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Pensez-vous que la maison individuelle doive être condamnée à disparaître ?

Sujet de CGE en BTS « Dans ma maison » : la maison idéale.

Un sujet de Culture Générale & Expression pour s’entraîner, suivi d’un corrigé complet.

samedi 7 mai 2022, par Lionel Labosse

Voici un sujet d’examen blanc sur le thème 2021-2022 « Dans ma maison », que j’ai concocté pour mes étudiants de BTS 2e année. Vous en trouverez un autre sur le thème de la sédentarité.
À vos stylos : vous avez quatre heures pour la synthèse et l’écriture personnelle, et sans aucune aide. « Nous sommes en guerre » !
J’ai vaillamment résisté aux demandes insistantes des celles & ceusses qui souhaient m’extorquer avec plus ou moins de politesse le corrigé ; il est enfin en ligne car j’ai à nouveau fait bûcher mes étudiants de 2023 sur le même sujet… (vu la quantité de travail que demande un sujet original et son corrigé exhaustif, mes estimables collègues comprendront qu’on se le garde sous le coude pour l’année suivante !) En fait une variante du sujet a été proposée en 2023, avec à la place du doc 2, une chanson des Compagnons de la Chanson : « Enfin j’ai ma maison ».

Examen blanc de Culture générale et expression sur le thème « Dans ma maison ».

PREMIÈRE PARTIE : SYNTHÈSE (/ 40 points)

Vous rédigerez une synthèse objective, concise et ordonnée des documents suivants :

Le corpus

Document n°1 : Thomas More, L’Utopie (1516). Extrait : « La ville d’Amaurote ».

Document n°2 : Chez soi. Une Odyssée de l’espace domestique (2015), Mona Chollet. Extrait du chapitre 7 : « Des palais plein la tête. Imaginer la maison idéale ».

Document n°3 : « Bientôt, tous les moutons seront dans leur enclos ! », Antonin Campana, Terre Autochtone, « Le blog des aborigènes d’Europe », 13 Mars 2022.

Document n°4 : « Familistère de Guise, Pavillon central du Palais social. Fête du travail le 1er mai », photographie d’époque, anonyme.

DEUXIÈME PARTIE : ÉCRITURE PERSONNELLE (/ 20 points)

Sujet
« Pensez-vous que la maison individuelle doive être condamnée à disparaître ? »

Vous répondrez à cette question d’une façon argumentée en vous appuyant sur les documents du corpus, les œuvres étudiées pendant l’année et vos lectures et connaissances personnelles.

- Document n°1 L’Utopie (1516), Thomas More, traduit du latin par Victor Stouvenel. Extrait : « La ville d’Amaurote ».
L’Utopie, écrit en latin et publié en 1516, est un ouvrage de l’humaniste anglais Thomas More (1478-1535). Ce livre, fondateur du genre littéraire et de la pensée utopique, est à l’origine du mot « utopie », désormais entré dans le langage courant en référence à l’île d’Utopie inventée par Thomas More. Il s’agit d’une société idéale conçue en opposition à la société anglaise contemporaine, dont le livre constitue une critique radicale. L’architecture et l’urbanisme sont au service d’un projet social idéal – on dirait « utopique » maintenant.

