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Le goût salé des amours adolescentes, pour les 3e et le lycée

Sur les trois heures après dîner, de Michel Quint

Gallimard, Scripto, 2004, 110 p., 7 €.

jeudi 18 juin 2009

Ce court roman de l’auteur de l’inoubliable Effroyables jardins, paru en 2004 est réédité en 2009 dans la collection pour adolescents Scripto, pour 2 € de moins : vive la crise [1] ! Le thème est classique aux deux sens du terme : une élève de terminale tombe amoureuse de son prof de théâtre. Michel Quint en fait un mélodrame où la fiction rejoint les extraits de pièces travaillés par les personnages, notamment la scène 6 de l’acte V de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, qui donne le titre (il s’agit en fait d’une erreur de Thomas due à son accident ; cf. p. 59). En cent pages, on a une sorte de cours de théâtre, avec beaucoup de notes explicatives sur des mots rares du métier de comédien (ex : savonner, bouler un texte, p. 20…), des réflexions originales sur certaines pièces célèbres du répertoire, qui fourniront des sujets de disserts, et une aventure sentimentale qui séduira les adolescents en veine de romantisme.

Résumé

Rachel Gaubert a le coup de foudre pour Thomas Bertin, son prof de théâtre. Elle est aussitôt jalouse de « Babette de Senne » (sic !), la compagne de celui-ci, qui se charge de « la partie scénique du cours » (p. 18), et dont la fortune personnelle lui permet de produire une pièce et de pourvoir au confort de Thomas. Le prof trouve que Rachel — dont le prénom lui fait penser, bien entendu, à la comédienne du XIXe siècle Rachel Félix — a du talent, et il la socratise un peu à part de la classe, ce qui suscite les sarcasmes de Babette et la jalousie de Kader, le beau gosse de la promotion dont Rachel ne s’est pas rendu compte qu’il avait le béguin pour elle. Rachel déifie son prof et l’oppose à ceux qui se contentent de « disséquer les pièces, les expliquer comme du Montaigne ou du Montesquieu, en prof de français tout raide de sa formation universitaire, en archiviste momifié. » (p. 16). Cela ne manque pas de sel, car en fait d’« archiviste momifié », le Thomas ne cite et ne fait étudier dans le laps du roman que des grandes marques d’auteurs estampillés Comédie française, rien qui dépasse 1950 [2] ! Un beau jour, patatras, une hémorragie cérébrale fait perdre à Thomas une grande partie de ses capacités. Le courage de Babette s’émousse petit à petit, et elle accueille avec plaisir la proposition de Rachel de retourner les rôles pédagogiques en réapprenant à Thomas l’usage du langage. Le prof progresse, et Rachel fait tout pour devenir son amante ; elle quitte même le foyer familial, où son père chômeur et sa mère sourde-muette ne la ménagent guère.

Mon avis

Je ne voudrais pas dévoiler la fin de cette histoire, qui ravira les amateurs de mélos romantiques. J’aurais préféré un peu moins de grandiloquence dans les sentiments et dans les phrases [3], mais l’auteur se met sans doute au diapason d’une classe de terminale section théâtre (il y est encore enseignant), dont on suppose que les élèves aiment faire vibrer ce genre de cordes (pour ne donner qu’un exemple : baptiser un enfant Jean-Baptiste en référence à Molière…). On se demande parfois s’il faut prendre le récit au premier degré (voir le jeu de mots sur le nom de Babette) : par exemple, la scène de psychodrame avec double retournement de situation p. 72/73 pourrait se lire comme une parodie de vaudeville, mais la pièce se termine en tragédie… Idem pour la scène à la je t’aime, moi non plus avec Kader, où celui-ci se refuse à elle en lui donnant des raisons pour le haïr, alors qu’elle est prête à « faire l’amour une première fois sur un plateau » (p. 78) : j’imagine, si le roman était adapté au théâtre, les réactions faussement choquées d’un public adolescent !

Socrate, quand tu nous tiens !

Rachel déclare « J’ai jamais fait l’amour… » (p. 21), mais ça la titille, car elle reproche aux cours de philo : « Manquait quand même la chair, le goût salé des amours adolescentes, des lèvres volées » (p. 22). On pourra s’étonner que, pucelle et face à son prof malade, sa toute première leçon de rééducation soit aussi provocatrice. Elle propose un abécédaire basé sur les parties de son corps les plus érogènes : « Je le faisais recommencer, autant pour imprimer la leçon que pour le plaisir érotique de son exploration… » (p. 46). Il faudrait replacer ce texte parmi ceux qui, en littérature jeunesse ou du moins accessibles aux lycéens, traitent la question de la séduction entre profs et élèves. Le fantasme est abordé dans L’Amour en chaussettes, de Gudule ou dans L’Œil du maître, de Bernard Souviraa, et le passage à l’acte dans Une idée fixe, de Melvin Burgess. Michel Quint traite la question à la façon de Socrate dans Le Banquet : au désir clairement manifesté de Rachel, Thomas réagit comme Socrate face à Alcibiade : fantasme tant que tu veux, ma cocote, mais passe ton bac ! Après Kader, Rachel se tape un deuxième râteau avec Thomas : « Je me suis engloutie en lui, à avoir mal, à presque jouir déjà… Une demi-seconde et la robe coulait à mes pieds, j’étais nue, nue et il faisait non de la tête, avec un sourire navré, reculait et faisait non » (p. 85). N’est pas Julien Sorel qui veut ! Un regret pour terminer : n’est-il pas étonnant que 100 % des personnages de ce roman, pourtant recrutés dans le milieu du théâtre, aient une conception de l’amour et de la sexualité 100 % hétérosexuelle ? Il est vrai qu’avec un prof hypra-moderne comme Thomas, il y a peu de chance qu’ils aient étudié des auteurs momifiés et ringards tels que Montherlant, Genet, Fassbinder, Koltès, Lagarce

Lionel Labosse


Voir en ligne : Article d’Olivier Le Naire sur le site de l’Express


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[1Dans les deux cas, ces romans sont plutôt des nouvelles, mais les éditeurs français se refusent à utiliser ce mot pour des textes publiés seuls. Effroyables jardins fait 60 pages écrit gros, et ce n’est en aucun cas un roman. Sur les trois heures après dîner est un peu plus tangent, mais pour moi c’est une nouvelle…

[2J’ai fait cette remarque maintes fois pour les « grands » romanciers cités dans les romans jeunesse.

[3L’omission des « ne » de négation et quelques apocopes m’énervent toujours, par exemple, quand cela jure avec un langage pour le reste fort écrit : pourquoi faire sauter telle voyelle et pas telle autre ? Exemple au hasard : « qu’est-ce que ce sera quand t’auras une bonne raison de braire… ! / J’ai pas répondu et je me suis passée (sic) de manger. » (p. 15). Pourquoi pas « ce s’ra » et « j’me suis ; d’manger »… ?