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Être opaque à soi-même, pour les 4e / 3e
Le Secret, d’Anita Van Belle
Les 400 coups, Connexion, 1991, 134 p., 11 €.
mardi 26 juin 2007
On éprouve un sentiment étrange en lisant Le Secret : on le déteste parce qu’on n’est plus comme ça, parce qu’on ne souhaite pas aux jeunes d’aujourd’hui d’être comme ça, mais on l’aime parce qu’on a été comme ça, et que c’était quand même notre jeunesse, la seule qu’on ait eue… Conservons ce roman en souvenir d’une époque où il ne fallait pas moins d’un cambriolage, un rapt et un couteau sous la gorge pour qu’un garçon s’avoue et avoue son amour à un autre garçon…
Résumé
Le roman couvre quelques jours autour de l’anniversaire décisif des 15 ans de Sandro. Ses parents tiennent un « restaurant-bar-pension » en bord de mer. Sandro vit une amitié passionnée avec Giuliano, qu’il considère comme son double ou son jumeau. Giulano a l’habitude de lui demander des serments d’amitié, mais un jour, comme Sandro fait remarquer l’inutilité de ces serments répétés, Giuliano rétorque « Qu’est-ce que tu crois ? Que les sentiments d’un homme ne changent jamais ? » (p. 12). Cette remarque fait éclore en Sandro le sentiment d’un secret : « Ce secret n’était pas une information enfouie que je désirais tenir cachée, non, ce secret était plus grand et plus étrange, c’était une partie de moi-même que j’ignorais et qui me poussait à agir d’une manière ou d’une autre, sans que je sache pourquoi » (p. 13). Sandro fréquente Marco, un alcoolique qui élève des poulets, et dont il découvre le secret d’une vie antérieure de capitaine et d’homme marié, ce qui l’incite à connaître son propre secret. Il y a Benito Sabbia, tout frais sorti de prison pour meurtre, qui loge chez ses parents, et qui a une étrange attitude à son égard. Il y a aussi Nico, loueur d’embarcations sur la plage, et entraîneur de Giuliano et Sandro pour la course annuelle des géants. Giuliano révèle à Sandro qu’il a une petite amie. Sandro en conçoit une amertume, qu’il transforme en jalousie, puis en « amour » pour la fille. Pendant la course, il tente de noyer sa douleur morale sous la douleur physique, il blesse son ami et gagne. Giuliano annonce son départ, et qu’il abandonne sa copine. Sandro n’a plus qu’à la séduire à son tour, oui mais voilà, « [cet amour] n’avait existé que quand j’avais vu Giuliano avec elle » (p. 113). Il faudra une course-poursuite, un cambriolage, un rapt et une menace de mort dont la lecture attentive du dernier chapitre ne m’a pas permis de savoir si elle était mise à exécution ou non, pour que le terrible secret s’échappe des lèvres de Sandro. Il commence par J, se termine par e, contient trois mots et sept lettres, et s’adresse à son ami Giuliano, qui répond : « Je ne suis pas comme toi » (p. 132). La langue au chat ?
Mon avis
Mon sentiment est partagé à la lecture de ce roman. D’un côté, l’œuvre est datée, elle fait partie de ces pionniers en littérature jeunesse, et à l’époque, il n’était pas question d’aborder franchement la question de l’amour entre garçons, il fallait que ce fût alambiqué, torturé, qu’on souffrît d’un lourd secret, et qu’on ne le révélât que le couteau sous la gorge. À cet égard, ce roman est une caricature du genre, avec son titre si révélateur… D’un autre côté, l’analyse des sentiments est si juste, et correspond tellement à une réalité (qui est en train de changer, heureusement), où le tabou familial et scolaire qui pèse sur ce genre de sentiments les rend morbides, qu’on a envie de conseiller ce roman, mais pour de jeunes adultes avertis, pas comme une première lecture sur le sujet, qui risquerait de confirmer terreurs ou préjugés ! Ce garçon blessé par le premier amour de son ami, qui désire embrasser la fille à sa suite, puis essaie de se mettre dans sa peau, « commenc[e] une liste de ce qui pouvait lui plaire, à elle : le torse plat, les jambes fines, le léger duvet qui courait dans le bas du dos… » (p. 68) ; ce garçon est tellement vrai dans son habileté à se mentir à lui-même tout en étant transparent pour le lecteur, qu’on éprouve un sentiment étrange : on le déteste parce qu’on n’est plus comme ça, parce qu’on ne souhaite pas aux jeunes d’aujourd’hui d’être comme ça, mais on l’aime parce qu’on a été comme ça, et que c’était quand même notre jeunesse, la seule qu’on ait eue… Comme dit Sandro, « c’est horrible d’être opaque pour soi-même » (p. 119). Terminons sur cette citation, idée qui se retrouve dans La Nuit de Valognes d’Éric-Emmanuel Schmitt, qui date de la même année : « Je connaissais maintenant les mots que je voulais prononcer. Mais ces mots étaient interdits. […] Je me demandais comment c’était possible. Comment j’étais devenu ce que j’étais. Si d’autres avaient jamais éprouvé la même chose que moi. Je pensai que j’étais maudit, et que je pourrais tout aussi bien me lancer sur le couteau de Sabbia pour sauver Giuliano, que ce serait mieux pour tout le monde » (p. 122).
– Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».
– Ce roman était d’abord paru aux éditions Duculot dans la collection Travelling. Il vient d’être réédité par un éditeur canadien, distribué en Europe par Le Seuil. J’ai repris la pagination des citations ci-dessus. Saluons cette bonne initiative, peut-être une conséquence de l’« Isidor » attribué à ce roman ? J’ai d’ailleurs eu la surprise de retrouver dans le dossier de presse un extrait de cette critique… sans citation de son auteur ! Voir aussi Les garçons, les filles, de la même auteure.
Voir en ligne : Anita Van Belle sur L’Hippocampe associé
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