Les rues et les places sont convenablement disposées, soit pour le transport, soit pour abriter contre le vent. Les édifices sont bâtis confortablement ; ils brillent d’élégance et de propreté, et forment deux rangs continus, suivant toute la longueur des rues, dont la largeur est de vingt pieds.
Derrière et entre les maisons se trouvent de vastes jardins. Chaque maison a une porte sur la rue et une porte sur le jardin. Ces deux portes s’ouvrent aisément d’un léger coup de main, et laissent entrer le premier venu.
Les Utopiens appliquent en ceci le principe de la possession commune. Pour anéantir jusqu’à l’idée de la propriété individuelle et absolue, ils changent de maison tous les dix ans, et tirent au sort celle qui doit leur tomber en partage.
Les habitants des villes soignent leurs jardins avec passion ; ils y cultivent la vigne, les fruits, les fleurs et toutes sortes de plantes. Ils mettent à cette culture tant de science et de goût, que je n’ai jamais vu ailleurs plus de fertilité et d’abondance réunies à un coup d’œil plus gracieux. Le plaisir n’est pas le seul mobile qui les excite au jardinage ; il y a émulation entre les différents quartiers de la ville, qui luttent à l’envi à qui aura le jardin le mieux cultivé. Vraiment, l’on ne peut rien concevoir de plus agréable ni de plus utile aux citoyens que cette occupation. Le fondateur de l’empire l’avait bien compris, car il appliqua tous ses efforts à tourner les esprits vers cette direction.
Les Utopiens attribuent à Utopus le plan général de leurs cités. Ce grand législateur n’eut pas le temps d’achever les constructions et les embellissements qu’il avait projetés ; il fallait pour cela plusieurs générations. Aussi légua-t-il à la postérité le soin de continuer et de perfectionner son œuvre.
On lit dans les annales utopiennes, conservées religieusement depuis la conquête de l’île, et qui embrassent l’histoire de dix-sept cent soixante années, on y lit qu’au commencement, les maisons, fort basses, n’étaient que des cabanes, des chaumières en bois, avec des murailles de boue et des toits de paille terminés en pointe. Les maisons aujourd’hui sont d’élégants édifices à trois étages, avec des murs extérieurs en pierre ou en brique, et des murs intérieurs en plâtras. Les toits sont plats, recouverts d’une matière broyée et incombustible, qui ne coûte rien et préserve mieux que le plomb des injures du temps. Des fenêtres vitrées (on fait dans l’île un grand usage du verre) abritent contre le vent. Quelquefois on remplace le verre par un tissu d’une ténuité [1] extrême, enduit d’ambre ou d’huile transparente, ce qui offre aussi l’avantage de laisser passer la lumière et d’arrêter le vent.

- Document n°2. Chez soi. Une Odyssée de l’espace domestique (2015), Mona Chollet (née en 1973).
Mona Chollet est journaliste au mensuel Le Monde diplomatique. Extrait du chapitre 7 : « Des palais plein la tête. Imaginer la maison idéale ».

[…] Fidélité manifeste à la tradition japonaise, toutefois : Fujimori fait aussi des pavillons de thé – à sa manière, certes. Le plus beau est sans discussion possible le Chashitsu Tetsu, dans le parc d’un musée de la ville de Hokuto : une cabane qui semble coiffée d’un chapeau pointu, avec un toit en feuilles de cuivre roulées à la main, une petite cheminée et des murs en terre, juchée au sommet d’un haut pilier fait d’un gros tronc de cyprès encore pourvu de son écorce. Elle est particulièrement féerique quand les cerisiers qui l’entourent fleurissent ; de nuit, surtout, lorsque ses fenêtres éclairées brillent au milieu de toute cette neige rose plongée dans l’ombre, l’effet est saisissant. On retrouve là le charme des petits espaces, puisque l’exiguïté fait partie des règles établies par le maître Sen no Rikyu (1522-1591) pour les pavillons de thé. Une construction de petite taille conçue pour abriter une expérience intense, avec un foyer où faire du feu : la cabane à thé représente aux yeux de Fujimori une « cristallisation de l’architecture humaine ». Il a également tenu compte des préconisations de Sen no Rikyu pour l’entrée, appelée nijiriguchi, qui oblige à se baisser et à se contorsionner pour pénétrer à l’intérieur. Ce dispositif incite à l’humilité et symbolise l’effacement des hiérarchies sociales dans la cérémonie du thé, mais donne aussi l’impression que l’on change d’univers. […]
Dans ses maisons aussi, comme on l’a vu, il intègre une chambre de thé qui reproduit la philosophie des pavillons – un « univers indépendant à l’écart de la vie quotidienne » –, mais qui m’évoque aussi la « chambre à soi » de Virginia Woolf ou l’« endroit secret » préconisé par Christopher Alexander. Le commanditaire de la Nira House avait expressément demandé une « pièce secrète ». Celui de la Yakisugi House voulait une petite pièce où il pourrait se retirer au calme ; l’architecte lui a aménagé une étude perchée en hauteur, avec un rebord de fenêtre-bureau où il peut lire et écrire face aux branches des érables du jardin.
Le jeu est partout dans ces constructions. La Coal House intègre des portes « aux dimensions d’un hobbit » ; des échelles plutôt raides constituent la seule voie d’accès aux chambres d’enfant. Pour gagner la chambre de thé, située à l’étage, dans une avancée du bâtiment, on peut passer soit par l’extérieur de la maison, en empruntant une échelle et une trappe percée dans le sol de la pièce, soit par une porte secrète depuis la chambre à coucher principale. L’échelle amène le visiteur « à se sentir et à penser différemment dans l’espace » ; Fujimori voulait que ceux qui y grimpent aient « un petit peu peur ». Son architecture combine des dispositifs stimulants, excitants, qui procurent des sensations fortes et incitent à la hardiesse, et d’autres qui invitent à se pelotonner, à se blottir confortablement. Ainsi, il aime les fenêtres à croisée, qu’il juge rassurantes car elles interposent un « modeste obstacle » entre l’habitant et le paysage. L’alternance de grandes fenêtres et d’autres toutes petites sur les façades de certaines de ses maisons témoigne d’un sens de l’intimité absent des constructions modernistes. Elle se situe à l’opposé des baies vitrées rectilignes très prisées par l’architecture contemporaine, qui transforment le paysage en trophée et placent l’habitant en vitrine. Dotée de parois entièrement transparentes, la S House bâtie en 2014 dans une banlieue de Tokyo par Yuusuke Karasawa pousse cette tendance à l’extrême : seule la salle de bains y échappe aux regards du voisinage. Comment un monde bâti sur le regard pourrait-il ne pas devenir un monde de la surveillance et de l’exposition panoptique ? [2]

