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Un immeuble très « Mêle tes potes » !

Les Voisins du 109 : T1, « Vendredi », de Nini Bombardier et Coyote

Le Lombard, 2006, 48 p., 9,8 €.

lundi 30 avril 2007

Les Voisins du 109 est parti pour être une série mémorable. Le tome 1 est une réussite parfaite, et on n’aurait jamais espéré dans le domaine de la B.D. grand public, des personnages homos construits avec tant de finesse… Cela nous consolera du traumatisme vécu lors des défilés anti-pacs de 1999, où les intégristes orthosexuels défilaient avec des pancartes à l’effigie d’Astérix. Le milieu de la B.D. avait semblé à l’époque, désespérément rétrograde. Renversement de tendance ?

Résumé

Les Moinot, jeune couple avec bébé, emménagent au 109, un immeuble « plein de gens charmants ». Il y a le gardien, brute inflexible au cœur d’or, et sa compagne nymphomane à l’accent russe ; l’octogénaire qui n’a pas la langue dans sa poche ; le couple gothique et leur bébé hérisson ; la mère de famille à foulard et son fils un peu racaille sur les bords mais mignon quand même ; Gaëtan, l’artiste solitaire et incompris qui ne sait même pas qu’il est gay ; Double-Lune et Joyeux Calumet, les soixante-huitards dont le fils est devenu pédégé, les « célibataires de palier » qui n’osent pas se parler mais se draguent par Internet sans le savoir, et le couple de cathos coincés. Tous ces braves gens cohabitent joyeusement et s’entraident dans une utopie généreuse.

Mon avis

Cet album est une sorte de première dans le domaine de la BD populaire. En effet, Coyote est l’auteur exaspérant de Litteul Kévin ; que le prof ou le parent qui n’a jamais eu envie de baffer un moutard hilare et boutonneux plongé dans les aventures de cet avorton difforme en lieu et place de la lecture édifiante du Père Goriot ou du devoir de maths super urgent pour demain matin, me jette la première pierre ! Je m’attendais donc au pire en ouvrant cet ouvrage dont j’avais su qu’il avait un personnage homo. Eh bien, j’en ai été pour mes préjugés ! Autant le scénario que le dessin m’ont ravi, et s’il n’y a rien de révolutionnaire dans cette trame à la Escalier C, si cette micro-société trop idéaliste peut prêter le flanc à la critique pour délit de naïveté consensuelle, il me semble que le traitement de certains personnages portera les jeunes ados à une spéculation utile, notamment sur la question altersexuelle. En effet, le cliché du couple aristo-catho rebondira sans doute sur la vision de la mère musulmane à foulard, personnage à peine ébauché dans ce tome 1, mais surtout sur la figure magistrale de l’artiste raté, dont tout le monde a compris avant lui-même qu’il est homo. Les trois planches où il fait son coming out auprès de ses parents sont un support idéal pour une réflexion sur le sujet.

Les voisins du 109, T1, p. 42.

En effet, tout semble amener à l’annonce de l’homosexualité, mais c’est finalement sa vocation de comédien que proclame Gaëtan, et son père effondré de répliquer : « J’aurais presque préféré que tu nous annonces que tu étais homo… » ! À ce moment, la collection d’antiquités trop connotées que Gaëtan avait refoulées dégringolent du placard comme un acte manqué. Du coup c’est la grosse brute de gardien qui console notre pauvre gay qui s’ignore, et l’oblige à s’avouer qui il est. Gaëtan s’effondre : « Je ne SAIS PAS si je suis homosexuel. Je ne suis pas sexuel du tout. » C’est à ce moment que passent les deux « filles du premier », qui « parlent même de faire un bébé » et qui « au moins […] savent où elles en sont sexuellement… elles ». On ajoutera à ce tableau l’évocation émouvante de la sexualité de l’octogénaire, ancienne fille à soldats, et le jeu constant avec les nerfs de nos deux auteurs qui savent jusqu’où ils peuvent « aller trop loin » pour faire réfléchir les jeunes en les amusant sans trop choquer les parents. Le dessin est plus onirique que réaliste, et nous sommes plongés à quatre reprises dans des univers coupés de la réalité, des appartements gothique, gauchiste, catho et « homo comme ils disent », qui là aussi renverront les ados à leur rapport à leurs familles respectives, sans oublier cette trouvaille du bébé hérisson qui s’enfuit de la maison, belle allégorie des errements actuels de la parentalité.

 Voir le tome 2, « Samedi », et Les dessous des Voisins, Tome 1. Nous avons remis leur diplôme Isidor aux auteurs lors d’une séance de dédicace en librairie en juin 2006 (photo). Voir aussi Litteul Kévin n°8, la série culte de Coyote.
 Le site officiel des « Voisins du 109 ».

Lionel Labosse


Voir en ligne : Lire notre entrevue exclusive avec Coyote


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