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Entrevue de François Bégaudeau & Laurent Cantet dans Têtu

samedi 23 août 2008

« À l’école, ce qui est problématique c’est tout bonnement la sexualité »

Le magazine Têtu daté de septembre 2008 propose un dossier complet sur la lutte contre l’homophobie à l’école, dont se dégage une entrevue très intéressante de François Bégaudeau, enseignant et auteur d’Entre les murs, et du réalisateur Laurent Cantet, qui a obtenu la palme d’or au festival de Cannes pour l’adaptation de ce livre. (Entrevue de Marc Endeweld).

J’ai particulièrement apprécié cette entrevue, et le discours de François Bégaudeau, un prof de français qui a tout compris. Quelques extraits :

François Bégaudeau : « Souvent, des profs ont des problèmes avec leurs élèves dans la mesure où ils prennent au mot les insultes, les injures, une certaine trivialité alors qu’ils ne mesurent pas la part de jeu qu’il y a là-dedans, et donc de mauvaise foi, de forçage. Si on mesure ça, on est plus décontracté. »

 « Pendant les impros, on avait demandé que par deux ils préparent un petit sujet de discussion et qu’ils essayent de convaincre leur copain. Burak et Louise avaient défendu le mariage pour les homosexuels, et il y avait eu des réactions assez tranchées, du genre : « C’est n’importe quoi : pourquoi les hommes se marieraient entre eux ? » Et Burak avait eu une réponse qui m’avait époustouflé de clairvoyance et de maturité : « Mais dans dix ans, ce que tu viens de dire, tu en rigoleras. » ».

 « De toute façon, ce qui est problématique à l’école, c’est tout bonnement la sexualité. C’est un des derniers endroits où la sexualité trouve sa place, même si les élèves passent leur vie à y penser, et où c’est le moment où les enjeux se précisent. Je pense que les jeunes ne parlent pas plus facilement de l’hétérosexualité que de l’homosexualité. »

 « Le motif homo dans le discours des mecs, dans les vannes, j’ai connu ça quand j’étais ado. Toutes les bandes de garçons se structurent autour de ce genre de vannes, et autour de la misogynie, autour du racisme. Bien sûr, il peut y avoir des problèmes de fond, mais au bout du compte, on a affaire à ce discours surjoué, parce que c’est aussi une très bonne machine à vannes. Pourquoi il y a beaucoup de blagues racistes ? Il y a quand même plus de blagues racistes que de racisme… Parce que ça marche, parce que c’est caricatural. À chaque fois qu’on se crispe sur ça, il faut nuancer, c’est quand même d’abord des effets rhétoriques. »

François Bégaudeau évoque ensuite un collègue homo qu’il a encouragé en vain à faire son coming out. Puis il évoque une séquence du film où, un élève lui demande s’il est homo : « Dans la vie, quand ça m’est arrivé ce truc-là, en étant complètement punk, j’aurai pu répondre oui, et peut être, dû répondre oui. Après, je me serais mis à porter pendant mes quatre ans de collège à Mozart une homosexualité qui n’est pas la mienne, ça devient compliqué comme truc, tordu ! Je pourrais aussi ne pas répondre. » Laurent Cantet poursuit : « Dans le film, tu réponds « non », mais c’est quand même un moment, où avant de lui répondre, tu le titilles sur sa question : « Alors, attends, c’est une question qui t’intéresse toi ? Qui intéresse les autres ? » C’est une façon d’obliger Souleymane à réfléchir à une question qu’il balance comme ça. Une question qui pourrait être très potache au départ, et que le prof va transformer. Il ne se défend pas d’être homosexuel. Au contraire, il essaye de fouiller le truc. » Et François Bégaudeau conclut : « C’est vrai que les enseignants n’y vont pas, ou rarement, pour des raisons qui peuvent être nobles, « faut que mon cours avance », « j’avais pas prévu de faire ça ». On peut comprendre, mais il y en a beaucoup qui ne se sentent pas avoir les épaules pour aller au combat, ce que je peux comprendre aussi, car on s’expose beaucoup. Je crois que c’est presque une question d’audace physique. »

 Lire l’intégralité de l’article (voir ci-dessous).

 Pour la réflexion sur les insultes, voir cet article. Éric Verdier a mis en place avec l’association Contact une stratégie différente, consistant à refuser le coming out, mais à demander à celui qui pose la question s’il pense que les conditions sont réunies dans sa classe et dans l’établissement pour que non pas un adulte mais un élève ait confiance et fasse son coming out. Le but est aussi de montrer à un élève présent comment on peut résister à une telle demande, et choisir le moment où on veut faire son coming out sans y être forcé. En tout cas, en attendant de le voir, nous nous réjouissons que ce film n’oublie pas de poser la question ! Pour l’archéologie des témoignages de profs de français sur les établissements difficiles, voir Les Céfrans parlent aux Français, de Boris Seguin & Frédéric Teillard.

 Au fait, inutile de chercher dans ce dossier de Têtu la moindre mention de l’existence de notre Collectif HomoEdu. Pas étonnant que ce journal connaisse des soucis. Enfin, pensez à lire mon Journal de bord d’une action pédagogique en collège contre l’homophobie.

 Lire mon article sur Entre les murs.

Lionel Labosse


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