- Document n°3. Antonin Campana, « Bientôt, tous les moutons seront dans leur enclos ! » 13 mars 2022, Terre Autochtone, « Le blog des aborigènes d’Europe ».
Il s’agit d’un billet de blog d’un auteur simple citoyen.

Souvenez-vous, le 14 octobre 2021, dans une conférence intitulée « Habiter la ville de demain », la ministre du Logement Emmanuelle Wargon a expliqué que « le pavillon avec jardin est un non-sens écologique, économique et social », que c’est « un modèle derrière nous », un modèle qui pour l’environnement « n’est pas soutenable et nous mène à une impasse », avant de conclure, très soviétique : « il faut en finir avec la maison individuelle » [3].
Emmanuelle Wargon préfère la ville « plus intense qui ne transige pas avec la qualité et qui tient sa promesse en matière de services », dit-elle. Elle préfère (pour les sans-dents [4], il va sans dire, la ministre possède quant à elle une belle villa avec jardin) les concentrations de logements collectifs : « C’est ce que j’appelle l’intensité ’’heureuse’’ : une densité d’habitat qui crée des quartiers dynamiques, vivants et chaleureux » ! Aurons-nous le choix ? Pas le moins du monde, dit Wargon : « Nous sommes face à une urgence climatique qui ne se négocie pas » ! Bref, pour sauver la planète il nous faut habiter la ville… […]
En mai 2021, soit quelques mois avant Wargon, Pedro Sanchez, premier ministre espagnol, a présenté son plan national pour 2050 (« Espagne 2050, fondements et propositions pour une stratégie nationale de long terme »). Qu’annonce-t-il aux Espagnols ? La fin de la maison individuelle et même la nécessité de cohabiter tous ensemble dans des appartements (au nom du climat bien entendu) !
Notons également que la question se pose aussi en Allemagne. Le maire écologiste d’Alsterdorf, près de Hambourg, agit pour la planète et interdit désormais toute nouvelle construction de maison individuelle.
Du côté de l’UE, il ne faut pas s’attendre à un discours très différent. Le vice président de la commission européenne Maros Sefcovic a ainsi déclaré que le plan de Pedro Sanchez […] était un « excellent exemple », un « modèle » qui « montre la voie » et qui est conforme aux objectifs stratégiques de l’UE. Étonnant, non ?
En vérité, pour ce qui concerne la France, la fin de la maison individuelle est déjà inscrite dans la loi.
La « loi climat » d’août 2021 encadre « l’artificialisation des sols », c’est-à-dire le fait de construire sur le sol naturel des choses artificielles comme des entrepôts, des voies ferrées, des routes, des maisons… toutes choses qui nuisent au climat selon le ministère de la Transition écologique. En 2030, le processus d’artificialisation doit être réduit de moitié (article 191) et en 2050 il doit être égal à zéro. Comprenons bien ce que cela signifie : à terme, plus aucune nouvelle construction ne sera possible ! La maison individuelle est donc condamnée, mais aussi la ruralité dans son ensemble. Il ne sera plus possible de bâtir sa maison sur un bout de terrain hérité de ses parents, ni de construire les locaux d’une nouvelle entreprise, ni d’implanter une zone artisanale, ni de désenclaver une région. Les logements vont s’empiler les uns sur les autres en zone urbaine : c’est ce qu’Emmanuelle Wargon appelle « l’intensité heureuse ».
On voit bien que l’objectif est de faire perdre leur indépendance aux 20 % de Français qui, sortes de moutons égarés dans la campagne, n’ont pas encore regagné leur enclos. […] Évidemment, la pression va s’accentuer très progressivement, prenant la forme d’une augmentation des prix des terrains, des bâtiments et des constructions jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible d’échapper à la ville, au contrôle urbain et à la surveillance de masse. « Artificialisation des sols » avez-vous dit ? À peine un petit pion déplacé sur le vaste échiquier ! Mais il faut voir plus loin : cette loi passée presque inaperçue pourra avoir, dans dix ou quinze ans, des conséquences radicales sur notre capacité à échapper au Système. […]

