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Autobiothérapie, pour les 3e et le lycée

Pourquoi j’ai tué Pierre, d’Olivier Ka & Alfred

Delcourt Mirages, 2006, 112 p.

jeudi 5 avril 2007

Par le dessin, les cadrages, les couleurs, autant que par le texte, cette bande dessinée nous propose une « autobiothérapie » pacifiste. Comment transformer un traumatisme en une force, comment régler ses comptes sans violence avec ceux qui ont abusé de nous durant notre enfance et notre adolescence ?

Résumé

L’ouvrage est constitué d’une douzaine de chapitres qui reviennent sur les âges-clés de la vie d’Olivier Ka. Ils sont intitulés « J’ai tué Pierre parce que j’ai 7 ans » jusqu’à « 35 ans ». Dans chacun de ces chapitres, l’accent est mis sur la place de la sexualité au sein de la famille, souvent en relation avec la religion. Au début, ce sont les grands-parents cathos qui terrorisent Olivier car « On va en enfer si on fait de vilaines choses. Si on se touche le zizi par exemple. » Pierre est un curé « cool », qui débarque dans la famille amené par les grands-parents, guitare en bandoulière. Il ne fait pas de prosélytisme, et comme les parents, athées, ne sont pas anti-curés et laissent Olivier choisir s’il veut ou non croire, il devient ami de la famille. À part le curé, la famille reçoit beaucoup, pratique l’amour libre ou l’échangisme : « Mon père baise à droite et à gauche, mais à aucun moment j’ai le sentiment qu’il y a tromperie ou infidélité ». Pierre propose à Olivier de participer à la colo qu’il organise chaque été dans une ferme. À sa troisième participation, à l’âge de 12 ans, Pierre piège Olivier au nom de « l’amitié » qui les unit de façon privilégiée. Il lui demande de l’aider à s’endormir en lui caressant le ventre. Olivier se retrouve avec le sexe de Pierre entre les mains. Il refuse, et terrorisé, ne répond pas aux sollicitations de Pierre. Il ne se passe rien de plus, et le lendemain, comme Pierre lui pose la question, il répond « Tu es un adulte. Je suis un enfant. Ça ne peut pas marcher » (p. 59), puis promet le secret. Un secret trop lourd à porter, qu’il faudra expulser, après bien des années, par l’écriture de ce livre avec Alfred. C’est l’année des 12 ans de sa fille qu’Olivier se met au travail : « C’est aussi efficace qu’une psychanalyse et ça me fait faire des putains d’économies ». Un voyage l’amène avec Alfred sur les lieux de ces colos, et là, surprise, il se retrouve face à Pierre, et peut enfin lui laisser le « fardeau ».

Mon avis

La rigueur du projet autobiographique, la créativité de l’illustration, jusqu’aux couleurs remarquables d’Henri Meunier, du rose au noir, ne sont pas les moindres qualités de cet ouvrage, mais ce qui laisse admiratif, c’est le tact avec lequel Olivier Ka se fait justice lui-même par cette « autobiothérapie ». Entre le glaive et la balance, il a choisi la balance, à l’heure où le néo-populisme régnant dans la politique gave la populace de glaives. Aucune allusion n’est faite au contexte, la chasse hystérique aux pédophiles organisée depuis une quinzaine d’années en France, confondant sous ce vocable le violeur assassin et le pauvre type qui se contente de propositions tactiles et verbales. Aucune allusion, à part peut-être la mention des humoristes Font et Val, qu’Olivier découvre à l’âge de 16 ans, année de la séparation de ses parents. Par une de leurs chansons, il apprend l’existence du mot « pédophile ». On sait que Patrick Font (1940-2018) a purgé une lourde peine de prison, mais loin de crier haro sur le baudet, Olivier Ka lui rend hommage ! S’il y a un compte à régler, ce n’est pas uniquement une vengeance contre Pierre. Comme le suggère le titre, il s’agit plutôt de « tuer le père », et il n’est jamais trop tard pour ce faire. Derrière Pierre, il y a l’hypocrisie des cathos, qui organisent l’inhibition sexuelle d’un côté, et « chantent « Notre Seigneur » une main sur le cœur et l’autre dans le slip ». Il y a aussi des comptes à régler avec la famille, sans doute. On ne prendra pas ce livre comme une nième accusation portée contre des profs ou enseignants pédophiles, mais comme une proposition de thérapie pacifiste, plus économique non seulement que la psychanalyse, mais aussi que la justice. Rappelons que la France détient le triste record mondial de la répression des « crimes sexuels », puisque la surpopulation carcérale y est uniquement due à cette sur-répression. Plus de 10000 prisonniers le sont pour ce chef d’accusation, comme le montre Marie-Monique Robin dans L’école du soupçon, les dérives de la lutte contre la pédophilie. Pédophilie, inceste, crise parentale, névrose sexuelle religieuse, nous avons tous des démons dans le ventre, comme le montre une vignette de la page 93. Olivier Ka et Alfred nous proposent d’en accoucher sans douleur. C’est une BD plus pour les adultes que pour les enfants. À mon avis, on peut la proposer à partir de la 3e. Il est à craindre que, compte tenu du contexte médiatico-politique, des lecteurs immatures ne réduisent l’ouvrage à l’accusation sans nuance de « pédophilie ». Le hasard m’a fait lire cette B.D. le jour même où je voyais Volver, le dernier film d’Almodovar. Or, que montre ce film ? Qu’il faut se faire justice soi-même. Qu’on se fait justice par la mort violente du coupable. Qu’un père qui viole sa fille et un père ivre qui tente de toucher la sienne, c’est kif-kif, il faut les trucider. Quelques litres d’hémoglobine esthétisée là-dessus, et voilà un film qui « dénonce les ravages de la pédophilie ». Tel n’est pas l’objet de Pourquoi j’ai tué Pierre. Ouf ! Olivier Ka et Alfred nous donnent l’impression qu’on a dernière nous 3000 ans de civilisation, qu’avant la catastrophe monothéiste, les Grecs avaient inventé la tragédie, la catharsis, le tribunal et la démocratie comme une alternative à la violence, et qu’il en reste des traces dans certains cerveaux ! Profitons-en.

 La BD a été adaptée au théâtre par la compagnie Transhumance en 2013.

Lionel Labosse


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