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Spéculations spéculaires, pour les 6e/5e

Hubert au miroir et Le Garçon de passage, de Dominique Richard

Éditions Théâtrales, 2008 et 2009, 96 p. et 80 p., 7 € chaque

samedi 9 février 2008

À la manière de Balzac, l’auteur du Journal de Grosse Patate, des Ombres de Rémi et de Les Cahiers de Rémi, reprend Hubert, personnage secondaire de la première pièce, et conserve Rémi, pas comme personnage mais en le nommant dans le texte, comme faire valoir et souffre-douleur. On ne saura rien de l’entre deux. Le hiatus entre les pièces donne de l’épaisseur aux personnages, qui continuent à vivre dans notre imagination… Le point de vue est original, puisque c’est celui du « bel indifférent ». Cela ne manquera pas de faire se poser d’utiles questions aux jeunes spectateurs. On peut se demander pourquoi ce personnage est si narcissique et pourquoi il se contente de l’amour de Rémi sans évoquer d’autres liens, avec fille ou garçon…

Hubert est beau et il le sait ; il en devient narcissique : « j’aimerais tellement être encore plus gracieux, traverser le miroir pour me caresser ou m’embrasser… Mon charme ne serait-il que pour les autres ? » (p. 9). L’admiration que lui porte Rémi l’énerve : « Je veux bien qu’il m’admire, mais en silence ! […] je me sens pris au piège, il me fixe, me fige et, dans son regard, je me crois soudain mort » (p. 13). Il est troublé : « Si j’étais une fille, je le laisserais peut-être m’embrasser. Mais je suis un garçon. Je l’ai giflé. Il m’a sauté dessus, m’a fait tomber, m’a griffé, mordu. Je ne veux plus le voir » (p. 25). La relation tourne à la domination : « Je le traîne avec moi comme une valise. Il m’insupporte, mais je me suis habitué à lui. […] il est comme une espèce de page, ou d’esclave. Je pourrais même en profiter pour le torturer, si j’étais énervé. Aussi, je veux bien me laisser aimer par lui » (p. 55). Quand Hubert s’essaye devant la classe à des postures qui, du moins sur le papier, semblent efféminées (« j’effleurais ma chevelure pour la glisser en arrière, tout en battant des cils »), il pense à Rémi pour les tester : « S’il pouffe de rire, je l’assomme » (p. 61).

Hubert peine à maîtriser son corps, et cela inspire à les meilleures trouvailles : quand il casse un objet dans la maison, il dit à son père : « ce n’est pas moi, c’est mon corps » (p. 14). L’entraîneur de foot a une conception non-concurrentielle (donc fort comique) de ce sport, et perçoit ses jeunes sportifs de façon impressionniste : « cette habitude de te déplacer en tous sens, comme si tu pourchassais tes pieds sans jamais réussir à les rejoindre, comme s’ils détalaient à côté de tes jambes. Ta tête partait à droite, ton nez à gauche, tandis que tes mains filaient par-devant, tels des morceaux de toi qui essayaient de s’attraper les uns les autres » (p. 28).

Les scènes avec le professeur sont les plus philosophiques. « Vous croyez qu’un jour, moi aussi, je serai un homme ? Et que j’aurai tout oublié de mon enfance ? » (p. 21). Hubert a des relations difficiles avec son père : « Pourquoi est-il resté ici, avec nous, plutôt que de rentrer dans son pays ? Là-bas, il me ficherait peut-être un peu moins la honte » (p. 43). Il demande à son professeur (toujours vu en rêve) : « Laissez-moi être votre fils » (p. 49). Celui-ci accepte, mais « seulement la nuit ». Ils se livrent au déchiffrement d’énigmes, et cela donne des scènes de haute volée, difficiles à suivre sur le papier, jusqu’à la dernière, qui occupe pas moins de 10 pages, et qui m’a semblé nous conduire sur une piste bien alambiquée, alors qu’il ne s’agissait que d’évoquer le deuil de la mère. Il faudrait voir comment des comédiens s’en tirent, mais j’avoue avoir décroché à ce moment-là. Le texte m’a semblé tourner en rond. Une scène de trop avec le prof, avec l’entraîneur ; et manque une scène avec Rémi ou avec — pardonnez-moi cette suggestion ! — une fille… Terminons sur cette formule dont Dominique Richard a le secret : « C’est comme si j’avais un autre corps, sous celui-ci qui se détache de moi par lambeaux » (p. 86). Peut-être moi aussi ai-je tout oublié de mon enfance ? La postface très philosophique de l’auteur n’arrange pas les choses : « Le reflet complexe est la composition de cet opposé et de cet inverse de l’image ». Plaît-il ?

Le Garçon de passage (2009)

Le Garçon de passage, pièce à trois personnages du même auteur, est publiée en 2009. « La fille » et « Le garçon » accueillent sur leur île, « Le garçon de passage », et lui font passer des épreuves d’initiation, dont certaines sont relatives à la langue parlée sur cette île, le « pallakch ». Comme de coutume, le texte est complété par des explications de l’auteur, notamment sur cette langue, et en plus par un glossaire fort poétique. La scène où l’on apprend au « garçon de passage » à parler pallakch (p. 25) est à rapprocher de la scène du maître de philosophie du Bourgeois gentilhomme. La thématique altersexuelle est moins évidente (donc je me contenterai de ce résumé), mais la relation entre les deux garçons est très sensuelle. Il s’avère que c’est « Le garçon » qui a eu envie d’amener sur l’île « Le garçon de passage ». Il lui masse le dos (p. 21), le force à lécher sa main dans laquelle il a craché (p. 31), lui demande de le gifler pour qu’il ressente « la douleur et le plaisir d’être ici » (p. 33), goûte ses larmes (p. 34), l’embrasse en prétendant qu’il ne le voulait pas (p. 56), puis se dispute presque avec « la fille » et reconnaît : « Je voulais que le garçon de passage vienne avec nous, pas pour nous, pas pour la tribu, mais pour moi, rien que pour moi » (p. 60). Cette piste du trio amoureux n’est pas approfondie, et la pièce se termine sur une évocation nostalgique de la succession des générations, suivie d’une sorte d’entrevue de l’auteur, qui déclare : « Le pallakch est né sur tous les continents, à toutes les époques, nous avons tous commencé par parler pallakch. Mais bizarrement, en grandissant, nous l’avons oublié » (p. 77). Une pièce qui permettra donc, comme les précédentes, aux comédiens et aux spectateurs d’investir leurs sentiments.

 On trouvera des dossiers pédagogiques sur le site de l’éditeur.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Article de Nicole Wells sur le théâtre pour les jeunes


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