- Document n°4 : Familistère de Guise, Pavillon central du Palais social. Fête du travail le 1er mai, anonyme. © Collection Familistère de Guise.
Étymologiquement « établissement où plusieurs familles ou individus vivent ensemble dans une sorte de communauté », construit en s’inspirant du « phalanstère » de Charles Fourier, le « familistère » situé dans la commune de Guise (département de l’Aisne), voulu par l’industriel Jean-Baptiste André Godin pour l’hébergement de ses ouvriers, est un haut lieu de l’histoire économique et sociale des XIXe et XXe siècles. Il est constitué de plusieurs bâtiments, dont le « palais social », destiné au logement des ouvriers.
La cour intérieure du pavillon central de ce « palais social » est le lieu géométrique de la vie des familistériens, elle accueille les bals dominicaux, les fêtes annuelles du travail & de l’enfance. Son dispositif technique résume les impératifs de l’hygiénisme [5] : la verrière que supporte une charpente en bois dispense la lumière ; l’aération est assurée par un circuit de ventilation : l’alignement des bouches d’aération entre la verrière et les caves est nettement visible sur le sol de la cour. Les balcons donnent accès aux appartements – chaque porte dessert un petit vestibule qui ouvre sur deux appartements –, et chacun d’eux possède des fenêtres à l’extérieur et sur la cour : toujours le principe de la circulation de l’air…

Familistère de Guise, Pavillon central du Palais social. Fête du travail le 1er mai.
© anonyme / Collection Familistère de Guise

Proposition de synthèse rédigée.

Tout ce qui est en gras entre crochets doit être supprimé de la copie ; ce sont des indications pédagogiques.

[Introduction]
[accroche]
Les impératifs de la vie en société ont toujours canalisé les rêves des architectes et des individus pour préserver à la fois l’harmonie sociale et la nature, ce qui a conduit à construire des utopies et leur critique, contre-utopies ou dystopies. [présentation des documents] Les quatre documents de notre corpus proposent des réflexions sur l’habitat utopique. Le document 1 est un extrait de L’Utopie (1516) de Thomas More, inventeur de ce mot, qui nous propose un habitat et un urbanisme idéaux et leur historique. Dans l’essai Chez soi. Une Odyssée de l’espace domestique (2015), la journaliste Mona Chollet expose diverses conceptions japonaises antagonistes de construction idéales. Le document 3 est un article de blog d’Antonin Campana au ton satirique intitulé « Bientôt, tous les moutons seront dans leur enclos ! », daté de mars 2022. Le document 4 est une photographie d’archives anonyme présentant le Familistère de Guise, exemple abouti d’habitat ouvrier utopique, lors de la fête du Travail, au XIXe siècle. [problématique] Est-il possible de définir un habitat idéal ? [annonce du plan] Nous verrons d’abord comment ces documents définissent l’habitat idéal, ce qui nous amènera à préciser à quelle vie en société correspond cet habitat et cet urbanisme, et la troisième partie se penchera sur la place réservée à la nature dans ce type de sociétés.

