Mes élèves ont lu le livre, je me demandais comment ils allaient réagir, reconnaît Marie-Laure. Tout s’est bien passé bien que cela ait été un électrochoc pour certains qui ne savaient même pas ce qu’était l’homosexualité. Pour d’autres, c’était même impossible que cela existe. Une élève m’a assurée que sa mère la tuerait si elle aimait les femmes ! Finalement, certains n’ont pas du tout aimé, d’autres beaucoup. » Des ateliers d’écriture permettent à chaque collégien d’exprimer ce qu’il ressent. « Ce livre peut choquer certaines personnes sensibles puisque les mots de pédé ou de pédophilie sont utilisés, il peut nous influencer ou avoir de mauvaises conséquences mais, d’après moi, c’est aussi un bon livre car il nous ouvre les yeux sur plein de choses naturelles, cela me surprend et m’intéresse que deux garçons puissent se dire je t’aime, ce qui m’a fait beaucoup rire », commente ainsi Kuntima. « Je n’ai pas aimé la multitude de mots d’insulte qu’emploie l’auteur, mais j’ai aimé le livre car il nous aide à ne pas avoir peur d’être homosexuel ou lesbienne mais à écouter son cœur », poursuit Hazar. « Je ne le recommanderai pas car il est trop choquant », conclut une collégienne de 16 ans.

Point d’orgue du projet, après une rencontre avec l’auteur du livre : une soirée de lecture de textes à la bibliothèque de la cité organisée il y a deux semaines. Devant une salle comble, devant les parents et les copains, les jeunes se lancent. « J’étais surprise, émue de les voir si bien lire, eux qui ont pourtant un niveau très faible, se souvient, avec encore des trémolos dans la voix, Marie-Laure. Les extraits qu’ils avaient choisis défendaient le droit de ne pas se marier, le droit d’aimer une personne du même sexe. Ils ont osé devant leurs familles, qui d’ailleurs ont longuement applaudi. Ils étaient magnifiques. » Forte de cette réussite, Marie-Laure souhaite renouveler l’expérience. « Mes cours de français ont soutenu une action citoyenne mais, d’un autre côté, mes élèves en ont bénéficié en termes scolaires, ils ont fait des efforts pour lire, pour progresser. »

 Lire une interview de Marie-Laure Sultan sur ce projet.

 Pour commander L’année de l’orientation, voir cet article.


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© Le Parisien, 2004. Photo : LP/DELPHINE GOLDSZTEJN