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Homophobie transalpine, de la 4e au lycée
En Italie, il n’y a que des vrais hommes, de Luca de Santis & Sara Colaone
Dargaud, 2008, 176 p., 15,5 €
mercredi 1er décembre 2010
Ce roman graphique se présente sous la forme d’un reportage sur Antonio Angelicola, dit Ninella, 75 ans, tailleur à Salerne (côté sud de la Botte) où il a toujours vécu et travaillé, sauf cette période noire à la fin des années 30, où il fut confiné sur l’île de San Domino, une des Îles Tremiti (du côté nord de la Botte). Le reportage alterne le témoignage d’époque, et les relations tendues du vieil homme capricieux avec les deux journalistes.
Résumé
En 1938, Ninella est insouciant face à la montée du fascisme. Une cliente de sa mère se déclare sereine depuis que ses fils se sont inscrits au parti fasciste. Il drague dans les bois, cynique et habitué aux rafles policières [1] : « Ça va durer encore longtemps ? Si on se dépêche, on pourra retourner au bois ». Un jour, malheureusement, on lui fait remarquer son erreur de n’être pas membre du parti. Les policiers, avec un comique involontaire, taxent tous les dragueurs qu’ils ont arrêtés de « s’adonn[er] à la pédérastie passive », et particulièrement Antonio : « On ne constate pas de signes de syphilis anale mais d’après la configuration de cette partie de l’anatomie, je peux affirmer qu’Antonio Angelicola s’adonne à la pédérastie passive » [2] Antonio est donc confiné sur l’île de San Domino, « dans un souci de sauvegarde des bonnes mœurs et de l’intégrité de la race ». Le dossier historique nous rappelle que Mussolini avait refusé de prendre des dispositions aussi voyantes que son allié nazi contre les homosexuels, alléguant cette phrase qui fait le titre du livre. Il fallait donc que ces mesures de confinement restent discrètes : « on était des prisonniers politiques… mais un peu moins politiques que les autres » (p. 32).
À son arrivée sur l’île, Antonio voit sa tristesse atténuée par la convivialité qu’y font régner tant bien que mal les déportés, qui tentent de s’amuser malgré les temps difficiles, d’autant que les gardiens ne les maltraitent pas. Antonio se fait apprécier par ses qualités de tailleur. Il confectionne une belle robe pour Chinchilla, le travesti qui rêve de Paris. Pour ses qualités humaines aussi quand un d’entre eux se fait injustement accuser d’avoir battu un gardien. L’un des gardiens ne cesse d’ailleurs d’évoquer ses « sentiments » pour Antonio, et cela restera dans le non-dit. Lors de la libération, certains confinés regrettent l’île, malgré les privations et la misère, car cela fut pour eux comme un « royaume », un « exil des regards, des ragots, des mauvaises langues ».
Mon avis
Le dossier qui complète l’ouvrage permet de mieux comprendre le contexte. Il y a la traduction d’une entrevue de 1987 avec un certain « Giuseppe B. », extraite du magazine Babilonia, qui a fortement inspiré le personnage de la BD. À ceci près que les auteurs ont passé sous silences les nombreuses allusions à la prostitution (entre homos et politiques, entre homos et gardien…) Ces mesures de confinement furent à la fois discrètes et rares : le personnage parle de « plus de 300 en confinement entre 1938 et 1943 », alors que dans l’album, les confinés sont tous libérés à la déclaration de guerre pour laisser la place aux prisonniers de guerre. Mais il semble que les études historiques ne soient pas encore suffisantes (et le seront-elles jamais, vu le faible nombre de personnes concernées, si l’on compare aux 10000 victimes homos des camps nazis ?). Sans doute pour décrisper l’atmosphère, on insiste trop sur le côté exaspérant du vieil homme caractériel. Cela vire au remplissage et au gag facile. Il est aussi question du prof d’histoire homo de l’un des journalistes, qui dut renoncer à son métier à cause d’une dénonciation de parents d’élèves. Cela permet sans doute de dramatiser le fait que le confinement des homos sous le fascisme fut passé sous silence jusqu’aux années 1980. L’ouvrage est bien sûr de qualité, et il constituera un document fort utile pour les cours d’histoire ou les TPE en classe de Première. On regrettera cependant le manque de perspective historique sur le fascisme, surtout pour les lecteurs français, mais aussi l’absence de lien avec l’homophobie constante de l’Église, qui fait de ce pays fondateur de l’Union Européenne celui qui demeure le plus en retard sur les droits des altersexuels. Vu la truculence de ce « Giuseppe » de l’interview, on aurait aimé les suivre un peu plus loin, notamment lors de son départ pour Rome « avec un officier américain ».
– Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».
– Lire, sur « Culture et Débats » le point de vue de Jean-Yves. Sur « LGBT BD », la chronique de François Peneaud.
Voir en ligne : In italia sono tutti maschi
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[1] Semblables à celles qui se sont pratiquées en France jusque dans les années 1990 et peut-être au-delà, à cela près que grâce aux progrès de l’informatique, on n’était pas forcément amené au poste pour vérifier l’identité.
[2] Cet examen sommaire fait sans doute référence au fameux « anus infundibuliforme » cher au Dr Tardieu, dont on sait qu’il fait encore des émules dans certains pays arriérés d’Afrique (voir à la fin de cet article).