[Développement]
[1re partie du dvt : l’habitat idéal.]
Les quatre documents de notre corpus définissent des types d’habitats idéaux diamétralement opposés à tous points de vue. En ce qui concerne le confort, si Thomas More prône des maisons vastes & confortables dont le modèle s’est affiné au fil des siècles pour aller vers des constructions économiques, pratiques & adaptées au climat, au contraire les architectes japonais évoqués par Mona Chollet mettent toute leur inventivité au service de maisons volontairement exiguës, demandant des efforts pour accéder à certains de leurs recoins adaptés à l’usage particulier auquel ils sont destinés. Ils s’opposent à d’autres architectes modernistes évoqués dans le même document, qui semblent plutôt dans la lignée de Thomas More, avec des bâtiments droits & transparents. Cette lignée se poursuit avec la tendance actuelle de la politique européenne du logement contestée par Antonin Campana, qui vise la disparition de la maison individuelle et la densité de l’habitat concentré uniquement dans les villes, qu’il assimile à des « enclos » pour moutons. Le Familistère de Guise nous a préparés à un tel futur, avec la dénomination de « palais social », oxymore qui pourrait s’appliquer aussi bien aux bâtiments prônés dans les documents 1 et 3. Seul l’hygiénisme, c’est-à-dire l’utilité sanitaire, semble devoir guider l’architecte du Familistère. L’accessibilité est un point important : les maisons des Utopiens sont ouvertes facilement à tous, alors que les maisons japonaises sont construites de façon à les rendre le plus difficiles d’accès possible. Les coursives et des portes identiques du Familistère semblent inviter les habitants à s’inviter les uns chez les autres, à moins que ce ne soit à se surveiller, à l’instar des Utopiens.
[2e partie : quelle vie en société ?] De même que sur le type d’habitat, les documents s’opposent quant au type d’urbanisme & de société. La tendance moderne exposée par le document 3 semble l’aboutissement de la réflexion initiée par Thomas More. D’abord, les divers responsables politiques évoqués par Antonin Campana correspondent au législateur qui a décidé du plan de la cité utopienne d’Amaurote ou à l’industriel Godin qui a construit le « familistère » : à grand dessein, grand architecte. La vie en communauté est idéalisée par les documents 1, 3 et 4, avec de l’émulation chez More, et des fêtes dans le familistère, ou tout simplement de la chaleur humaine selon la ministre du Logement citée dans le document 3. L’urbanisme est conçu de façon à rendre possible ce type de société : les rues bien alignées des Utopiens correspondent aux parois transparentes des immeubles japonais modernistes évoqués par Mona Chollet. Son idéal personnel est symbolisé par l’architecture des pavillons de thé japonais, qui finalement revient au même puisqu’elle incite à la suppression des hiérarchies sociales. La vie en communauté est un idéal pour Thomas More, au point d’interchanger les maisons à intervalle régulier, et de prôner la « possession commune », alors que selon le document 3, les autorités espagnoles envisageraient que les citoyens partagent des appartements, idéal déjà expérimenté dans les Familistères où la cour centrale semble fondre les différents appartements en un seul, sur le modèle de la ruche. Cela aboutit à la surveillance mutuelle inhérente aux grandes villes évoquée par Antonin Campana, ou au « panoptique » que Mona Chollet identifie dans l’architecture de la transparence où l’habitant s’expose au regard de tous, à l’exception de la salle de bains.
[3e partie : maison = place réservée à la nature.] Pour caractériser ces différents habitats utopiques, au type de société & d’urbanisme s’ajoute le type de rapport à la nature envisagé. Chez les Utopiens, la nature semble entièrement domestiquée, que ce soit sous la forme de jardins qui atteignent une efficience apparemment supérieure à celle de la nature même, ou grâce aux matériaux utilisés, qui vainquent les éléments, vent ou lumière. Idem dans le Familistère, en tout cas à l’intérieur de ce « Palais social » d’où la nature totalement invisible n’est présente qu’indirectement, sous l’espèce d’une lumière & d’un air filtrés par divers dispositifs. Pour Mona Chollet, la maison idéale apprivoise également la nature, elle l’intègre, que ce soit pour en faire un matériau ou un élément de décor, voire un « trophée ». Le document 3 va plus loin, car la nature y est carrément exclue en tant que telle : on planifierait selon l’auteur, qui critique ces projets, de rendre impossible l’habitat en milieu rural, mais on le fait au nom d’impératifs écologiques de préservation du climat, de l’environnement & de la planète. Paradoxalement, pour respecter la nature, il faudrait donc la fuir.

[Conclusion]
[bilan]
En conclusion, ces quatre documents témoignent d’un double tropisme ancré depuis des siècles dans l’habitat humain, de collectivisation & de mise à distance de la nature. Malgré certaines tendances rétrogrades minoritaires, l’humain semble irrésistiblement destiné à gommer ses particularismes pour se fondre dans un habitat commun sur un modèle qui évoque la ruche ou les nids collectifs des républicains sociaux en Afrique australe. [élargir le champ] Vu la fréquente contestation de ces modèles utopiques par des dystopies tout aussi virulentes, on peut se demander si le rejet qu’engendrent les utopies coercitives n’est pas destiné à engendrer des contre-modèles tout aussi inventifs & attirants qui intègrent certaines préoccupations tout en les rendant plus compatibles avec le désir d’autonomie & d’individualisme d’une proportion importante d’humains.

Proposition de corrigé subjectif de l’écriture personnelle

Attention : les parties en gras entre crochets sont des indications pédagogiques qui ne doivent pas figurer sur la copie !
Sujet : « Pensez-vous que la maison individuelle doive être condamnée à disparaître ? »
Attention : les allusions à l’actualité doivent rester exceptionnelles et dûment justifiées. Ce corrigé est comme d’habitude sur ce site, hypertrophié et trop « engagé » ; je le propose plutôt comme une sorte de révision du cours en prévision de l’examen, susceptible de « former l’esprit critique » selon le mot des instructions officielles. En réalité le jour de l’examen, on n’attend que 5 ou 6 exemples, et encore… Mon conseil : trouvez-en huit, et vous aurez une bonne note !

[Introduction]
[amorce]
L’écologisme ou plutôt sa caricature est devenu une sorte de religion unique qui impose de plus en plus sans discussion ses mantras dictatoriaux ânonnés par les lèvres de la prêtresse adolescente Greta Thunberg. Il ne s’agit désormais plus de préserver nature & environnement, mais de punir les citoyens taxés à tout moment d’égoïsme ou écocide. C’est ainsi que la ministre actuelle du Logement – et ancienne lobbyiste – Emmanuelle Wargon, dans une conférence du 14 octobre 2021 intitulée « Habiter la ville de demain », a expliqué que « le pavillon avec jardin est un non-sens écologique, économique et social ». [problématique] Cela nous amène à nous demander si la maison individuelle doit être condamnée à disparaître, comme semble le suggérer malgré ses dénégations la ministre. [annonce du plan] Nous examinerons d’abord ce qui peut justifier un tel rejet d’un certain type de maisons individuelles, puis nous nous pencherons sur les avantages et inconvénients du modèle alternatif de ville obligatoire, pour finir sur les conditions dans lesquelles la maison individuelle peut rester une utopie viable.

[Développement]
[partie 1]
Sans doute existe-t-il un certain nombre de raisons objectives pour encadrer ou limiter la construction de maisons individuelles. Le seul argument donné par les responsables politiques selon le billet d’Antonin Campana est environnemental, avec l’« artificialisation des sols ». Effectivement si l’on songe à la caricature que constituent les lotissements de banlieue, qui font d’ailleurs penser à l’urbanisme d’Amaurote imaginé par Thomas More avec ses maisons bien alignées, le modèle prête à critique, et l’artificialisation des sols n’est pas un mythe, comme en témoignent les inondations fréquentes aggravées par l’absence de drainage inhérente à la création sans limite de trottoirs. Le film de John Boorman La Forêt d’émeraude en a fait un affrontement mythique entre la vie sauvage au sens étymologique (dans la forêt) et l’artificialisation spectaculaire des sols que symbolise la construction d’un barrage, laquelle condamne à terme l’existence des Indiens de la forêt.
En dehors des ces raisons liées à la préservation de l’environnement, la maison individuelle peut se voir contestée quand elle rime avec aliénation. C’est ce qu’a montré Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe (1949) avec le modèle qui n’est sans doute pas encore disparu, de la femme au foyer isolée dans sa maison et devenant maniaque du ménage en attendant le retour de son mari, ce qui justifie l’aspect social du « non sens » évoqué par la ministre. De façon plus générale, le poète Khalil Gibran a dénoncé dans Le Prophète un travers de la maison individuelle, qui recèle une sorte de « dompteur » prenant possession de notre âme : « En vérité, la convoitise du bien-être tue la passion de l’âme, et suit en ricanant ses funérailles ». Les quartiers fermés, privatisés, gardiennés se développent effectivement à vitesse grand V en France comme dans le reste du monde, et ils ne peuvent constituer un idéal de vie sociale.

[Partie 2] De même que les maisons individuelles peuvent parfois constituer un « non sens », il arrive que la vie en immeubles corresponde à une « intensité heureuse ». C’est ce qui ressort du roman d’Alaa el Aswany L’Immeuble Yacoubian. L’immeuble du Caire dans lequel se déroule l’action est effectivement le cadre d’échanges valorisants entre les résidents les moins aisés qui se livrent au commérage sur la terrasse de l’immeuble, tandis que les plus aisés restent enfermés dans leurs appartements plus spacieux. Cette intensité heureuse est également visible sur la photographie du Familistère, et les coursives en sont le symbole : plutôt que des balcons individuels, elles semblent constituer la balance idéale entre espace privé & public pour le côté cour, du moment qu’on sait que côté jardin, il existe des fenêtres à l’extérieur permettant davantage d’intimité. Pour Robert Silverberg dans Les Monades urbaines, la surpopulation n’est pas un problème. Il imaginait dans ces nouvelles d’anticipation parues au début des années 1970, des tours de 3 000 mètres de haut alignées en quantité dans des mégalopoles étendues sur des centaines de kilomètres, telles Berpar (Berlin-Paris). Pour entasser 800 000 habitants dans chacune de ces tours, une évolution de la notion de pudeur au sein de la famille permettait aux habitants de vivre nus dans des appartements exigus et de dormir les uns sur les autres, dans une promiscuité maximale qui ravirait notre ministre du logement depuis sa « belle villa avec jardin ».
Cette « intensité heureuse » n’est cependant que poudre aux yeux face aux inconvénients beaucoup plus nombreux de l’urbanisme absolu en immeubles, à commencer par l’envers du décor révélé par Émile Zola dans son roman Pot-Bouille : mariages arrangés, relations extra-conjugales, bonnes maltraitées, etc. Le film d’Alfred Hitchcock Fenêtre sur cour nous montre les différents habitants d’un immeuble qui cohabitent autour d’une cour intérieure diamétralement opposée à celle du Familistère de Guise, c’est-à-dire qu’ils vivent comme des étrangers, chacun chez soi. Un sondage du Parisien datant de 2003 sur la maison idéale révèle que les futurs propriétaires « apprécient de plus en plus les duplex, voire les triplex, qui donnent un air de « petite maison » à leur intérieur » et que « les trois quarts des Français plébiscitent la pierre de taille ». Autrement dit, chassez le naturel, il revient au galop. Quel serait l’intérêt de construire des immeubles qui ne seraient que des maisons amalgamées ? Dans La Poétique de l’espace, Gaston Bachelard avait prévenu : « La maison n’a pas de racine. Chose inimaginable pour un rêveur de maison : les gratte-ciel n’ont pas de cave. » En France, les grands ensembles construits dans les années 1960 ont abouti à un désastre social, et sont désormais détruits les uns après les autres pour laisser la place à des quartiers pavillonnaires ou à des immeubles bas. On pourrait aussi évoquer l’échec des kibboutz en Israël, ces villages collectivistes basés sur la propriété commune, y compris des enfants, qui sont éduqués ensemble et ne dorment même pas avec leurs parents. Si l’on revient à l’œuvre de Robert Silverberg, il faut évoquer l’envers du décor découvert par un personnage rebelle qui parvient à s’exfiltrer de sa tour pour découvrir en dehors de la ville l’existence de quasi esclaves qui pourvoient à l’alimentation des citadins, sur le modèle des Morlocks de La Machine à explorer le temps de H.G. Wells. Le citadin a une fâcheuse tendance à oublier qu’il faut manger pour vivre ; c’est à quoi il faut penser quand on nous vante la création de villes tentaculaires dans le Golfe persique par exemple, sans compter qu’en cas de guerre ou même d’événement catastrophique, la population des villes constitue une cible de choix pour une bombe atomique, alors que des puissances nucléaires se sont cassé les dents sur un pays de montagnards à l’habitat disparate comme l’Afghanistan.

[Partie 3]
Face à cet enfer prévisible que risquent de constituer en réalité les mégapoles encore pires que les villages de pavillons avec jardin sans âme, n’est-il pas imaginable de trouver un avenir à la maison individuelle ? Les autorités politiques semblent vouloir diviser l’espace en deux catégories irréconciliables : des villes tentaculaires d’un côté, et des campagnes inconstructibles de l’autre. Or dès l’époque de Thomas More, des alternatives étaient suggérées dans L’Utopie : c’est le souci économique du choix des matériaux, affiné au fil des générations : « Les toits sont plats, recouverts d’une matière broyée et incombustible, qui ne coûte rien et préserve mieux que le plomb des injures du temps. » Dans le film Problemos d’Éric Judor, la vie en communauté expérimentée par les personnages écolo tourne vite à l’affrontement dès qu’un problème se pose, en l’occurrence la survenue d’une pandémie. L’un des personnages est exclu de la communauté parce qu’on le croit contaminé (aujourd’hui on dirait « non vacciné »). Or ce personnage est ingénieur, et le voilà qui se construit à l’écart une maison avec des matériaux de récupération ou prélevés dans la nature. Cette maison suscite la jalousie des autres personnages qui finissent par la détruire. La maison écologique basée sur l’utilisation de matériaux non polluants (bois, terre, roseaux, béton de chanvre, etc.) n’est-elle pas, plus que les immeubles de grande hauteur, un avenir enviable, utopique et possible de la construction autant que de la vie sociale ? Des maisons passives (et plus rarement « à énergie positive ») existent déjà par milliers en Allemagne et en Suisse, et il est pour le moins étonnant que la ministre du Logement de la France ignore cette solution d’avenir.
Indépendamment du souci de l’environnement, la maison individuelle ne doit pas être rayée des cartes pour céder aux lubies de responsables politiques déconnectés des réalités. Ne perdons pas de vue le « dilemme du hérisson » du philosophe Arthur Schopenhauer : les hommes sont comme des hérissons qui ont besoin de la chaleur de leurs semblables, mais ne doivent pas s’approcher trop les uns des autres pour ne pas se blesser par leurs piquants. Le grand voyageur Nicolas Bouvier cité par Mona Chollet, était au fond casanier : « Vous voyez, bernard-l’ermite, escargot, j’ai cette maison dans les os, et ce soir je ne peux parler que de ça. » Gaston Bachelard aussi, dans son essai, fait l’éloge de la maison qui nous est aussi indispensable que la coquille de l’escargot : « À travers les souvenirs de toutes les maisons où nous avons trouvé abri, par-delà toutes les maisons que nous avons rêvé habiter, peut-on dégager une essence intime et concrète qui soit une justification de la valeur singulière de toutes nos images d’intimité protégée ? » Cette maison n’est que la projection de notre propre corps comme le révèle l’homme-arbre du peintre Jérôme Bosch, un détail de son triptyque Le Jardin des délices, dans lequel le ventre de l’homme est assimilé à une salle à manger. Dans son essai sur La Peinture hollandaise du XVIIe siècle, Tzvetan Todorov nous apprend que bien avant Simone de Beauvoir, cette peinture exaltait la liberté acquise par la femme dans son foyer. Pourrait-elle être maîtresse chez elle dans un habitat collectif ? La sagesse populaire dit bien : « Charbonnier est maître en sa maison ». Comme le révèle le mythe de Pandora selon Jean-Pierre Vernant, l’homme comme la femme ont besoin de l’émulation créée par la possession d’un foyer. Dans son essai Les Cinq sens, le philosophe Michel Serres fait aussi l’éloge du jardin, grâce auquel l’habitant philosophe reconstitue l’épisode de la Genèse.

[Conclusion]
[bilan]
Pour conclure, s’ils peuvent sembler justifier par certaines exagérations tangibles de la société actuelle, les mots d’ordre prétendument écologiques sont trop liés à des intérêts de grands groupes industriels ou technologiques, comme les mastodontes du bâtiment, pour être crédibles : si certains types de maisons individuelles sont critiquables, les grands ensembles le sont encore plus, et l’avenir se trouve davantage dans la maison écologique (ou dans l’immeuble bas) que dans la course aux records de hauteur des gratte-ciel des Émirats ou aux « smart cities » dont la vraie finalité est de transformer l’homme lui-même en objet connecté, déconnectable d’un clic. [extension du champ] Les responsables politiques qui prononcent l’éloge funèbre de la maison individuelle ne sont-ils pas les mêmes qui prônent la « surveillance de masse » et « l’exposition panoptique » ? Leur préoccupation première est-elle vraiment l’écologie ?

 Sujet concocté par Lionel Labosse. Vous en trouverez un autre avec corrigé complet sur le thème de la sédentarité.


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[1Qualité de ce qui est ténu ; d’une grande minceur, finesse.

[2Panoptique (étymologiquement « qui voit tout ») : type d’architecture carcérale imaginée à la fin du XVIIIe siècle, dont l’objectif est de permettre à un gardien logé dans une tour centrale, d’observer tous les prisonniers enfermés dans des cellules individuelles autour de la tour.

[3Le ministère de la Transition écologique a démenti ces propos le 15 octobre 2021 : « Emmanuelle Wargon l’a dit très clairement : il n’est pas question d’en finir avec la maison individuelle. Elle regrette la caricature faite de ses propos, qui ne reflète pas la teneur de son discours prononcé ».

[4L’auteur reprend ici ironiquement une expression attribuée au président François Hollande qui aurait, en privé, dénommé ainsi les Français les plus pauvres.

[5Courant de pensée développé au cours du XIXe siècle, selon lequel les pratiques politiques, sociales, architecturales et urbanistiques doivent suivre les règles de préservation de l’hygiène et de la prévention en santé publique.